« Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies et sachons nous réinventer, moi le premier », disait Emmanuel Macron le 13 avril, à l’occasion d’une de ses interventions télévisées pendant la crise du Covid-19. Pourtant, loin de tourner le dos à sa politique pro-entreprises, le gouvernement met les bouchées doubles pour satisfaire le patronat, assurer la reprise et développer l’économie de marché.
Consommez, travaillez, appauvrissez-vous, c’est en quelque sorte le triple message proposé cette semaine par la ministre du Travail. « Moi j’ai un appel aux entreprises. On va être dans une situation difficile économiquement. Donc il y a un risque sur l’emploi, mais il y a des alternatives. Je pense qu’il faut se serrer les coudes […] on peut aussi négocier des accords de performance collective » a proposé Muriel Pénicaud sur LCI ce dimanche 31 mai.
De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’un dispositif très favorable aux employeurs créé par les ordonnances réformant le Code du travail, promulguées solennellement par Emmanuel Macron au début de son mandat, le 22 septembre 2017. Ainsi, Muriel Pénicaud indique ce dimanche : « plutôt qu’il y en ait 20 % qui perdent leur emploi, on va pendant quelque temps baisser le temps de travail et donc la rémunération, donc il y a des solutions, il y a des alternatives ». Lorsqu’un accord de performance collective est signé, ses dispositions remplacent celles figurant dans le contrat de travail, même lorsqu’elles sont en contradiction avec le Code du travail. Elles peuvent porter sur le temps de travail, son organisation, la rémunération et sur la mobilité professionnelle et géographique des salariés. Et ne sont pas si temporaires que cela, puisque par défaut, la durée d’un accord est de 5 ans.
Avec ce type d’accords, tout devient possible pour les employeurs : augmenter la durée du travail sans augmentation proportionnelle des salaires, réduire le temps de travail sans compensation sur la rémunération, baisser les salaires de base, supprimer des primes ou des RTT, geler des augmentations de salaire. La liste est longue et non exhaustive, mais le refus d’un salarié de voir modifier son contrat de travail peut-être sanctionné par un licenciement. Quant au « garde fou » représenté par la nécessité d’une négociation et d’un accord, avec 50 % de la représentation syndicale dans l’entreprise, ou 30 % assortis d’un référendum, il ne protège pas de grand-chose dans le cadre d’une négociation avec un pistolet sur la tempe. Celui des pertes d’emploi.
Les petits soldats de la consommation
« Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour », déclarait le chef de l’État notamment à propos des « premiers de corvée » qui ont porté le pays pendant la crise du Covid-19. Une promesse déjà oubliée pour toutes celles et tous ceux qui devront subir une baisse de leur rémunération, avec ces accords de performance collective dont la ministre vient de faire la promotion.
Un discours également oublié pour celles et ceux à qui il pourrait être imposé de travailler jusque 60 h par semaine, comme l’autorise une des ordonnances prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire le 25 mars. Une mesure qui va courir au moins jusqu’au 31 décembre 2020. Quant à « interroger le modèle de développement », il ne faut pas trop y compter non plus. Vendredi 29 mai, Muriel Pénicaud a demandé aux Français de dépenser leur argent pour favoriser la reprise économique. « Les Français ont économisé et mis en épargne 60 milliards d’euros pendant la période de confinement. Cet argent, c’est bien aussi qu’il recircule, parce que c’est ce qui va faire repartir le commerce, l’industrie, ça aidera beaucoup à la reprise d’activité », a-t-elle déclaré en incitant les gens à « oser ressortir, oser consommer ».
Une injonction quelque peu contradictoire, une de plus, quand une partie des mêmes Français risque de voir leurs revenus baisser en cas de signature d’un accord de performance dans leur entreprise. Pendant que la DRH en chef du gouvernement fixe ses priorités, les discussions avec les partenaires sociaux sur la question de l’assurance chômage qu’elle avait promise fin avril n’ont pas avancé d’un pouce. Aucune rencontre, même virtuelle, n’a eu lieu pour l’heure et le ministère ne nous a pas répondu sur les suites que compte donner la ministre à ses déclarations sur ce sujet pourtant brûlant.
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