France insoumise démocratie

« L’architecture de la France insoumise est conçue pour faire obstacle à la démocratie interne »


 

La nouvelle stature de la France insoumise et la mise en retrait de Jean-Luc Mélenchon interrogent sur l’avenir du mouvement, désormais considéré comme la principale force de gauche. N’est-ce pas le moment d’en développer la démocratie interne, interroge la députée Clémentine Autain, dans un texte publié en début de semaine ? Mais difficile de faire bouger un mouvement structuré autour d’un « petit noyau de dirigeants ».

 

Entretien avec le sociologue Manuel Cervera-Marzal, auteur de l’ouvrage Le populisme de gauche, sociologie de la France insoumise.

 

Est-il vrai que la France Insoumise est construite autour d’un « petit noyau de dirigeants » comme l’écrit Clémentine Autain ?

 

Je commence mes entretiens en 2018. À cette époque, les personnes que j’interroge me confient souvent souhaiter plus de transparence dans la prise de décision au sein de leur mouvement. Avant de réclamer plus de démocratie, ils veulent plus de structuration. Même lorsqu’ils souhaitent uniquement se mettre au service du mouvement, ils ne savent pas forcément par quel canal passer, à qui s’adresser. Dans mon livre, j’explique que la direction de la FI « organise la désorganisation » du mouvement. En fait, ce manque de structuration permet que le pouvoir se concentre à la tête de celui-ci, autour de la figure de Jean-Luc Mélenchon.

Après la débâcle des élections européennes en 2019, il y a eu de petites évolutions. Une convention nationale a été mise en place en 2019, permettant de clarifier les choix stratégiques, et il a été promis d’en faire d’autres. Malheureusement il y a eu le COVID. Depuis cette époque, il y a aussi la possibilité de flécher ses dons en indiquant qu’on souhaite les envoyer aux groupes d’actions locaux. Ce n’était pas le cas avant : tous les dons étaient centralisés (NDLR : les groupes d’actions, officiellement limités à 15 membres, ne peuvent pas constituer de budgets autonomes. Une instance nationale leur accorde la totalité de leurs ressources). Il y a aussi eu la mise en place d’un organigramme public. Mais tout cela reste timide, la structuration de la France insoumise n’est pas une priorité. Elle reste un mouvement gazeux – terme revendiqué par Jean-Luc Mélenchon – avec un leader à sa tête.

 

La demande de Clémentine Autain reviendrait-elle alors à changer totalement la nature de la France insoumise ?

 

Oui, la demande de Clémentine Autain revient à remettre en cause la mainmise de Jean-Luc Mélenchon sur les ressources, les financements, l’organisation du mouvement. Avec la mise en retrait du leader insoumis, c’est désormais à Mathilde Panot, présidente du groupe parlementaire et à Adrien Quatennens, responsable du mouvement, de composer avec cette demande. Je suis curieux de voir comment ils vont se débrouiller avec cela. Ce qui est sûr c’est qu’il va être difficile de continuer la gestion du mouvement comme avant. Avec les dernières élections législatives, il est passé de 17 à 75 députés à l’Assemblée Nationale. Ses ressources financières ont augmenté. La FI recevait 4M€ annuels de dotation de l’Etat à l’issue des législatives de 2017, désormais c’est près de 10M€. Il ne paraît plus possible qu’un petit groupe de personnes cooptées par Jean-Luc Mélenchon continue à géré le mouvement. Je m’attends à ce que ça bouge.

 

Pourquoi Jean-Luc Mélenchon a-t-il toujours refusé la structuration locale de son mouvement ?

 

Selon lui, cela permettait d’éviter les guerres de chapelles ou les luttes d’égos. En 2015, Mélenchon et son premier cercle : Emmanuel Bompard, Alexis Corbière et Charlotte Girard, se désinvestissent des instances dirigeantes du Parti de Gauche, qu’ils laissent aux mains d’Eric Coquerel. Mélenchon cherche alors à se doter d’un nouvel appareil dont les règles entravent l’émergence de « baronnies ». En réalité, c’est la crainte de voir des cadres politiques s’interposer entre Mélenchon et son électorat. Jusqu’alors, la France insoumise a été un mouvement sans intermédiaire, Mélenchon tentait au maximum de se passer du filtre des journalistes pour s’adresser à la population mais aussi des cadres politiques. Il a fait un choix. Plutôt que de développer la structuration et la démocratie dans la FI, ses dirigeants ont tout misé sur le lien entre le leader et son électorat.

 

Clémentine Autain propose une direction collégiale de la France insoumise. Dans celle-ci, siègeraient des représentants de 3 collèges : celui des élus, celui des groupes d’action et celui des « forces du mouvement social et culturel ». Que penser de cette proposition ?

 

C’est en quelque sorte une modification de ce qu’est actuellement le parlement de l’Union populaire, afin d’en faire une instance dirigeante. Pour l’heure, ce parlement réunit 300 membres. 150 élus et cadres de la France insoumise et 150 personnalités du monde syndical et associatif. Ces membres sont nommés, cooptés. Il y a trop de monde là-dedans pour que ce parlement serve à définir une quelconque direction stratégique. Il est purement consultatif. Clémentine Autain propose donc que ces 3 collèges élisent ce qui pourrait ressembler à une direction du mouvement. Pour l’heure, on est très loin de ça. L’architecture de la FI est conçue pour faire obstacle au pluralisme et à la démocratie interne.

 

La députée évoque également la possibilité de développer la formation militante. Est-ce une nouveauté ?

 

Là aussi c’est une proposition en rupture avec ce qui s’est fait jusqu’alors à la France insoumise. Rappelons que dans ce mouvement les militants sont constitués en « groupes d’action ». Sous entendu : leur fonction n’est pas la réflexion ou la délibération. Cela est tout à fait assumé par Jean-Luc Mélenchon. En conclusion des Amphis d’été de Marseille, en 2017, il déclarait d’ailleurs : « Assez de bavardages, assez de discussions. Plus d’action ! Pas de bla-bla, du combat ». Les militants sont là pour agir, pas pour réfléchir. J’ai remarqué lors de mes entretiens que cela a pu poser problème à certains militants. Ils se plaignaient de n’être là que pour exécuter. Pour l’heure, leur formation est quasi inexistante.

Par le passé, une tentative de développer un outil de formation a été faite par Thomas Guénolé et Manon Lebreton : « l’école de formation insoumise ». Mais ils s’agissaient uniquement de vidéos sur Youtube que les militants étaient libres de consulter. En 2019 lorsque ces deux personnes ont quitté la FI, l’initiative a pris fin. C’est assez regrettable pour un mouvement qui souhaite s’inscrire dans la durée.