De la guerre en Israël-Palestine au meurtre d’un professeur à Arras, Gérald Darmanin a profité des drames de ces dernières semaines pour préparer le terrain à sa loi Immigration. Pour ce faire, il a multiplié les déclarations les plus droitières, mêlant suspicion permanente et islamophobie.
Accord avec la droite ou 49-3 ? Les tractations politiques autour de l’article 3 du projet de loi immigration, qui concerne la régularisations de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension concentrent l’attention des commentateurs politiques. Car c’est autour de cet article que se jouera le vote final de la loi à l’Assemblée nationale : Les Républicains et le Rassemblement National n’en veulent pas, mais la majorité a besoin de leurs voix pour éviter un nouveau 49-3. Jugé cosmétique, insuffisant, voire véhiculant une vision utilitariste de l’immigration par une partie de la gauche et les collectifs de lutte, le volet régularisation semble pourtant ne plus intéresser que « l’aile gauche » de la majorité.
Car derrière les discussions sur l’article 3, se joue en réalité l’adoption d’une des lois les plus fermes sur l’immigration depuis 30 ans. « Ce qui nous inquiète, c’est que les discussions sur l’article 3 invisibilisent totalement le reste de la loi. Qu’il passe ou pas, cet article ne changera pas grand-chose et le patronat continuera à surexploiter des sans-papiers à régulariser ceux qui les intéressent », pointe Cybèle David, secrétaire nationale de Solidaires, et membre du collectif Uni·e·s contre l’immigration jetable (UCIJ).
La récupération politique du meurtre d’un professeur à Arras
Trois jours après le meurtre de Dominique Bernard à Arras, le ministre de l’Intérieur s’est lancé dans un exercice de récupération politique au service de sa loi. « Le texte d’immigration tel que nous l’avons proposé et adopté par la commission des lois du Sénat nous aurait permis d’obtenir la levée des protections du terroriste d’Arras », affirme Gérald Darmanin le 16 octobre lors d’un point de presse à Beauvau.
Un discours opportuniste qui a notamment jeté en pâture de nombreuses associations de défense des étrangers, comme le MRAP, RESF ou la Cimade, accusées d’avoir empêché l’expulsion de la famille de l’assassin en 2014. Dans une interview pour Mediapart, la secrétaire générale de l’association Fanélie Carrey-Conte a évoqué « un déferlement de menaces, d’intimidation et d’insultes », tout comme « des incitations à la dégradation de nos locaux sur les réseaux sociaux, des messages haineux adressés par courriel ou des appels téléphoniques ». « C’est extrêmement inquiétant, alarme Cybèle David. Des CADA ont été la cible de groupes d’extrême droite il y a quelques mois, on voit l’articulation entre ce genre de discours et les passages à l’acte de groupes violents, dont le gouvernement a la responsabilité », poursuit-elle.
Le vrai visage de la loi immigration
Le cœur de la loi, pourtant, n’a toujours pas bougé d’un pouce depuis le début de l’année, où il a été amendé par le Sénat, puis repoussé au-delà du mouvement de contestation contre la réforme des retraites. « Ce qui est en train de changer, c’est la manière dont ils en parlent. Ils présentent enfin le vrai visage de ce projet de loi », signale Mathieu Pastor, l’un des animateurs de la Marche des Solidarités, présente dans la rue depuis bientôt un an contre ce projet. Si la loi était présentée comme « équilibrée » par Gérald Darmanin il y a encore quelques mois, du fait de son volet régularisation, le ministre de l’Intérieur s’est recentré sur son volet répressif pour justifier l’urgence de son adoption.
