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Migrants dublinés vers l’Italie : une machine à fabriquer des clandestins ?

 

Mi-juillet, cinq Cévenols engagés auprès des migrants ont suivi le parcours de trois dublinés renvoyés vers l’Italie pour y effectuer leur demande d’asile. Un voyage pour les aider dans leurs démarches et vérifier la réalité de leur mise sous protection. Aucun des trois n’a réussi à se maintenir dans le cadre de l’asile. Robert Latapy, un des membres de l’expédition, nous a raconté leur « Enquête en Italie ».

 

« Nous avons voulu accompagner la demande d’asile en Italie de trois de nos dublinés », explique Robert Latapy, un des initiateurs de l’expédition italienne. Les dublinés sont des migrants dont la demande d’asile en France n’est pas instruite. Les accords Dublin III les obligent à déposer leur demande de protection, dans le premier pays d’Europe où ils sont entrés et ont laissé leurs empreintes. Le plus souvent l’Italie ou la Grèce.

Membre d’un des collectifs de soutien aux migrants des Cévennes gardoises, Robert Latapy se propose, dès le mois de juin, d’aller voir comment cela se passe de l’autre côté de la frontière. Avec une idée en tête : démontrer que les conditions d’accueil en Italie ne permettent pas aux personnes dublinées de prétendre à l’asile dans de bonnes conditions. À ce moment-là, le collectif du Vigan où il milite est confronté pour la première fois à une mesure Dublin. Elle concerne Nour Eddin, un Soudanais hébergé en Centre d’accueil et d’orientation (CAO), prétendant à l’asile en France.

L’objectif du moment est de réunir des preuves pouvant servir pour des recours en annulation devant le tribunal administratif. Mais à la suite de Nour Eddin, la préfecture du Gard enclenche onze autres procédures Dublin à l’encontre de migrants dépendants du CAO du Vigan. Trop tard pour mener l’enquête pour ces onze là. Ils intentent malgré tout des recours, mais sont tous déboutés.

 

Demander l’asile en Italie : chiche !

 

Refusant de baisser les bras, Robert Latapy change de cap, et trouve quatre compagnons de route pour l’accompagner. Ils iront en Italie pour suivre des dublinés. Objectif : les aider dans leurs démarches et vérifier les dires de l’administration française sur la réalité de leur prise en charge. « Le secrétaire général de la préfecture du Gard a trouvé honteux que nous mettions en doute les autorités italiennes », se souvient le cévenol. Alors, chiche pour une demande d’asile en Italie, mais sous leur surveillance.

Parmi les onze sous procédure Dublin, trois veulent vraiment tenter leur chance et demander leur protection de l’autre côté des Alpes. Abdelkarim et Souleymane, deux Soudanais prétendant à l’asile en France et jusque là hébergés par le CAO du Vigan, ainsi que Bereket, un Érythréen vivant lui au CAO de Nîmes. La préfecture a réservé trois billets d’avion pour leur transfert vers Rome les 19 et 20 juillet. Adbelkarim et Bereket se rendent à Marseille et prennent leur vol, l’un le mercredi, l’autre le jeudi.

Pour Souleymane, dont l’avion est prévu pour le 20 juillet, l’affaire se complique. Après un refus de la police de l’air et des frontières de le laisser partir la veille sur une place libre d’un dubliné ne s’étant pas présenté à l’embarquement, il essuie un nouveau refus le lendemain. Arrivé par ses propres moyens à 6 h 25 à l’aéroport de Marseille-Marignane, pour un vol à 7 h 10, il lui est reproché de ne pas s’être présenté 2 h avant le départ. Pendant qu’il tente de régulariser sa situation à la préfecture de Marseille, celle du Gard le déclare en fuite.

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En Italie, ce n’est pas plus simple. « Abdelkarim a été retenu dans une pièce fermée des locaux de la police aux frontières italienne à son arrivée, en début d’après-midi à Rome », raconte Robert Latapy. Le même sort a été réservé à Bereket 24 h plus tard. Une mise sous protection fermée à double tour. « Les policiers lui ont présenté des papiers en italien à signer ». Mais, en l’absence d’interprète, il n’a pu les comprendre et a refusé de les parapher. Le traducteur n’arrive que le lendemain matin, assurent ses soutiens qui sont restés en contact téléphonique avec leur ami soudanais. Trop tard. Le nouveau document présenté à Abdelkarim le jeudi est une Obligation de quitter le territoire italien (OQTI). Ce coup-ci il lui est traduit. Il le signe à 15 h, avant d’être relâché moins de cinq heures plus tard.

 

« Quand tu es à la rue, faire une demande d’asile est difficile »

 

Quand les cinq Cévenols se présentent à la police des frontières de l’aéroport romain en milieu d’après-midi, les fonctionnaires leur confirment la présence des deux jeunes migrants. Mais ils ne laissent filtrer aucune information sur leur éventuelle sortie. Confrontés à un mur, ils repartent. À 20 h, Abdelkarim a déjà quitté l’aéroport. Malgré quelques brefs contacts téléphoniques avec ses soutiens lui proposant de le récupérer, il disparaît dans la nature. Le lendemain matin, Abdelkarim est déjà à Milan, 570 km plus au nord. Bereket sort le vendredi et ne donne plus de nouvelles.

Les policiers leur ont dit : « Vous avez sept jours pour quitter le pays. Allez à Paris pour faire votre demande d’asile », raconte Robert Latapy. Pour lui, pas de doute, « le rôle de la police dans les aéroports est d’inciter à ne pas demander l’asile en Italie ». Pressés de quitter de pays, avec la crainte d’une expulsion vers le Soudan, ils ont disparu dans la nature.

En tout cas, « c’est la démonstration de A à Z de ce que nous voulions montrer », rappelle Robert Latapy. « Des gars pris en charge dans le cadre de l’asile et hébergés en CAO en France, les renvoyer en Italie, c’est une aberration », s’insurge le militant. Concrètement, il aura fallu moins de 48 H pour qu’ils soient exclus de la procédure d’asile pour laquelle l’état français les a envoyés et à laquelle ils s’étaient résolus.

 

En route pour la clandestinité

 

Une situation qui semble se répéter, alors que le nombre de dublinés transférés vers un autre pays est passé de 525 en 2015 à 1293 en 2016, selon un rapport de la Cimade. Pour l’association, leur nombre devrait encore augmenter cette année avec le « plan migrants » du gouvernement qui veut généraliser le tri des migrants et rendre effective les mesures d’éloignement. Une tendance confirmée sur le terrain par les collectifs de soutien aux migrants.

Fin juillet, six Soudanais suivis par le collectif Bienvenue Migrants 34 ont été assignés à résidence avec obligation de se présenter quotidiennement au commissariat avec leurs affaires. Expulsés vers l’Italie depuis, quatre d’entre eux sont eux aussi sortis de tout cadre de protection, selon un membre du collectif Héraultais. Ils sont maintenant clandestins en Italie comme en France.

De retour en Cévennes, les participants au voyage en Italie souhaitent aujourd’hui témoigner et clamer un « Vous nous avez menti ! » à l’adresse de la préfecture du Gard et du tribunal administratif qui jugent possible l’asile en Italie pour les dublinés.