Le 23 janvier, le SNALC Créteil organise une journée de formation autour du thème « Faire face à la violence ». Mais un communiqué signé par plusieurs syndicats de Seine-Saint-Denis s’émeut. Le SNALC a décidé d’inviter un ancien brigadier major de la bac ainsi qu’un médiatique ancien instructeur du Raid aux idées d’extrême droite, Robert Paturel, pour la dispenser.
« C’est un dévoiement des outils syndicaux qui a pour but de favoriser les idées d’extrême droite », dénonce Jacques Dematte, militant pour Sud Éducation 93. En ce jour de rentrée 2025, son syndicat, ainsi que plusieurs autres de Seine-Saint-Denis (SNUIPP 93, SNES 93, SNASUB, SNUEP Créteil, CGT éduc’action 93, CNT éduc 93) ont signé un communiqué commun. Ils constatent que leurs homologues du SNALC Créteil (Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur) ont prévu d’organiser, le 23 janvier, « un congrès » (équivalent d’une formation) intitulé « Faire face à la violence ». Et les profils des invités les alertent.
Robert Paturel, ex-policier habitué des médias d’extrême droite
Pour animer la journée, le syndicat a invité, outre un de ses membres, spécialiste des « conditions de travail », deux anciens policiers aux profils surprenants. L’un, Didier Weber est un ancien brigadier major de la BAC, spécialiste en arts martiaux. L’autre, Robert Paturel, a été instructeur au sein du RAID. Champion de France de savate, il anime désormais des ateliers de self défense, tourne dans des films ou se fait inviter sur des chaînes Youtube de combat. Médiatique, il est aussi connu pour sa participation aux mouvements de policiers non syndiqués en 2016 ou encore pour des sorties médiatiques aux relents d’extrême droite.
Dans une interview donnée au média identitaire et complotiste Breizh Info, en décembre 2015, il reprenait par exemple des propos racistes liés à la théorie du grand remplacement : « Il faut que les gens sachent que les musulmans seront majoritaires dans une trentaine d’années, peut-être moins vu les flux de réfugiés. Et cette fois nous serons bien contraints de filer doux ou de disparaître », citent les syndicats signataire du communiqué. En 2022, Robert Paturel était également l’invité du média d’extrême droite TV Libertés. « Nous avons lu le communiqué de nos collègues. Le fait qu’il ne soit signé que par des syndicats du 93 nous interroge, car notre formation concerne toute l’académie. Nous n’avons pas fouillé le profil de tous nos intervenants, mais nous avons fait remonter cela à notre instance nationale, pour l’instant nous attendons une réponse », se dédouane Franck Mouls, co-secrétaire général du SNALC Créteil.
Envoyée par mail aux 30 000 enseignants du second degré (collège lycée) de l’académie de Créteil, l’invitation du SNALC doit permettre de remplir les 150 places d’une des salles de la Chambre de commerce et d’industrie de Bobigny. L’événement affiche déjà complet.
Comment parler violences à l’école ?
L’organisation de cette formation n’a pas tardé à faire réagir les syndicats enseignants, notamment en Seine-Saint-Denis. Pourquoi ce département en particulier ? Parce qu’il vient tout juste de se doter d’un « Visa », association de vigilance antifasciste animée par différents syndicats, qui mène un travail de veille sur les actions de l’extrême droite. « Quand on a vu qui étaient les invités de cette journée, on s’est dit qu’il fallait réagir et informer nos collègues », explique Karim Bacha, co-secrétaire de la FSU 93 et membre de Visa 93. « Nous sommes habitués aux discours sécuritaires du SNALC. Même si nous ne sommes pas d’ accord avec eux, ils relèvent de leur droit syndical. Or, cette fois, l’organisation de ce congrès nous semblait franchir certaines lignes rouges », continue Jacques Dematte de Sud Éducation 93. Le syndicaliste dénonce avant tout « un gloubi boulga ».