« Ils sont de plus en plus transparents, ça illustre depuis le début le rôle que joue ce projet de loi dans la volonté du gouvernement d’imposer un débat sur des thèmes racistes et xénophobes », analyse Mathieu Pastor. Sur BFM TV, le ministre de l’Intérieur a soutenu que des « compromis » pouvaient être trouvés pour des éléments « qui ne sont pas centraux », en référence au volet régularisation. Des compromis qui peuvent aussi être trouvés avec la droite, puisque Gérald Darmanin a déjà affirmé être prêt à valider les amendements des sénateurs Les Républicains, qui souhaitent notamment supprimer l’aide médicale d’État (AME), qui permet aux étrangers sans-papier de bénéficier de l’accès aux soins.
Karim Benzema et le complotisme islamophobe
Gérald Darmanin s’est aussi attaqué au footballeur Karim Benzema, l’accusant de faire partie de la galaxie des Frères musulmans. En tentant de relier le footballeur aux attaques du Hamas contre Israël, le ministre de l’Intérieur s’est prêté à un exercice complotiste reprenant les vieilles ficelles de l’antisémitisme du XIXe et XXe siècle, où les juifs étaient accusés de s’infiltrer partout et d’influencer dans l’ombre l’ensemble de la société. « Le frèrisme, c’est très insidieux, ça consiste à utiliser tous les moyens de la société, le sport, la musique, l’influence sur internet, pour pouvoir passer un Islam rigoriste », explique-t-il sur BFM TV, sans pouvoir apporter la moindre preuve matérielle de ses propos.
Une rhétorique que l’on retrouve dans la loi Immigration et sa volonté d’ajouter l’adhésion « à une idéologie djihadiste radicale », comme motif afin de retirer un titre de séjour. Une notion particulièrement floue, qui s’ajoute à la volonté de faciliter les expulsions pour « trouble à l’ordre public » ou « atteintes aux valeurs de la République ». « Il n’y a même plus besoin d’avoir été condamné, on parle là de gens suspectés de troubles à l’ordre public, ça veut dire qu’on peut faire ce qu’on veut », s’indigne Cybèle David. Depuis l’assassinat du professeur d’Arras, l’État a expulsé 66 personnes, « considérées comme dangereuses pour les services de renseignements ». Parmi elles, des gens accusés de « vols », « menaces de mort », « violences intrafamiliales », « viol » ou « homicide volontaire ». « C’est le retour de la double peine », souffle Mathieu Pastor.
« Sur cette séquence politique, il y a un basculement, note Cybèle David. Les immigrés ne sont pas seulement des délinquants, ce sont potentiellement des terroristes ». Et Gérald Darmanin ne s’en cache plus, assumant dans les colonnes du JDD défendre cette loi « pour protéger les Français ».
La contestation de la loi se poursuivra dans la rue
Face à la radicalisation d’un gouvernement qui « assume » d’être condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour l’expulsion, contraire au droit européen, de Tchétchènes vers la Russie, le mouvement social contre la loi d’immigration se tient prêt. Mais depuis un an, la Marche des solidarités, l’UCIJ et de nombreux collectifs de travailleurs sans papiers ont tenté d’alerter sur les dangers de la loi d’immigration, sans forcément parvenir à se faire entendre ni à agglomérer l’ensemble des forces politiques de gauche. « On avait une difficulté depuis des mois, c’était de montrer que le projet de loi ne s’attaque pas seulement aux sans-papiers, mais à tous les étrangers présents en France », indique Mathieu Pastor, qui voit une pointe d’espoir après la mobilisation des travailleurs sans-papiers sur les chantiers des JO. Cybèle David, quant à elle, lance un appel aux travailleurs et aux syndicats : « Il y a toute une partie des travailleurs qui seront trop sous l’eau pour se battre si cette loi passe, et cela nous affaiblira tous. Même si, en tant que syndicaliste, tu n’as pas l’impression d’être concerné, la prochaine fois que tu voudras entrer en bataille contre ton patron, tes collègues sans-papiers auront des conditions tellement dégradées qu’ils ne pourront pas être là ». Une grande manifestation est déjà prévue le 18 décembre, pour la journée internationale des migrants.
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