Malgré les nombreuses pièces apportées au dossier, l’enquête sur les violences d’extrême droite à Alès n’a encore rien donné. Après six mois d’attente, les victimes et leurs avocat.es réclament des réponses.
Colère, pression, burn out… Six mois après l’agression fasciste du bar le Prolé, à Alès dans le Gard, JB reprend à peine le chemin du travail. « Ma femme était enceinte, elle aurait pu perdre son bébé… ça m’a fait cogiter. C’est pas la peur, c’est plutôt la colère. On n’a aucune nouvelle de la police », confie cet employé de la SNCF, qui s’en était alors sorti avec un nez cassé et de nombreuses contusions.
Pour mémoire, le vendredi 30 mai 2025, en pleine Féria alésienne, une dizaine de nervis d’extrême droite – des tatouages fascistes pleins les bras – débarque dans la cour de ce bar associatif communiste, au milieu d’une foule d’une centaine de personnes. Priés de quitter les lieux alors qu’ils commandaient à boire, ces militants associés au groupuscule fasciste le Bloc Montpelliérain auraient alors asséné les premiers coups sans ciller. Une pluie de poings, des bousculades, des tabourets qui volent, une bombe lacrymogène XXL vidée à bout portant… Cette nuit-là, la Croix-Rouge a pris en charge une vingtaine de victimes au total. Mais malgré les 10 plaintes et les nombreuses attestations de témoins que Rapport de force a pu consulter, l’enquête n’a encore rien donné. « A Nîmes, deux femmes sortent une banderole contre Jordan Bardella et elles partent en garde à vue ; ici on nous frappe, et il ne se passe rien », déplore Cécile Alphon-Layre, membre du PCF d’Alès et co-plaignante.
Vendredi 7 novembre, les trois avocat.es mandaté.es par les victimes, le Prolé et le Parti communiste ont convoqué la presse pour taper du poing sur la table. « Nous avons essayé de joindre le procureur à plusieurs reprises, mais c’est le silence complet. Le dossier n’a toujours pas été enregistré au parquet », s’indigne maître Alain Ottan, l’avocat du cheminot, qui dénonce un « dysfonctionnement caractérisé ». Durant l’été, les huit victimes engagées dans la procédure ont écrit au procureur pour réclamer un suivi, sans réponse. Même sanction pour les avocat.es malgré leurs multiples sollicitations. « On commence à avoir des doutes sérieux sur le démarrage de l’enquête. Aucun des témoins que nous avons signalés n’a été entendu », ajoute maître Ralph Blindauer (pour le PCF et le Prolé) devant la presse. En charge de la défense des 7 autres plaignant.es, maître Sophie Mazas appelle le parquet à prendre ses responsabilités. « Lorsque le dossier ne démarre pas, le procureur peut et doit mettre en œuvre la puissance publique », argue-t-elle.
« Ils savent où je travaille… Je ne suis pas en sécurité »
Une inertie étonnante au vu de l’accumulation des pièces apportées au dossier. Car au lendemain de l’agression, la police avait déjà en sa possession la story Instagram des militants du Bloc Montpelliérain, venus en repérage dans ce bar deux jours plus tôt. Mi-juin, un témoignage complémentaire leur a aussi permis de mettre la main sur la photo, le job et la plaque d’immatriculation de l’un des agresseurs présumés – le fameux tatoué -, qu’un bénévole du Prolé a rencontré sur son lieu de travail une semaine après les faits. « Avoir pris des coups, je m’en suis remis. Le problème, c’est plutôt de savoir que nos agresseurs sont en liberté, de savoir que leur groupuscule n’a pas été dissous malgré les demandes du député Fabien Roussel (PCF), et de recroiser l’un d’eux près d’ici bien après l’agression. Maintenant ils savent où je travaille… Je ne suis pas en sécuritée », s’inquiète le bénévole.
Contacté, le procureur d’Alès Abdelkrim Grini assure que l’enquête suit son cours et promet un dénouement « d’ici deux mois ». Il indique aussi avoir rapidement confié l’affaire à la police judiciaire de l’Hérault, une partie des agresseurs présumés étant « plutôt localisés dans la zone montpelliéraine ». Pour l’heure, pas d’interpellation, ni d’audition donc. Mais Abdelkrim Grini le confirme, les enquêteurs auraient effectivement identifié plusieurs personnes impliquées dans l’attaque. « Ce n’est pas parce qu’on ne voit rien, qu’il ne se passe rien », insiste le magistrat, qui admet néanmoins avoir priorisé les crimes liés au narcotrafic ces derniers mois.
Responsable du PCF d’Alès, Giovanni di Francesco craint quant à lui une certaine « complaisance » de la part d’une partie des forces de l’ordre vis-à-vis des militants d’extrême droite. « Il y a eu d’autres affaires d’agression. Elles se multiplient, mais on a l’impression qu’elles sont banalisées et impunies ». Comme pour les violences perpétrées par un groupe de militants d’extrême droite lors de la manifestation montpelliéraine du 18 septembre par exemple. Idem concernant les menaces proférées par les militants fascistes infiltrés dans les manifs agricoles de Montpellier, en janvier 2024. Pas mieux après l’affaire des tracts néo-nazis glissés dans des boîtes aux lettres de la commune de Quissac (Gard), en décembre 2023… « Il faut qu’il y ait réparation », réclame le communiste. « Il faut rompre ce silence assourdissant. »
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