Nuit des barricades

Gilets jaunes : 12 septembre, rallumer la flamme ?

 

Relancer le mouvement des gilets jaunes le 12 septembre ? Une évidence au vu de la crise économique qui couve. Un pari risqué après deux ans de répression et deux mois de confinement. Le mouvement peut-il reprendre ? Tour d’horizon parmi les principaux intéressés.

 

« Le problème numéro 1 des français ce n’est pas la Covid, c’est les poches vides », assène Jérôme Rodrigues. Bientôt deux ans que la figure des gilets jaunes, barbe fournie et verbe haut, rodé à l’exercice de la joute verbale, multiplie les phrases coup de poing. « Mon rôle ça a longtemps été d’empêcher les médias de dégueulasser le mouvement en me rendant sur les plateaux télé », rappelle-t-il.

Un statut qui, s’il a changé lorsque les caméras se sont détournées du mouvement, lui a donné une audience qu’il est loin d’avoir perdue aujourd’hui. « J’ai acquis un statut d’influenceur, même si je déteste ce terme et je m’en sers pour faire en sorte qu’un maximum de gens participe à nos actions. »

Aussi, depuis une dizaine de jours, le quarantenaire multiplie les apparitions dans les médias qui accordent encore un intérêt à la question des gilets jaunes – le Média ou RT pour les plus gros – et appelle à manifester le 12 septembre : « L’idée c’est de retrouver l’esprit du 17 novembre, premier jour des gilets jaunes, ce n’est pas un appel national à Paris, c’est un appel à ce que tout le monde manifeste où il le souhaite. Dans la capitale ou sur son rond point. »

 

Un mouvement toujours réprimé

 

Un pari osé en cette période. Les manifestations gilets jaunes, encore en capacité de rassembler plusieurs milliers de personnes en novembre 2019, ont été réduites à des cortèges de quelques centaines voire dizaines de personnes au moment du déconfinement, dans les villes où elles existaient encore.

« On venait le samedi au rendez-vous habituel mais il n’y avait plus que des policiers, ceux en moto, ils nous contrôlaient prenaient la photo de notre carte d’identité, collaient parfois 135 € d’amende », témoigne Francette, gilet jaune toulousaine historique.

 

Manifestation gilets jaunes 29 décembre 2018 à Toulouse. Crédit : GB

 

De fait, le monde d’après a été un monde sans grosse manifestation pour les gilets jaunes. Dans la ville rose, plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs été interdites au mois de mai à la demande des commerçants du centre-ville qui craignaient pour leurs affaires, à peine reprises. Par ses arrêtés d’interdiction, la préfecture renouait avec une technique déjà éprouvée pour juguler la contestation (notre enquête).

Dans ses conditions, il reste donc difficile de mobiliser. Jérôme Rodrigues, qui a perdu un œil en manifestant, suite à un tir de LBD, l’avoue lui-même : « On reste optimiste mais le 12 septembre ne sera pas forcément énorme. Aujourd’hui les gens ont peur de venir en manif et on les comprend, la flicaille ne nous a pas épargnés ». Les tribunaux non plus : près d’un après le début du mouvement, le ministère de la justice comptabilisait déjà plus de 3000 condamnations dont un tiers ayant donné lieu à des peines de prison ferme.

 

Retour des petits patrons ?

 

Ce n’est pas seulement « l’esprit du 17 novembre » que Jérôme Rodrigues souhaite voir revenir, c’est aussi sa sociologie. « Il faut faire revenir les petit patrons et les indépendants qui étaient là au début du mouvement. Pour ça j’ai de l’espoir, le confinement les a touchés de plein fouet et ils ont mille raisons d’être en colère ». Le plombier se réjouit ainsi de voir le collectif des « discothèques en colères », qui représente selon lui « 240 patrons et 1600 faillites », rejoindre l’appel du 12 septembre et même proposer une « nuit aux Champs-Elysées ». Jean-Marie Bigard a également dit qu’il participerait à la manifestation du 12.

Mais à Alès, Jean*, gilet jaune de la première heure, s’interroge sur cet éventuel retour des petits patrons. « Dans la ville ils étaient très présents au début du mouvement, certains ont plus ou moins essayé d’en prendre le contrôle en faisant élire des représentants, ce que la majorité des gilets jaunes ne voulaient pas… il y a parfois eu des bagarres. » D’après lui, leurs intérêts s’opposaient parfois à ceux des gilets jaunes. « Ils étaient contre les blocages économiques, ils voulaient s’attaquer uniquement aux impôts ou à la préfecture. » Dans la commune du Gard, ils sont finalement mis à l’écart et s’éloignent du mouvement. « Je ne pense pas qu’ils reviendront le 12 septembre même si c’est vrai qu’ils pourraient avoir leur place dans le mouvement : eux aussi ils sont paupérisés. »

 

S’accrocher au gilet ?

 

Jean, s’il participera au 12 septembre, ne pense cependant pas que le mouvement puisse retrouver l’énergie des mois de novembre et décembre 2018. « Il y a beaucoup de volontarisme de la part des gilets jaunes encore actifs, ils ne veulent pas voir le mouvement s’éteindre, mais on a perdu beaucoup de monde. »

« Je ne savais même pas qu’il y avait quelque chose le 12 », avoue Luc, gilet jaune présent presque tous les samedis entre novembre 2018 et juin 2019. « On a mené une belle bataille mais elle est finie. Par contre ce n’est pas la fin de la guerre, un autre mouvement viendra, l’objectif c’est toujours de détruire le capitalisme. Militant du RIC au sein de l’association article 3, il ne pense plus que la révolution viendra des gilets jaunes. « L’épisode des gilets jaunes ce n’était peut-être que des prémisses, autre chose viendra. Je ne pense pas qu’il faille être attaché au gilet au point de vouloir à tout prix relancer le mouvement. Mais je ne juge pas ceux qui le sont, je les comprends. »

Maria*, gilet jaune de 73 ans dont un enfant a été condamné à 8 mois de bracelet électronique à la suite d’une manifestation, fait partie de ceux qui ne veulent plus lâcher le gilet. « Le 12 septembre ? Je n’attendais que ça, rien n’a changé en France depuis le début des manifestations, c’est même pire qu’avant. Pourquoi on s’arrêterait ? ». Constat partagé par Francette : « Je ne peux plus m’arrêter, pas après toutes les violences policières subies, pas après toutes les insultes. On nous a fait passer pour des illettrés, des personnes sans culture politique, des violents. Moi ce que j’ai trouvé avant tout dans ce mouvement c’est beaucoup d’altruisme, des personnes qui n’avaient pas le même bord politique que moi mais qui se battaient à mes côtés pour la justice sociale. Il y a, parmi les gilets jaunes, des gens que je n’oublierai jamais. »

 

*Le prénom a été modifié à la demande des intéressés.