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Titre de séjour « métiers en tension » : le retour d’une « idée de Sarkozy, celle de l’immigration choisie »

Dans le cadre de la future loi sur l’asile et l’immigration qui sera débattue début 2023, le gouvernement projette de créer un nouveau titre de séjour d’un an, pour les travailleurs étrangers des « métiers en tension ». La mesure fait figure de volet « humanité » face à toutes les déclarations de « fermeté » sur les expulsions et la lutte contre la délinquance, qui constitueront l’orientation générale du projet de loi. Sauf qu’à y regarder de plus près, cette mesure est loin de répondre aux lacunes réelles de la régularisation par le travail. Surtout, elle relève d’une vision utilitariste des personnes étrangères, selon des observateurs associatifs et chercheurs.

 

D’un côté, des personnes migrantes en recherche d’emplois, des sans-papiers en situation d’exploitation. De l’autre, des employeurs du BTP ou de l’hôtellerie-restauration déplorant la pénurie de main-d’oeuvre. Simple, l’équation ? Début 2023, les parlementaires débattront d’un projet de loi sur l’asile et l’immigration, moins de quatre ans après la précédente loi Collomb. Le gouvernement a donné à voir, début novembre, plusieurs de ses propositions. Parmi elles : la création d’un titre de séjour « métiers en tension », d’une durée d’un an.

Si les contours de ce projet sont encore flous (qui seront les personnes étrangères concernées ? Dans quelles branches professionnelles ?), on peut d’ores et déjà décrypter l’idéologie qui le sous-tend. « J’en ai une lecture politique », introduit d’emblée Virginie Guiraudon, directrice de recherche CNRS au Centre d’études européennes de Sciences Po Paris, spécialiste de l’évolution des politiques migratoires françaises et européennes. « Ce n’est pas un besoin législatif. Il s’agit plutôt de remettre au goût du jour une idée de Sarkozy, celle de l’immigration « choisie », face à l’immigration « subie » ».

En tant que ministre de l’Intérieur puis comme président de la République, Nicolas Sarkozy défendait l’établissement de quotas d’immigration en fonction des besoins dans certaines branches professionnelles. La proposition actuelle, portée par les ministres Gérald Darmanin à l’Intérieur et Olivier Dussopt au Travail, s’inscrit en partie dans cet héritage. Celui d’une « vision assez instrumentale et jetable du rapport aux personnes étrangères », résume Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de l’association La Cimade.

 

« Si le métier n’est plus en tension, évidemment cette personne perdrait son titre de séjour » 

 

Soutenue par le Medef, cette mesure est cependant décriée par l’extrême-droite. Virginie Guiraudon note l’importance de « se distinguer de l’extrême droite. L’idée est de dire : on est pas pour du zéro immigration, on est pour choisir les migrants dont on a besoin ; les autres, on n’en veut pas ». Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a ainsi résumé son credo sur BFMTV le 2 novembre : être « méchant avec les méchants » – entendre : l’étranger délinquant – mais « gentil avec les gentils » – entendre : l’étranger travailleur -.

Gérald Darmanin se veut tout de même rassurant à sa droite. « Nous ne proposons pas de régularisation avec cette réforme, c’est même tout le contraire », insiste-t-il sur Europe 1 le 6 novembre. De fait, sur BFMTV, il précise : « si le métier n’est plus en tension, évidemment cette personne perdrait son titre de séjour au bout d’un an (…) Elle aura cotisé à l’assurance chômage. Si à la fin elle n’a plus cette assurance chômage, elle doit repartir évidemment du sol national ».

« Ils vont sauver l’économie pour être renvoyés ? Ça n’a aucun sens », a réagi auprès de France 3 Jean-Claude Lenoir, président de l’association Salam, très active le long du littoral nord de la France. « Non seulement ce délai d’un an ne peut pas permettre une intégration, mais le sujet des emplois non-pourvus en France mériterait d’être traité autrement », conclut-il.

 

« Ça ne favorise pas du tout la sortie de l’irrégularité »

 

En outre, « est-ce que les personnes vont se faire régulariser tout en se disant : si je perds mon emploi, je vais être dans le radar de la préfecture ? », questionne Virginie Guiraudon. « Ça ne favorise pas du tout la sortie de l’irrégularité… Il faut que les conditions soient perçues comme bénéfiques par les premiers concernés ». 