« On ne sait même pas de quelle violence ils parlent. Contre les élèves, contre les enseignants ? Le RAID intervient dans des situations particulièrement violentes, qui peuvent, par exemple, rappeler l’assassinat de notre collègue Dominique Bernard. En choisissant ce genre d’intervenant pour parler des violences scolaires, on n’est pas dans une réflexion pédagogique mais dans un discours idéologique qui amalgame tout », poursuit le syndicaliste.
Karim Bacha abonde : « La question de la violence est une question vive chez les enseignants. Mais pour y répondre on ne pense pas que proposer de mettre des gants de boxe soit une solution. De notre côté, si un collègue est victime de violence, on insiste pour qu’il puisse faire valoir son droit de retrait, qu’une plainte soit déposée rapidement, ou encore que la protection fonctionnelle soit mise en place. Ce n’est pas ce qu’on va dire en premier à un collègue s’il est agressé, mais on rappelle aussi que la violence des élèves est souvent le reflet d’une fragilité sociale. On le voit bien dans notre département. Pour y répondre de manière structurelle, il faut donc plus de moyens pour l’éducation. »
Vu le profil des intervenants, les syndicalistes craignent enfin quant à la nature des discours tenus lors de cette formation. « Lorsqu’on parle de violences dans les établissements scolaires populaires, en Seine-Saint-Denis par exemple, il n’est pas rare que l’on fasse le lien avec les personnes racisées, ce qui est intrinsèquement raciste », rappelle Jacques Dematte.
Le SNALC en eaux troubles
La formation du SNALC « Faire face à la violence », dispensée par Didier Weber et Franck Paturel, a déjà été dispensée sous l’égide du SNALC-Champagne au sein de l’académie de Reims, dans un collège de Cormontreuil (51). « Cela n’a soulevé aucune opposition et s’est très bien passée », argumente Franck Mouls du SNALC-Créteil. Pour ce syndicaliste, la formation aborde « tous les types de violences ». « Dès la maternelle, des enseignants se font mordre par leurs élèves », insiste-t-il. Lorsqu’on lui demande en quoi des anciens membres du RAID et de la BAC peuvent aider à répondre à cette problématique, il assure que les violences se perpétuent au fil de la scolarité et que la formation porte aussi sur « l’aspect dialogue ». Franck Mouls réfute enfin de possibles rapports entre le SNALC et l’extrême droite. « Nous sommes un syndicat apolitique, c’est dans notre article premier », soutient-il.
La question de l’orientation politique du SNALC fait débat de longue date au sein des milieux syndicalistes enseignants. S’il a l’habitude de se déclarer « apolitique », le syndicat est considéré comme le plus à droite des syndicats enseignants. C’est notamment ce que soutient une étude de l’Irhses (Institut de recherche sur l’histoire du syndicalisme enseignant dans le second degré, créé par le SNES-FSU) datée d’octobre 2018.
« D’une part, [la] direction [du SNALC] et la grande majorité de ses cadres se retrouvent indéniablement plus dans les organisations politiques de la droite classique que dans le FN.
D’autre part, les mêmes sont bien conscients du tropisme électoral en faveur du SNALC de la partie du monde enseignant qui se retrouve dans les positions de ce parti, et ne souhaite sans doute pas complètement s’en couper.
Enfin, la lecture purement neutraliste (« ni droite, ni gauche ») de l’indépendance syndicale que le SNALC défend, lui permet de mettre sur le même plan le FN et les autres organisations politiques. »
« Il ne faut pas se leurrer, les idées du SNALC peuvent être populaires chez les collègues. Dans cette période de montée de l’extrême droite, il faut y être particulièrement attentifs», assure Jacques Dematte de SUD Éducation.
Le SNALC ne dispose pas de siège dans l’académie de Créteil, où il arrive loin derrière la FSU, mais aussi la CGT et SUD. Mais il pèse toutefois 6,21% des voix (environ 25 000 voix) aux dernières élections nationales des comité social d’administration (CSA), derrière la FSU (34%), l’UNSA (19,37%), ou encore la CGT (6,64%), mais devant SUD (5,09%). Il dispose ainsi d’un siège dans cette instance.
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