Le bras de fer se poursuit entre les soignants des services d’urgences de l’AP-HP et la direction des hôpitaux de Paris. Passée rapidement de 10 à 16, puis à 17 services ce mardi 23 avril, la grève dans les urgences de la capitale continue après l’échec d’une séance de négociation ce matin. Elle pourrait faire tache d’huile dans d’autres villes.
C’est la goutte d’eau qui a fait déborder les urgences : une série d’agressions à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, aggravée par l’indifférence de la direction qui n’a pas respecté la procédure pour accompagner les agents. C’est le tout qui a convaincu les soignants d’entamer une grève illimitée à partir du 18 mars. Soutenues par la CGT, FO et SUD, les presque 90 % d’infirmières et d’aides-soignantes participant au mouvement réclament des mesures de sécurité, et surtout, plus de postes pour une meilleure prise en charge des patients toujours plus nombreux. Une prime de 300 € est également revendiquée pour compenser les difficultés particulières du travail, et rendre plus attractifs ces services où l’urgence est souvent sociale en plus d’être médicale.
Dès le 15 avril, le conflit s’est étendu à une dizaine de services d’urgences, avec 30,86 % de grévistes selon la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Depuis, 16 services, et même 17, ce mardi 23 avril, ont rejoint le mouvement. Partout, les agents se plaignent de ne plus pouvoir effectuer correctement leur travail. La mort d’une patiente qui avait attendu 12 h sans pouvoir être prise en charge au mois de décembre à l’hôpital Lariboisière ne faisant que renforcer ce sentiment. Avec près d’un tiers des personnels en grève depuis bientôt dix jours à l’appel d’un collectif Inter-urgences et des syndicats CGT, FO et SUD, la direction a consenti à lâcher un minimum de lest.
Ainsi, le directeur général de l’AP-HP Martin Hirsch a annoncé la semaine dernière la création de 61 postes supplémentaires, dont 16 en pédiatrie, sur les 700 réclamés par les syndicats. Il a par ailleurs décidé de multiplier par dix la prime de dangerosité qui passe de 5,76 € à 65 €, et de débloquer 1 million d’euros pour des travaux de sécurisation des urgences et la titularisation de contractuels. Des annonces qui n’ont pas convaincu les syndicats, d’autant que des suppressions de lits et de postes sont programmées dans le cadre de la réorganisation de l’AP-HP. « Une réponse sécuritaire n’est qu’une réponse palliative aux questions de sécurité », argumente de son côté le collectif Inter-urgences qui affirme ne pas vouloir travailler dans des bunkers.
Étendre la grève pour débloquer des moyens humains
Les négociations de ce matin n’ont rien donné de plus, les grévistes se voyant opposer des arguments financiers pour refuser leurs demandes. Un nouveau round serait envisagé jeudi, selon un bulletin d’information de France Info diffusé en début d’après-midi. Mais aucune date pour une prochaine rencontre n’a pour l’heure été communiquée aux principaux intéressés. Ces derniers ont de plus réclamé la présence de ceux en capacité de répondre à leurs revendications : Martin Hirsch le directeur général de l’AP-HP et Aurélien Rousseau le directeur de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France. En attendant un prochain rendez-vous, les syndicats espèrent encore augmenter le rapport de force en leur faveur.
« Nous allons continuer à étendre la grève sur l’Assistance publique aux quelques services qui ne sont pas encore en grève », annonce Christophe Prudhomme, médecin-urgentiste et représentant CGT. Une extension dans d’autres villes de France est également envisagée. Des contacts ont déjà été pris dans ce sens avec les équipes syndicales des CHU de Lille, Nantes, Marseille et Lyon assure le syndicaliste. « La problématique est générale », prévient-il en prenant pour exemple l’hôpital Sud francilien de Corbeil-Essonnes où « il est envisagé de fermer les urgences à partir de 18 h 30 ». Malgré de nombreux services en sous-effectifs, rien ne garantit pourtant que les grévistes de l’AP-HP seront rejoints dans leur lutte. À Lyon, les services d’urgence ont déjà connu un conflit l’an dernier aux mois de mars et d’avril, alors qu’à Marseille, des propositions sur la sécurité ont été faites par la direction en fin de semaine dernière. Une façon de tenter d’éteindre l’incendie pour Christophe Prudhomme.
Mes urgences vont craquer
Pourtant, le feu semble bien réel dans les services. « Il nous manque quatre praticiens hospitaliers », explique Anne, infirmière à l’hôpital Antoine Béclère à Paris. Elle met en cause un défaut d’attractivité par rapport au secteur privé qui aggrave les difficultés de recrutement. Au quotidien, « c’est un manque jour après jour d’infirmiers et d’infirmières » témoigne-t-elle, avec des congés maternité et arrêts maladie jamais ou rarement remplacés. « Nous fournissons le double du travail que nous devrions fournir dans notre journée, jusqu’à atteindre un épuisement physique et moral. Le burn-out ce n’est pas une légende », assure-t-elle considérant que c’est « tout l’hôpital public qui est menacé ».
Alors pourquoi un mouvement général dans la santé tarde-t-il à émerger ? « Le problème, c’est que nous n’arrêtons pas des trains et que nous ne coupons pas l’alimentation électrique. Les gens se mettent en mouvement s’il y a des perspectives avec un retentissement qui permette de créer un rapport de force », explique Christophe Prudhomme. Dans la santé, l’impact des grèves est souvent fortement limité par les assignations des agents hospitaliers afin d’assurer la continuité d’un service public essentiel. Pour compenser cette difficulté, les soignants sont souvent obligés d’innover, comme lors des conflits dans les services psychiatriques l’an dernier, et d’alerter le public en tirant la sonnette d’alarme auprès des médias. Il est vrai que c’est un sujet qui nous concerne au plus haut point : celui de notre santé.
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