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Les lycées professionnels face à la « guerre éclair » du ministère

Ce jeudi, le personnel enseignant des lycées professionnels est de nouveau en grève contre le projet de réforme profonde du secteur. Le gouvernement prévoit une mise en oeuvre « progressive » de cette réforme dès janvier 2023, à la rentrée des vacances d’hiver. Face à ce calendrier très resserré, les organisations syndicales espèrent amplifier la dynamique de mobilisation, un mois après une première grève très suivie. 

 

Dans son lycée professionnel à Sarcelles (Val-d-Oise), Hassen Ben Lahoual, professeur de lettres histoire-géographie, a dénombré 60 % de ses collègues en grève le 18 octobre. Un mois après cette première date réussie, rebelote. Les voilà de nouveau en grève ce jeudi, comme partout ailleurs sur le territoire. « On va se réunir devant le lycée le matin, puis l’après-midi on ira au rendez-vous de la manifestation. Le 18 octobre, nos élèves se sont mobilisés et nous n’étions pas présents devant le lycée : cette fois, on ne voudrait pas rater le coche », expose Hassen Ben Lahoual.

Difficile de déterminer si la mobilisation de ce jeudi sera aussi forte que celle du 18 octobre. En plus d’avoir réuni près de 60 % des effectifs (selon les syndicats), cette dernière date avait marqué l’émergence d’un front syndical uni. Uni comme jamais il ne l’avait été ; y compris lors de la réforme Blanquer de l’enseignement professionnel en 2019. Ce jeudi, seule la CFDT n’a pas appelé à la grève nationalement. Et encore, certaines sections locales l’ont fait.

La réforme prévue par le ministère est « structurelle : on change vraiment le métier, les objectifs », souligne Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU, par ailleurs professeur dans un lycée professionnel en Ille-et-Vilaine. « Il y a de la colère face au fait qu’un tel projet de réforme soit aussi rapide et imposé ». En face, « le ministère va vite, en guerre éclair : car ils ont conscience que sur le terrain, ce n’est pas accepté ».

 

« On ne voulait pas entrer dans le piège d’une pseudo concertation »

 

De fait, le ministère de l’Éducation nationale va vite, très vite. Les concertations avec les organisations syndicales ont été lancées le 21 octobre, trois jours, donc, après la première grève du secteur. Certains syndicats ne s’y sont pas rendus, comme le SNETAA-FO ; d’autres n’étaient pas conviés, comme Sud Education. D’autres enfin, comme le SNUEP-FSU et la CGT Educ’action, ont quitté la table au bout d’une dizaine de minutes. « On ne voulait pas rentrer dans le piège d’une pseudo concertation », résume aujourd’hui Philippe Dauriac, secrétaire national de la CGT Educ’action en charge de la voie professionnelle.

« Avant de discuter d’une énième réforme, on veut un état des lieux réel et sincère », complète sa collègue Catherine Prinz, également secrétaire national de cette branche. De fait, la réforme Blanquer de 2019 est encore toute proche. « On vient juste d’avoir la cohorte de jeunes passant le nouveau bac en juin, et on a tiré aucun bilan de cette importante réforme », rappelle Aurélien Boudon, responsable SUD éducation.

Au-delà du manque de recul et d’expertise, ces organisations syndicales s’indignent d’un cadre de concertation biaisé. La ministre déléguée, Carole Grandjean, « nous a redit que les éléments socles de la réforme ne sont pas négociables », déplore Axel Benoist du SNUEP-FSU. À savoir, l’augmentation de 50 % des périodes de stage en entreprise au détriment des cours. Ou encore, le renforcement de l’autonomie des établissements, avec un choix des disciplines et des volumes horaires consacrés décidé établissement par établissement, en fonction du bassin d’emploi local.

Lycée professionnel : avec la réforme « c’est l’éducation qui va se plier aux besoins d’emplois locaux »

Même les syndicats participant aux concertations (UNSA, SNALC…), organisées en quatre groupes de travail, critiquent le cadre établi. « Nos organisations syndicales ne peuvent pas valider le bilan présenté par le ministère et qui lui sert de base pour les concertations. Elles revendiquent un état des lieux partagé, honnête et rigoureux préalable, sans lequel elles considèrent inacceptable d’envisager une quelconque réforme », écrivent-ils ainsi dans le dernier communiqué intersyndical du 12 novembre.