Cette précarité peut ainsi décourager beaucoup de candidats. Or, c’est là l’originalité du titre de séjour « métiers en tension » selon Gérald Darmanin et Olivier Dussopt : sa demande reposerait sur l’employé, pas sur l’employeur. Et ce, parce que l’employeur peut « trouver un intérêt » à maintenir les travailleurs dans la clandestinité, a rappelé à juste titre le ministre du Travail. Des situations d’exploitation que l’on retrouve dans le bâtiment, la restauration ou encore la logistique comme chez DPD, filiale de La Poste. Ceci étant, même cet argument interroge : « c’est déjà l’employé qui dépose sa demande en préfecture », observe Fanélie Carrey-Conte. « Et ce, en produisant un dossier dans lequel figure notamment des documents produits par l’employeur. »

Grève des sans-papiers de La Poste : « Des gens avec des papiers ne feraient jamais ce travail »

Les démarches de régularisation par le travail sont actuellement encadrées par la circulaire Valls de 2012. Celle-ci rend possible l’obtention d’une carte de séjour « travailleur temporaire » pour un CDD (valable le temps de ce CDD) ou d’une carte « salarié » pour un CDI (valable un an, renouvelable). Or, si les nouvelles modalités souhaitées par le gouvernement sont adoptées telles quelles début 2023, « on a la crainte que ce soit encore moins favorable que la circulaire Valls, qui permet la régularisation pour tout type de métier. On serait sur quelque chose de plus restrictif », s’inquiète Fanélie Carrey-Conte.

Par ailleurs, il existe aussi déjà des listes de « métiers en tension ». Elles sont régionales. « Que se passera-t-il si une personne change de région ? Ou de travail ? », questionne encore Fanélie Carrey-Conte. « Elle perd son droit au séjour et on la jette ? »

Ces listes seront mises à jour début 2023, a promis Olivier Dussopt. Elles permettent déjà de faciliter la délivrance d’autorisations de travail pour des employés étrangers. « Si un métier est en tension, on considère qu’on ne peut pas opposer la situation de l’emploi à l’employeur qui veut embaucher un ressortissant non-européen », explique Virginie Guiraudon. D’ordinaire, l’administration peut opposer la situation de l’emploi, c’est-à-dire considérer que des travailleurs français au chômage pourraient occuper ce poste, à tout employeur désireux d’embaucher un travailleur étranger. Pour les « métiers en tension », les choses sont donc déjà bien plus souples.

 

Réduire les délais en préfectures, régulariser plus tôt et plus longtemps

 

 

En somme, il existe d’ores et déjà plusieurs dispositifs législatifs qui permettent aux personnes étrangères d’accéder à des autorisations de travail ou à des titres de séjour. « Aujourd’hui ce qui bloque, ce sont les préfectures, pas les employeurs », considère Virginie Guiraudon. Partout sur le territoire, et particulièrement en Île-de-France, les délais d’attente avant de décrocher un rendez-vous en préfecture s’allongent. La dématérialisation croissante pénalise également de nombreuses personnes souhaitant acquérir ou renouveler un titre de séjour.

« On fabrique des sans-papiers. On fait tout pour que les gens ne soient pas régularisés », rappelle la directrice de recherche au CNRS. L’enjeu principal est donc, à ses yeux, « la mise en oeuvre » des textes réglementaires en vigueur. Et cela, « ça relève des instructions aux préfectures ; pas d’une loi ». 

De son côté, La Cimade prône depuis toujours une régularisation « large et durable » de toutes les personnes sans-papiers. « On est pas favorable à une approche par catégorie, ni sur une approche uniquement par le travail », soutient Fanélie Carrey-Conte. Jean-Claude Lenoir de l’association Salam propose par exemple une carte de séjour temporaire, « mais de 3 ou 5 ans, pour pouvoir travailler et s’intégrer. Au bout de ce délai, là il pourrait y avoir un bilan sur la manière dont ça se passe et discuter d’une prolongation ou d’un statut de réfugié », défend-il auprès de France 3. « Cela aurait l’avantage de vider les campements et les rues de ce public ».