Après la panique qui s’est emparée d’un pouvoir incapable d’éteindre l’incendie des gilets jaunes durant des semaines, la majorité mise sur un apparent recul de la contestation sociale. Entre les louvoiements pour céder le moins possible, le retour des attitudes méprisantes et la tentation d’appliquer toute sa politique, le « nouveau monde » prend le risque de devenir l’ancien régime.
Chasser le naturel il revient au galop. Passé un petit vent de panique, début décembre, face à un mouvement des gilets jaunes qu’aucune des contorsions gouvernementales ne semblait en capacité de dégonfler, le gouvernement et la majorité reviennent à leurs petites habitudes. « Nous ne renoncerons pas au cap des réformes », a assuré Marc Fesneau, le ministre en charge des relations avec le parlement, cinq jours après le discours d’Emmanuel Macron du 11 décembre. Pourtant, une semaine plus tôt, la détermination des manifestants et le caractère imprévisible et insaisissable de la contestation obligeaient le chef de l’État à décréter un « État d’urgence social » en mettant sur la table 10 milliards d’euros de mesures. Les déclarations valorisant le cap à tenir étaient un peu mises en suspend.
Et pour cause ! Malgré la répression et les affrontements violents avec les forces de l’ordre, le mouvement des gilets jaunes ne se divisait pas et ne faiblissait pas. Pire, il conservait le soutien de près de 80 % de l’opinion publique. Le risque d’un embrasement général a été craint par une majorité aux affaires qui a vu la violence se rapprocher d’elle : des beaux quartiers et lieux de pouvoir de la capitale, aux préfectures, en passant par les domiciles et les permanences de parlementaires. Une situation inquiétante pour l’exécutif. D’autant que le mouvement a été porté majoritairement par ces Français qui d’ordinaire ne manifestent pas. En quelque sorte par cette partie de la population jugée facilement gouvernable par les gouvernants.
Aujourd’hui, la peur semble déjà oubliée. Pourtant, si la taxe sur les carburants a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, le mépris et la surdité du gouvernement ont été les carburants du mouvement des gilets jaunes pendant toutes ces semaines. Et sur ce point, l’exécutif et les parlementaires LREM semblent procéder à un retour au « business as usual ». La palme en revient aisément au député macroniste Gilles Le Gendre. Autour d’une déclaration convenue indiquant que la majorité avait « insuffisamment expliqué son action », il a lâché que ses membres s’étaient montrés « trop intelligents et subtils ». Une façon de dire que les contestataires sont trop bêtes pour comprendre les hauteurs de vue du gouvernement. Pas très pédagogique comme démonstration, à moins qu’il n’ait voulu montrer que le mépris pend toujours aux lèvres des membres de la majorité.
Éteindre le feu le plus possible avec le moins possible
Sur le terrain des mesures sociales annoncées par Emmanuel Macron le 11 décembre, la solennité du moment laisse place à un aménagement à minima du cap fixé par la politique du gouvernement. Si l’exécutif concède un dépassement du déficit budgétaire, il lâche peu sur l’essentiel. Ainsi, la prime d’activité sera augmentée pour obtenir une hausse du SMIC de 100 €, sans hausse du SMIC à proprement dit. Le dispositif sera financé par l’État, comme pour l’annulation de l’augmentation de la CSG pour les retraités dont la pension se situe entre 1700 et 2000 €. Ce sont donc les contribuables qui seront sollicités par une politique fiscale restant inégalitaire. Pas de changement de cap en la matière.
De façon plus sournoise, la défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires avantageront d’abord les entreprises, plus portées à intensifier le travail qu’à embaucher. Selon un rapport de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) en 2017, la mesure promise par Emmanuel Macron dès la campagne électorale pourrait détruire 19 000 emplois d’ici 2022 et coûterait trois milliards d’euros à l’État par an. Sans oublier que la défiscalisation et la désocialisation permettent de faire baisser le coût du travail pour le patronat. Du côté des salariés effectuant des heures supplémentaires, l’augmentation réelle du salaire net s’obtiendra par une baisse du salaire différé, celui consacré à la protection sociale des salariés. Sans oublier que depuis la loi El-Khomri de 2016, les heures supplémentaires peuvent être réduites à un plancher de 10 %. La mesure programmé pour le courant de l’année 2019 a juste été avancée et correspond à la philosophie du gouvernement de détricoter les droits collectifs. Philosophie qui prévaut aussi pour la prime exceptionnelle demandée aux entreprises avant le 31 mars, elle aussi défiscalisée et désocialisée.