 

Des expérimentations début 2023 dans des lycées professionnels

 

Interrogé sur le périmètre des concertations, le ministère de l’Éducation nationale reste flou. « À ce stade, la réforme n’est pas écrite, les choses vont se mettre en place de manière très progressive à compter de la rentrée scolaire 2023-2024 ». Les quatre groupes « vont dans un premier temps travailler jusqu’aux congés de Noël, il n’est pas exclu qu’ils puissent encore se réunir au-delà si besoin », nous précise-t-il. En parallèle, « des auditions déborderont sur le mois de janvier, avec pour objectif d’avoir des conclusions pour la fin février 2023 ».

La mobilisation du 18 octobre « s’est traduite par une inflexion dans le discours de Carole Grandjean sur le fait que “rien n’est arrêté, tout est discutable”. Ces éléments de langage là, on les a déjà subi lors du Grenelle de l’Education », dénonce Philippe Dauriac de la CGT Educ’action. « C’est une inflexion stratégique pour gagner du temps ».

Dans les faits, le ministère a d’ores et déjà annoncé que des expérimentations seraient déployées dès début 2023, à la rentrée des vacances d’hiver. « On est le 15 novembre, les vacances c’est le 17 décembre. Qu’est ce que ça veut dire, des groupes de travail d’un mois sur des sujets aussi importants ? » peste Philippe Dauriac. « Ce calendrier à marche forcée est assez contradictoire avec le discours selon lequel “on peut discuter de tout”. On peut discuter de tout, mais pas pendant trop longtemps, apparemment ! », ironise de son côté Aurélien Boudon de Sud Education.« On entretient un flou savant, plutôt que d’abattre cartes sur table », regrette-t-il.

Quels axes de la réforme seront mis en oeuvre dans ces expérimentations ? Quelle est la cartographie des établissements volontaires ? « Il est trop tôt pour répondre à vos questions », nous indique en effet le ministère.

 

« Si le gouvernement s’obstine, il faudra partir en grève reconductible »

 

Le passage de l’ensemble de la réforme se fera par modification des textes réglementaires. C’est-à-dire sous forme d’arrêtés, et non par une loi débattue au Parlement. La voie rapide, donc. Ce schéma implique un examen par le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), une instance consultative placée sous la présidence du ministre chargé de l’Education nationale. Mais « on sait pertinemment ce qu’il advient des textes présentés, quand bien même ils partent avec un avis défavorable du CSE : ils sont très rapidement mis en oeuvre », soutient Catherine Prinz de la CGT Educ’action, qui y siège. « C’est en cela qu’on qualifie cette réforme d’autoritaire, voire de pyramidale ».

La grève de ce jeudi ne sera donc « pas suffisante en elle-même. On est sur un rapport de forces de moyen ou long terme », présage Axel Benoist du SNUEP-FSU. D’aucuns comptent répondre plus fortement à cette « offensive très importante qui signe la fin du lycée professionnel tel qu’on le connaît aujourd’hui », comme Aurélien Boudon de Sud Éducation : « si le gouvernement s’obstine, il faudra partir en grève reconductible ».

D’autres espèrent élargir la mobilisation au-delà du personnel enseignant des lycées professionnels. « Les parents d’élèves sont concernés. Et surtout les jeunes, puisque c’est leur avenir qui se joue ! », rappelle Catherine Prinz. Après la grève du 18 octobre, Hassen Ben Lahoual et ses collègues ont expliqué leur mouvement à leurs élèves de Sarcelles. « L’augmentation des périodes de stage en entreprise les scandalise. Ils savent que cela signifie qu’ils apprendront moins… Et qu’ils ne seront pas payés en stage – seuls 2 à 3 % d’entre eux le sont », affirme l’enseignant.

Pour gagner en ampleur, des organisations syndicales souhaitent faire plus de lien avec le mouvement social interprofessionnel. « C’est un enjeu de société : on a une remise en cause de la qualification professionnelle » martèle ainsi Catherine Prinz. L’enjeu est aussi de mieux s’ancrer à l’échelle très locale. Les menaces de fermeture de plusieurs lycées, comme en Ile-de-France, soulèvent actuellement des réactions sur lesquelles la CGT Educ’action compte par exemple s’appuyer. « C’est une manière de toucher davantage les parents d’élèves et les jeunes », conclut la responsable.