Alors qu’en France Nutella a été récemment placé sous les projecteurs à l’occasion d’une grève reconductible dans son plus grand site de production, la marque de pâte à tartiner se voit accusée dans une enquête du New York Times de profiter de l’exploitation des enfants et des réfugiés syriens dans le nord de la Turquie.
« Il en faut de l’énergie pour être un enfant ». Le slogan publicitaire de Nutella ne manque pas de cynisme. Les noisettes, un des ingrédients essentiels de la marque de pâte à tartiner, proviennent en partie de l’exploitation d’enfants qui travaillent dix à douze heures par jour en Turquie. C’est ce que révèle un long article du New York Times en date du 29 avril 2019.
Pour sa marque Nutella, le groupe italien Ferrero s’approvisionne en Turquie pour les noisettes, pays où il a implanté cinq usines. La Turquie produit 70 % de la totalité du marché mondial du fruit à coque qui pèse 6 % de l’économie et 1,8 milliard de dollars. Une part non négligeable des saisonniers est composée de réfugiés syriens ayant fui la guerre et l’avancée de Daesh. Ils seraient 200 000 hommes, femmes et enfants à participer à la récolte dès la fin de l’été, selon l’article du New York Times. Nombre d’entre eux n’ont pas de permis de travail, et donc ni contrat ni aucune protection, dans les quelques 600 000 petites exploitations agricoles, essentiellement dans le nord du pays près de la mer Noire.
La plupart des exploitations comptent moins de 50 salariés, ce qui les dispense de respecter le code de travail turc. Une exception appliquée au secteur agricole. Selon l’ONG Fair Labor, les saisonniers travailleraient 11 à 12 heures par jour et 7 jours sur 7 : les jours non travaillés n’étant pas rémunérés. Des conditions de travail pénibles, mais aussi dangereuses, sur des terrains très accidentés, qui s’appliquent aussi à des enfants âgés de moins de 15 ans pour certains. Le tout pour un salaire journalier de 9 euros duquel les travailleurs doivent déduire la rémunération d’intermédiaires qui mettent en relation agriculteurs et saisonniers. Une commission allant de 8 à 10 % du salaire.
En Turquie, plus d’un enfant sur cinq travaille
Face à ces allégations, le groupe dirigé par Giovanni Ferrero, dont la fortune personnelle s’élève à 22,3 milliards de dollars selon le classement Forbes, se défend. Réagissant à l’article du New York Times, l’entreprise met en avant sa collaboration avec l’Organisation internationale du travail et l’obtention de résultats pour la protection des réfugiés syriens. Sans donner plus de détails. Elle assure également « prendre la situation des travailleurs de la filière noisettes très au sérieux et avoir pris plusieurs engagements ces dernières années pour garantir des conditions de travail plus sûres et décentes ».
Un optimisme que ne partage pas l’ONG Fair Labor qui avance que 99 % des saisonniers travaillent 7 jours sur 7 et que 72 % d’entre eux estiment avoir à peine assez d’argent pour s’en sortir. « En six ans de suivi, nous n’avons jamais trouvé en Turquie une seule exploitation de noisetiers dans laquelle toutes les normes du travail décent sont respectées », assure Richa Mittal, la directrice de l’innovation et de la recherche de la Fair Labor Association. Pour ce qui est du travail des mineurs, le ministère du Travail turc a lancé en 2018 un plan d’action contre l’exploitation et le travail des enfants, évoquant un contrôle strict. Mais surveiller 600 000 exploitations agricoles, pour la seule production des noisettes, s’avère peu réaliste.
En 2012, 890 000 enfants travaillaient, dont 292 000 âgés de 6 à 14 ans, selon l’institut de statistiques TÜIK. Une situation qui n’a pas franchement évolué favorablement. En 2017, le pourcentage de mineurs de 15 et 17 ans travaillant pour subvenir aux besoins de leur famille était de 20,3 %. Il a augmenté en 2018 pour atteindre 21,1 % selon l’agence de presse gouvernementale Anadolu. Et ce, malgré le plan d’action du ministère du Travail. Une réalité que semble préférer ignorer Ferrero et Nutella.
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