Signe d’une certaine surdité retrouvée, les revirements du gouvernement du mardi 18 décembre. Le matin, celui-ci annonce revenir sur les mesures annoncées mi-novembre par Édouard Philippe sous la pression du mouvement naissant des gilets jaunes pour calmer la colère sur la taxe sur les carburants. Revirement en fin de journée après l’intervention de députés de la majorité craignant un effet similaire à celui de baisse de 5 € des APL l’an passé. Mais en tentant de passer outre ses engagements et les aspirations exprimées par une partie de la population, le gouvernement ne change pas de méthode : celle qui met les gens dans la rue.
Évacuations, grand débat et référendum d’initiative citoyenne pour tourner la page
Assez logiquement, la fatigue gagne les gilets jaunes après cinq actes de mobilisation. Le ministère de l’Intérieur a annoncé 66 000 manifestants la journée du 15 décembre, deux fois moins que le samedi précédent. Mais la majorité mise un peu imprudemment sur la fin du mouvement. Les mesures annoncées par Emmanuel Macron ont certes décroché une partie de l’opinion publique et une minorité de gilets jaunes, mais le gros des troupes n’a pas été convaincu. Les blocages, les occupations se poursuivent malgré les mesures répressives hors normes déployées par l’État : 1723 arrestations « préventives » le 8 décembre, 1220 gardes à vue et 225 blessés chez les manifestants ce jour-là, s’ajoutant aux 820 autres dénombrés avant le 8 décembre.
Depuis le 15 décembre, la pression policière s’est nettement déplacée vers les ronds-points. Jugeant que le moment était propice, Laurent Nunez le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur a assumé l’évacuation par la force publique de 170 points de blocage depuis samedi. De quoi agacer des gilets jaunes encore mobilisés. De quoi même les énerver copieusement avec les propos outranciers de Christophe Castaner, comparant la destruction d’une statue d’ornement d’un rond-point de Châtellerault par des gilets jaunes, à la destruction d’une œuvre classée au patrimoine de l’humanité par les talibans. Une fanfaronnade de vainqueur pour donner le coup de grâce à son adversaire. Avec un brin d’humiliation en plus. Mais une déclaration qui pourrait laisser des traces dans le temps, comme celle du président de la République sur « ceux qui ne sont rien ».
En réalité, il ne suffit pas de siffler la fin de récréation pour obtenir la fin de la contestation. L’absence d’adhésion large aux mesures annoncées par le chef de l’État ne sera probablement pas compensée par l’ouverture du « grand débat » décidé par Emmanuel Macron. « Il y a un principe simple qui est que ces 18 mois ne seront pas détricotés en totalité par les trois mois de débat », a recadré Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement mercredi 19 décembre. Là encore, si la discussion est possible, le cap de la politique fixé par l’exécutif doit être conservé. Une façon de corseter le débat, mais aussi la confirmation d’une forme de surdité. Rare sujet d’ouverture aux revendications des gilets jaunes : le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Le 17 décembre, le Premier ministre s’est déclaré favorable à la tenue d’un débat sur le RIC.
Pour autant, les 10 milliards d’euros de mesures et le grand débat incluant le RIC seront-ils la porte de sortie de crise ? C’est semble-t-il le pari du gouvernement. Un peu comme il y a cinquante ans, quand les accords de Grenelle et la dissolution de l’Assemblée nationale avaient progressivement mis fin à la contestation de Mai 68. Pourtant, là aussi, la fin du mouvement n’avait pas été immédiate. De plus, le début des années 70 avait été marqué par de nombreuses luttes ayant eu entre autres pour conséquence, une augmentation importante des salaires des ouvriers et des employés. Une leçon à méditer pour un exécutif « trop intelligent et subtil ».
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