Changer la vie des femmes de chambre dans l’hôtellerie. C’était l’engagement de Marlène Schiappa en 2019. Un an et demi plus tard, les conditions de travail difficiles de ces travailleuses invisibles se sont-elles améliorées ? Rapports de force a mené l’enquête et gratté le vernis de la communication ministérielle. Spoiler : en politique, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
« Il faut privilégier le mieux-disant social, mais surtout se mettre autour de la table et prendre des engagements concrets qui, au-delà des bonnes intentions, vont vraiment changer la vie de ces femmes et surtout travailler contre une forme d’invisibilité. » L’engagement est pris par Marlène Schiappa, sur le plateau de Public Sénat, le 3 juillet 2019.
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— Public Sénat (@publicsenat) July 3, 2019
Pourquoi une telle sortie ? Au moment où Marlène Schiappa affirme prendre le problème à bras le corps, deux luttes se frayent un chemin dans les médias. Celle des femmes de chambre de l’hôtel quatre étoiles NH Collection à Marseille, en grève depuis le 11 avril 2019, et celle des hôtels Campanile et Première classe du pont de Suresnes dans les Hauts-de-Seine, en grève depuis mai 2019. Ces deux mouvements font suite à celui du palace Park Hyatt, quelques mois plus tôt à Paris. Un conflit victorieux après 87 jours de grève. Par ailleurs, le sujet fait irruption dans un contexte où les familles de victimes se mobilisent fortement contre les féminicides. Marlène Schiappa y répond par l’annonce début juillet d’un Grenelle des violences conjugales, deux ans après les déclarations de Macron faisant de la violence faite aux femmes une « grande cause nationale ».
Déclarations d’intentions…
Ce ne sont pas les premières déclarations publiques de Marlène Schiappa sur ce thème. « Je veux défendre les femmes de chambre », clamait-elle déjà en juin 2019, dans une interview accordée au journal Le Parisien. Le quotidien précisait alors que ces femmes faisaient l’objet d’une attention gouvernementale toute particulière. La secrétaire d’État semblait confirmer ces dires en affirmant : « Sans attendre, j’ai pris contact avec les fédérations et principales agences qui emploient ces femmes. Je les réunis au ministère dans les prochaines semaines pour que chacun puisse partager des engagements concrets. » Sur ce point, elle tient parole. Elle convoque une réunion et lance dans la foulée une mission sous son égide, pour améliorer les conditions de travail de ces employées de la sous-traitance au service de l’hôtellerie.
Cependant, au-delà de la volonté affichée, l’opération semblait mal engagée. En effet, si la Fédération des entreprises de propreté (FEP), principale organisation patronale du secteur, a participé à la réunion qui a bien eu lieu le 3 juillet 2019, aucune représentation de salariés, à notre connaissance, n’était de la partie. Selon leurs dires, ni la CGT des hôtels de prestige et économique (HPE) ni la CGT Propreté n’ont été conviées. Idem pour la CFDT Francilien de Propreté ou la CNT Nettoyage.
« Côté patronal ce n’était même pas les représentants des entrepreneurs de l’hôtellerie qui y assistaient, mais les entreprises de la sous-traitance avec qui les syndicats sont en conflits », ajoute Claude Levy, syndicaliste CGT HPE. Dans ces conditions, difficile à l’issue de cette réunion, de « partager des engagements concrets », comme l’évoquait Marlène Schiappa. Contactée à maintes reprises, la FEP ne donnera pas plus d’informations sur le contenu de la réunion, et d’éventuels engagements, au-delà de son communiqué plutôt évasif du 4 juillet 2019. Le ministère confirme par ailleurs qu’aucune conclusion de cette rencontre n’a été rendue publique.
… non suivies d’effets
Dans la foulée, madame Schiappa s’était engagée à confier en septembre 2019 une mission sur les conditions de travail des femmes de chambre au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, une instance consultative de l’État français. Elle précisait : « C’est une instance de dialogue social que je préside, avec les syndicats de salariés, patronaux, personnalités qualifiées, qui me fera des propositions avant la fin de l’année pour améliorer leur situation. »
Interrogé à plusieurs reprises sur les travaux en cours et les éventuelles conclusions ou points d’étape de cette mission, le service presse de Marlène Schiappa, devenue ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, en charge de la citoyenneté, informe : « Ce n’est plus de notre ressort », et renvoie vers le ministère de l’égalité en charge de cette question. Ce dernier, également contacté à de multiples reprises, finit par lâcher : « Des travaux et des réflexions ont effectivement été menés par les services du ministère en charge de l’égalité, notamment avec des professionnels du secteur de la propreté intervenant dans l’hôtellerie. Ces travaux n’ont cependant pas donné lieu à des rapports ou à des notes accessibles au public. »
Interrogé pour savoir si des décisions concernant les conditions de travail difficiles des femmes de chambre ont été prises consécutivement à ces travaux, une fonctionnaire répond laconique : « Il s’agit encore à ce stade de travaux préparatoires qui n’ont pas vocation à être diffusés. » Une réponse pour le moins étonnante, un an et demi après le lancement de la mission. Précision apportée finalement par téléphone, les travaux sont « suspendus », sans que cette suspension soit officielle. Les Ministères se renvoient la balle et nous n’en saurons pas plus. Rien n’a filtré non plus sur la nature de ces travaux. Aucune proposition palpable, qui permette d’imaginer les pouvoirs publics s’attelant aux problèmes de ces femmes de chambre.
