Ces derniers mois, et encore tout récemment, l’exécutif multiplie les déclarations autour des salaires des enseignants. Entre chiffres imprécis pour la communication et annonces qui n’en sont pas, difficile d’y voir clair. Rapports de Force fait le point sur ce que l’on sait pour la rentrée 2023.
Lors d’une visite dans un collège de l’Hérault le 20 avril, Emmanuel Macron a annoncé une augmentation salariale des enseignants de « 100 à 230 euros net par mois ». Lors de son allocution télévisée du 17 avril, le chef de l’État avait soutenu que l’éducation était une de ses priorités. Le lendemain, le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye avait apporté des précisions : « pour 310 000 professeurs, dans les quinze premières années de leur carrière, (…) les hausses sont comprises entre 8 et 11% net ». Les enseignants en deuxième moitié de carrière bénéficieront aussi d’une hausse inconditionnelle, mais seulement de « 3 à 4% » a-t-il détaillé.
Reste l’idée de missions supplémentaires basées sur le volontariat, qui permettraient aux enseignants de gagner « jusqu’à 500 euros par mois », a communiqué Emmanuel Macron. Dans cet amas de chiffres, comment s’y retrouver ? Ces « annonces », comme l’a maintes fois titré la presse, en sont-elles réellement ?
En réalité, elles n’ont rien de nouveau. « Tout est dans la communication, y compris les chiffres annoncés par le Macron », soupire Guislaine David, co-secrétaire général du Snuipp-FSU (syndicat enseignant du premier degré). « On voit bien que le président veut conclure cette question de la revalorisation salariale pour passer à autre chose ».
Augmentation des primes ISAE/ISOE et d’attractivité
Faisons le point. D’abord, la revalorisation socle, sans condition. Pour tous les enseignants du second degré, la prime ISOE (« indemnité de suivi et d’orientation des élèves ») va passer de 1 256 euros brut annuels à 2 550 euros brut annuels, dès septembre. Pour ceux du premier degré, l’équivalente prime ISAE (« indemnité de suivi d’accompagnement des élèves ») va passer de 1 200 euros brut annuels à 2 550 également.
« Je vais donc avoir 96 euros en plus sur ma fiche de paie du mois de septembre », explique Guislaine David, qui se situe plutôt en fin de carrière. Pour les enseignants qui, comme elle, se trouvent en seconde moitié de carrière, c’est la seule augmentation garantie.
En revanche, pour ceux qui se trouvent dans leur première moitié de carrière – « jusqu’au septième échelon », précise la responsable syndicale – la prime d’attractivité sera également revalorisée. Cette prime avait été instaurée suite au Grenelle de l’éducation sous l’égide de Jean-Michel Blanquer. « Elle ne concernait déjà que la moitié des enseignants », rappelle Guislaine David. Ainsi, grâce à l’augmentation couplée de l’ISAE/ISOE et de cette prime d’attractivité, les enseignants dans leur première moitié de carrière verront leur rémunération grimper de 10 %.
Attention toutefois : toutes les primes précédemment citées restent des primes : elles ne sont que faiblement prises en compte dans le calcul de la retraite.
Loin de la promesse initiale de 10 % pour tous
Pour mieux s’y retrouver, un simulateur en ligne a été développé par le Snuipp-FSU. Il permet de visualiser son augmentation salariale en fonction de son grade, de son échelon et de son temps de travail. « Moi je suis à 3,2 % par exemple », cite Guislaine David. Pour rappel, l’inflation était de 5,2 % en 2022 selon l’INSEE. « Nous, on demandait 300 euros net pour tous. Pour rattraper les 15 ans de déclassement salarial, et le décrochage par rapport au niveau européen », rappelle la responsable syndicale.
Dans l’entre-deux tours, ainsi qu’à la rentrée 2022, Emmanuel Macron avait promis aux enseignants 10 % d’augmentation, pour tous, et sans condition. Aujourd’hui, on sait qu’entre 0 et 10 ans de carrière, les enseignants auront ces 10 % d’augmentation. « Mais ensuite, ça redescend », décrit Guislaine David. Une fois passés les 15 ans de carrière, on est plutôt autour de « 3,8 d’augmentation. L’augmentation moyenne globale doit être à peine de 5 % ». Loin, très loin de la promesse initiale.
Pour 2023, 635 millions d’euros sont dédiés à ces revalorisations sans condition. En complément, 300 millions sont dédiés à des revalorisations conditionnées à la réalisation de missions basées sur le volontariat. C’est le fameux « pacte », décrié par la majorité des organisations syndicales.
Le « pacte », l’autre volet décrié de la hausse des salaires des enseignants
Les bénéficiaires seront ceux qui auront accepté un ensemble de missions annexes. Chaque mission est rémunérée 1250 euros brut annuel, pour des horaires variables – de 18h à 24h de travail annuel. S’il réalise un « pacte » complet, de trois missions, un enseignant pourrait donc toucher jusqu’à 3 750 euros brut par an. Sauf que nombre d’entre eux expriment d’ores et déjà leur désaccord de principe, et l’incompatibilité des missions avec leur emploi du temps, comme le souligne un sondage réalisé par 20 Minutes.
On sait qu’il existera deux grandes catégories de missions. D’abord, les activités pédagogiques en présence des élèves. Pour le premier degré : dispositif « Devoirs faits », soutien renforcé aux élèves en difficulté, sessions de soutien pour les élèves entrant en 6ème… Cette dernière mission n’a été ajoutée que récemment au « pacte ». « Il existe déjà des temps de soutien en primaire », rappelle par ailleurs Guislaine David, circonspecte.
Pour le second degré : dispositif « Devoirs faits », accompagnement dans le cadre des « stages de réussite » pendant les vacances, et… « Remplacements de courte durée de collègues absents ». « Cela vient pallier le manque de personnel ; le ministère a supprimé 8 000 postes en six ans », avait réagi à ce sujet Maud Valegeas, responsable nationale de Sud Éducation, interrogée par Rapports de Force en février. 1 500 postes seront à nouveau supprimés à la rentrée 2023. « Le remplacement en interne est déjà possible, mais les enseignants le font très peu car c’est une surcharge de travail importante ».
Les lycées pro dans le flou quant aux salaires de leurs enseignants
Reste un grand flou : l’enseignement professionnel. Les enseignants des lycées professionnels auront bien des missions spécifiques. Mais pour l’heure, les syndicats n’en connaissent pas du tout le contenu. Celles-ci seront définies « dans le cadre de la réforme de la voie professionnelle », indique la communication ministérielle.
D’ici la rentrée de septembre, il ne reste quasiment plus de marge de négociation aux syndicats. Le 13 mars, le ministère avait organisé une réunion de synthèse et rendu ses arbitrages. Cette dernière réunion « n’avait pas abouti : nous avions tous claqué la porte », rappelle Guislaine David. Depuis, le ministre et le président communiquent essentiellement par voie de presse. Les mesures doivent passer par décrets dans les prochains mois. « Peut-être qu’il y aura une réunion finale avant la rentrée… Mais on ne sait pas trop », conclut la co-secrétaire générale du Snuipp-FSU.
Crédit photo : F.Blanc – Force Ouvrière
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