Saisi par Chronopost, la filiale pour le transport express du groupe La Poste, le tribunal de Créteil a rendu son jugement mardi après-midi. Il contraint les travailleurs sans-papiers qui occupent les parkings de l’agence d’Alfortville à évacuer l’enceinte de Chronopost, mais déboute la filiale de l’opérateur postal de toutes ses autres demandes. Le conflit se poursuit.
Sale journée pour l’image sociale de La Poste sur laquelle l’opérateur public communique pourtant abondamment. Alors que le quotidien Libération fait sa une sur le mal-être postal, sa filiale pour l’express échoue à invisibiliser les sans-papiers qui travaillent dans son agence Chronopost d’Alfortville dans le Val-de-Marne. Le tribunal de Créteil a certes répondu favorablement aujourd’hui à sa demande de mettre fin à l’occupation des parties intérieures du site, mais a refusé son souhait d’empêcher la présence devant ses portes de ces salariés d’une entreprise sous-traitante de l’opérateur du transport express.
Depuis le 11 juin, 28 intérimaires occupent l’agence d’Alfortville avec le Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry-sur-Seine. Ils sont soutenus par la fédération Sud-PTT, l’Union syndicale Solidaires du 94 et la CNT-SO. Recrutés par Mission intérim pour la société Derichebourg Propreté et travaillant à Chronopost, ils revendiquent leur régularisation et leur intégration au sein de La Poste. À cette fin, ils réclament les documents nécessaires à leurs demandes auprès des préfectures d’Île-de-France. Selon la circulaire Valls de 2012, ils doivent faire état d’une ancienneté de travail de 8 mois sur les deux dernières années.
La réaction de la filiale de La Poste n’a pas été particulièrement bienveillante avec ces intérimaires travaillant dans ses murs. S’appuyant sur un constat d’huissier du 15 juin, elle a réclamé à la justice le 20 juin l’évacuation des travailleurs sans-papiers présents sur les parkings du site. Mais aussi le concours de la force publique et une astreinte de 100 € par heure et par personne en cas de maintien dans les locaux. Et encore, le démontage des tentes et barnums installés à proximité des accès de l’agence et le paiement de 3000 € par syndicat pour les frais de justice. Elle n’a finalement obtenu que l’expulsion du site, à laquelle les 28 sans-papiers se sont pliés dans l’après-midi même. Sur tous ces autres points, Chronopost a été débouté.
Donneur d’ordre et sous-traitant : le bal des hypocrites
Ainsi, La Poste à travers sa filiale considère n’avoir aucune responsabilité dans le fait que des sans-papiers trient ses colis dans son agence pendant quelques heures à partir de 3 ou 4 heures chaque matin. Un avis que ne partagent pas les soutiens de ces travailleurs. « La Poste utilise en toute connaissance de cause des travailleurs sans-papiers privés des droits élémentaires dont bénéficient les autres salariés en France », assurent-t-ils dans le texte d’une pétition en ligne. Pire : « La Poste profite des menaces d’expulsion du territoire qui pèsent sur eux pour imposer des conditions de travail qui ne respectent ni le droit du travail ni la dignité humaine ». Et ce, pour des salaires à temps partiel ne dépassant pas les 600 € par mois, avec des heures supplémentaires non payées, selon les soutiens des travailleurs sans-papiers.
Alors, Chronopost savait-il ? En tout cas, il peut se défausser de sa responsabilité d’employer de la main-d’œuvre illégalement sur Derichebourg Propreté, l’entreprise sous-traitante avec laquelle il travaille. Et Derichebourg Propreté a-t-il consciemment utilisé des sans-papiers ? Lui aussi peut botter en touche auprès de Mission intérim. C’est tout l’intérêt de la sous-traitance en cascade. Cependant, ce n’est pas la première fois que les deux protagonistes sont confrontés à ce type de situation. En février 2018, avec l’aide de la CGT, 160 travailleurs sans-papiers installaient des piquets de grève devant six entreprises de la région parisienne pour les mêmes motifs. Le dernier piquet de grève à être levé était celui devant une agence Chronopost de L’Essonne. Là encore, l’entreprise sous-traitante était Derichebourg Propreté, une société au chiffre d’affaires de 2,9 milliards employant 39 400 personnes dans 13 pays. Et semble-t-il quelques sans-papiers, malgré une « charte éthique » et « un engagement social respectueux ».
Un an plus tard, ni Chronopost ni Derichebourg Propreté ne semble avoir pris de dispositions pour éviter l’emploi illégal de main d’œuvre et la surexploitation des travailleurs les plus fragiles. Quitte à écorner un peu plus une image sociale qui fait de moins en moins illusion.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.