Un système qui perdure, où « sous-traitance » rime avec « maltraitance »
Un an et demi après les prises de position tonitruantes de Marlène Schiappa, qu’en est-il du quotidien de ces travailleuses de l’ombre ? Pour les syndicats, rien n’a changé. La mission ? « C’était juste pour se donner bonne conscience », confie Patrick Djibongo, de la CFDT Propreté Île-de-France. « Les conditions de travail n’ont pas évoluées depuis les prises de position de madame Schiappa, mais, au contraire, vont en se dégradant. » Même son de cloche du côté de la CGT HPE. « Il n’y a rien qui a été sérieusement mis en œuvre quant à l’amélioration des conditions de travail », assure Claude Levy. Ce que confirme Étienne Deschamps de la CNT-SO Nettoyage : « les annonces de Schiappa n’ont eu aucun effet sur la réalité. Les salariées continuent à souffrir ».
Au sein de l’hôtellerie, les « agents de propreté » restent confrontés aux cadences infernales du travail à la tâche, payé à la chambre pour des sociétés de sous-traitance. Les travailleuses, d’une branche largement féminisée et invisibilisée du fait des horaires décalés, subissent la crise de plein fouet et beaucoup ne perçoivent plus l’entièreté de leur salaire au titre du chômage partiel.
C’est le cas de madame Camara, gouvernante depuis 12 ans, dont cinq passés au service de l’entreprise de nettoyage Stella, sous-traitante de l’établissement de résidences hôtelières de luxe Citadines à Saint-Germain-des-Prés. Depuis mars 2020, elle ne perçoit que 84 % de son salaire, insuffisant pour vivre avec des enfants à charge. Pour ses collègues, qui parfois travaillent encore, elle précise : « nous travaillons dans les mêmes conditions, nous attendons un changement depuis les belles déclarations de madame Schiappa, mais il ne vient pas. Il n’y a pas d’amélioration de salaire non plus ».
Les conditions de travail difficiles, elle connaît. Les chariots sont lourds à déplacer d’une chambre à l’autre, la cadence est intenable. « Nous devons nettoyer des appartements de 8 chambres en 4 heures ! » Un logiciel calcule les heures en fonction du nombre de chambres, donc même si l’entreprise estime payer à la journée, en réalité c’est à la tâche ou à la chambre que la paie est estimée, explique-t-elle. S’il faut plus de temps pour accomplir la tâche, c’est du travail gratuit en plus pour l’employeur qui ne les rémunère pas. « Les heures supplémentaires ne sont pas payées. Certaines femmes s’en sortent avec 400 ou 800 euros par mois selon les cas » poursuit madame Camara. Selon elle, l’entreprise Stella contacte les femmes de chambre par téléphone ou SMS pour aller travailler le jour même, sans qu’elles sachent où elles seront affectées.
La question des heures non payées n’est pas une exception. Elle était même un des motifs de la grève à laquelle a participé Manuela. Cette femme de ménage, qui travaille depuis 2018 à l’hôtel NH Collection de Marseille, réclamait une augmentation de salaire et un 13e mois. « Les fiches de paie n’arrivaient pas toujours à la maison », se rappelle-t-elle. Depuis le 1er décembre 2020, la société pour laquelle elle travaillait, Elior, a été remplacé par Acqua. Mais Manuela constate que rien n’a changé. « Avec Acqua, ce sont les mêmes conditions qu’avec Elior. »
L’absence d’amélioration des conditions de travail, c’est aussi ce que constate Slim Ben Achour, l’avocat des femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles à Paris, en lutte depuis plus d’un an. Elles « doivent payer leur repas à la cantine des salariés de l’hôtel et même leur eau », s’insurge celui qui a saisi pour elles le conseil des Prud’hommes de Paris le 16 décembre dernier. Avec cette nouvelle procédure contre le groupe Accor, il espère faire de l’audience « le procès de la sous-traitance de la discrimination ».
Loin de s’améliorer, la situation des femmes de chambre aurait même tendance à se dégrader avec la crise sanitaire. Outre les manques de protection dans certaines entreprises sous-traitantes, les nuages s’amoncellent avec des annonces de suppressions d’emplois dans le secteur. Dernier en date, le géant de l’hôtellerie Accor, via sa filiale AccorInvest, qui prévoit moins 1 880 postes en Europe, dont près de 767 en France d’ici la fin de l’année. Des annonces qui n’ont pas fait réagir Marlène Schiappa pour « défendre les femmes de chambre ».
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