Le Village du peuple, à Donges, a été expulsé le jeudi 15 octobre. Des militant·e·s venu·e·s d’horizons différents s’opposaient à un projet de zone industrielle. Reportage sur ce lieu de vie, quelques jours avant l’intervention des forces de l’ordre.
En bordure de la départementale 4 vers Donges, à 14 kilomètres de Saint-Nazaire, une banderole annonce la couleur : « Martin-pêcheur contre marteau-piqueur ». Le 14 octobre au matin, la lutte continue de s’organiser au Village du peuple. Le lendemain, les habitant·e·s seront expulsé·e·s par environ 150 gendarmes mobiles.
« Le village du peuple est occupé depuis avril 2019. Il y a des bâtiments historiques, avec une grange, un four à pain datant de 1750 et différentes essences d’arbres. Certains sont bicentenaires. Autour, il y a 57 hectares de terres agricoles à protéger d’un projet de zone industrielle », explique Lilou*, arrivée en juin dernier. À l’entrée de la grange, dans le coin cuisine, des légumes de récupération sont stockés. Au fond du bâtiment, quelques canapés et un « free-shop » où chacun·e peut se servir en vêtements.
Cette ancienne ferme a d’abord servi de lieu d’hébergement de première nécessité, notamment pour des militant·e·s de la maison du peuple de Saint-Nazaire, issu.e.s des gilets jaunes. Elle s’est progressivement transformée en lieu de vie autogéré, brassant divers profils. Il y a celles et ceux qui s’installent pour plusieurs mois, tandis que d’autres bivouaquent le temps d’un week-end. On y trouve des militant·e·s sur leur première zone à défendre (ZAD) comme des acharné·e·s de la lutte, des écologistes, des zadistes venu·e·s tout droit du Carnet, de Besançon ou encore des Gilets jaunes de Saint-Nazaire.
« Nous sommes la Loire qui se défend »
Malgré cette diversité, toutes et tous sont d’accord pour ne pas laisser cette zone naturelle à la bétonisation. La ville de Donges est déjà dotée d’une zone d’activité industrielle : Six Croix. Bientôt, une nouvelle Zone d’Aménagement Concerté, Six Croix 2, va venir compléter la première. Les premiers travaux sont déjà entamés et le Village du peuple doit être totalement démoli. Cette nouvelle zone d’activité, qui devrait constituer le « 3e parc stratégique de l’agglomération », comprend 11 hectares de zones humides. Selon la Communauté d’agglomération de la région nazairienne et de l’estuaire (Carene), « les zones humides ainsi que le réseau de mares seront préservés de tout aménagement, à l’exception d’une petite zone humide d’environ 300 m2 largement compensée dans le projet. »
Des propos officiels nuancés par Lilou : « les chênes bicentenaires font partie du patrimoine naturel. Ils seront protégés, avec une coulée verte, mais du béton autour. Ils risquent tout de même d’être étouffés et coupés de leur oxygène. » Deux visions radicalement différentes s’affrontent. La première semble convaincue que zone industrielle et respect de l’environnement peuvent aller de paire. La deuxième, rêve la fin d’un monde où le béton est maître. « Le projet du Village du peuple, c’est de rendre la dignité aux humains et au vivant. On nous traite d’écoterroristes pour ça », lâche celui qui se fait appeler « L’Indien ». Assis en tailleur sur une palette, il ajoute brièvement : « Quand je suis arrivé ici, j’ai senti un truc fort. »
Cette lutte fait aussi écho à celle du Carnet, de l’autre côté de la Loire : une jeune ZAD fait barrage depuis un mois à un projet clé en main de zone industrielle. Ses occupant.e.s se rassemblent autour du slogan : « Nous sommes la Loire qui se défend ». « En parlant aux habitant·e·s, on se rend compte qu’il y a des espaces sauvages auxquels les gens tiennent », annonce Pauline*. Étudiante il y a encore quelques mois, elle a décidé de tout arrêter. « Je ne trouvais plus de sens quand je me levais le matin, alors que le monde s’effondre. »
Une joyeuse fourmilière
Au bout d’un poteau, un drapeau pirate ondule dans le vent. Contre un mur, on peut distinguer deux autres étendards : un drapeau breton et un gilet jaune. Depuis le 3 octobre, date de l’appel à soutien au Village du peuple, c’était l’effervescence : chacun·e s’affairaient, souvent par groupe affinitaire, à la protection du lieu. Certain·e·s à la préparation de barricades face au risque d’expulsion, d’autres à la construction d’un lieu d’accueil chaleureux pour les nouvelles et nouveaux arrivant·e·s, tandis que des équipes cuisine se relayaient. « Je pense que l’enjeu, c’est de regrouper les luttes, se fédérer et coopérer, pour bénéficier d’une énergie collective », avance Lilou.
Les Assemblées générales ont structuré quotidiennement cette joyeuse fourmilière autogérée. Stratégie, vie commune, communication, protection du lieu… On y parlait de tout et parfois de longues heures. Néanmoins, lieu de lutte ne rime pas automatiquement avec disparition des oppressions. « Ce sont plus facilement des hommes cisgenres, blancs, hétéros qui prennent la parole. Ils sont éduqués depuis toujours à le faire », annonce Louise*, une militante de passage. « Les vieilles habitudes ont la peau dure, même au Village du peuple ! »
Au fil du temps, des manières de faire plus horizontales se sont mises en place. « Des modérateur·ices dans les réunions ont permis plus d’écoute par exemple », détaille Louise. « À part la question des Assemblées, parfois compliquée, c’est incroyable ce qui a été fait, l’autogestion mise en place, la rapidité d’organisation, l’énergie des gens. » C’est finalement un lieu d’expérimentation qui a vu le jour à Donges, entre partage des pratiques militantes et cohabitation de divers milieux.
« On sait qu’on risque notre intégrité physique »
Concernant les poursuites juridiques, Nach et Will, ancien·e·s habitant·e·s, sont actuellement en procédure devant le tribunal. Un jugement a eu lieu le 20 mai dernier. Et le délibéré le 8 juillet. « Nous avons eu jusqu’au 6 octobre pour partir. Nous avons fait appel, pour passer la trêve hivernale. La réponse sera annoncée le 26 octobre », expose Nach.
Si ces deux occupant·e·s ont quitté les lieux d’eux même, la résistance a continué de s’implanter sur place et jusqu’à la dernière minute. « On sait qu’on risque notre intégrité physique, mais on n’est pas là pour attaquer », précise L’Indien. Depuis le 6 octobre, les militant·e·s s’attendaient à être délogé·e·s. « Le 6 au petit matin, c’était particulièrement stressant. On pensait uniquement à ça. On sait qu’ils sont vicieux et vont attendre le meilleur moment », explique Pauline. Ce moment est finalement arrivé une dizaine de jours plus tard.
Durant ce laps de temps, les occupant.e.s en ont profité pour poursuivre leurs projets : construire une douche, mettre en place un potager, publier des communiqués sur les réseaux sociaux… Des projets mis en échec en l’espace d’une matinée. Aussitôt le lieu évacué, il a été totalement démoli. Le lendemain, vendredi 16 octobre, des militant·e·s sont venus constater les dégâts. Résultat : un immense tas de gravats remplace désormais l’ancien corps de ferme.
* Les prénoms ont été changés ou des pseudos utilisés.
Photos : Malika Barbot
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