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Taxe sur les superprofits : Macron et l’arnaque des « bénéfices indus »

 

Emmanuel Macron l’a annoncé : dans ce contexte d’explosion des prix de l’énergie et des profits de certaines multinationales, il ne taxera que les « bénéfices indus ». Et si ce qualificatif cachait juste la volonté de soustraire à la taxation la plupart des entreprises qui profitent de la crise ?

 

Nous ne sommes qu’au début du feuilleton des superprofits, mais déjà les rôles sont bien campés. D’un côté, en la personne du ministre de l’économie Bruno Le Maire : la droite du gouvernement. De l’autre, présentée comme telle du moins, sa gauche : la première ministre Elisabeth Borne. Le premier rassure son auditoire lors de l’université d’été du MEDEF. Il « ne sait pas ce qu’est un superprofit ». Alors, forcément, il est bien impossible qu’il taxe quoi que ce soit. La seconde, elle, ménage davantage son opposition et louvoie dans une interview donnée au Parisien. Elisabeth Borne ne veut pas « fermer la porte » à une taxation des « superprofits ». Le jeu du bon flic et du méchant flic aurait pu durer longtemps si un troisième protagoniste n’était intervenu pour y mettre fin. Il s’agit bien-sûr d’Emmanuel Macron.

Après une rencontre avec le chancelier allemand, le 5 septembre, le Président de la République accepte d’évoquer la question de la taxation des superprofits. Évidemment, il ne l’appelle pas ainsi et préfère évoquer un « mécanisme de contribution européenne » des firmes énergétiques générant des « bénéfices indus ». Traduire : les entreprises du secteur de l’énergie pourraient bien mettre la main au porte-monnaie, mais cette décision devra être prise au niveau européen. Exit les termes de « taxes » et de « superprofits », honnis par Bruno Le Maire. Exit également l’idée de récupérer de l’argent auprès de toutes les entreprises qui ont largement profité de la guerre en Ukraine pour s’enrichir. La potentielle liste des entreprises visées vient soudainement de fondre sous l’effet de deux petits mots : « bénéfices indus ».

 

Mérite ton bénéf’

 

L’annonce du Président de la République a au moins le mérite de clarifier sa position. Alors que l’inflation a atteint 5,9% au mois de septembre, l’État refuse de taxer toutes les grandes entreprises pour rendre du « pouvoir d’achat » (attention notion piège) aux Français. Pourtant, leurs bénéfices n’en finissent plus de s’accumuler. Selon un décompte de l’AFP au début du mois d’août, le CAC 40 a déjà réalisé près de 73 milliards d’euros de bénéfices au premier semestre 2022. Soit une hausse de 24% par rapport au premier semestre 2021. Et ce alors que l’année 2021 était déjà une année record avec 160 milliards d’euros de profits. Mais non. Pour le Président de la République, la contribution doit se limiter aux bénéfices « indus ». Reste à éclaircir ce qu’il entend par là. Dans la bouche d’Emmanuel Macron, cette expression a un sens moral davantage que légal. C’est même la section start-up et innovation du journal Les Échos qui nous le rappelle :

Emmanuel Macron emploie une expression forte en parlant de bénéfices « indus », alors même que les activités de ces entreprises sont restées dans un cadre tout à fait légal.

Pourquoi le Président parle-t-il de « bénéfices indus » si ces derniers ne sont pas illégaux ? Parce qu’ils ont été obtenus grâce à  un outil qu’Emmanuel Macron ne considère pas comme légitime pour s’enrichir : le mécanisme européen de fixation des prix de l’électricité.

 

Taxer seulement Engie ?

 

En indexant le prix de l’électricité sur celui du gaz, ce mécanisme est à la racine de la récente explosion des bénéfices d’Engie. En effet, si du fait de la guerre en Ukraine, le coût de production de l’électricité d’origine gazière s’envole, il n’en va pas de même pour celle produite à partir d’énergie renouvelable ou nucléaire. Il devient alors possible de vendre beaucoup plus cher une énergie qui n’a pas coûté plus cher à produire.

Ainsi, Engie a plus que doublé son bénéfice net au premier semestre 2022, passant de 2,3 milliards d’euros à 5 milliards d’euros. C’est bien cela qu’Emmanuel Macron nomme « bénéfices indus ». Ces bénéfices  ne sont pas volés, certes, mais ils ne sont pas « mérités » non plus, selon le Président. C’est la même idée qui est exprimée lorsque, du côté du gouvernement allemand, on parle de « bénéfices aléatoires ».

La posture morale adoptée par Emmanuel Macron est bien pratique. Elle lui permet d’exempter de contribution toute une liste d’entreprises qui auraient pu être la cible d’une taxation de leurs superprofits. Car, si le mécanisme européen de fixation des prix de l’électricité reste la seule injustice identifiée par Macron, la seule entreprise visée pourrait bien être Engie. Or TotalEnergies, la CMA-CGM ou encore Arcelor Mittal ont-ils davantage mérité leurs bénéfices records ?

 

Des superprofits qui valent plus que d’autres

 

En tête du tableau des bénéfices, on trouve pourtant TotalEnergies. La multinationales réalise le meilleur résultat net du CAC 40 ce semestre et totalise plus de 10,4 milliards d’euros de bénéfices nets en 2022. L’entreprise bénéficie bien du contexte de guerre en Ukraine et de hausse généralisée des prix de l’énergie. En guise de « contribution », Total a mis en place une remise à la pompe. C’est-à-dire une baisse de 20 centimes d’euro par litre entre le 1er septembre et le 31 octobre, puis une baisse de 10 centimes d’euro par litre du 1er novembre au 31 décembre. Une opération estimée à 500 millions d’euros…une obole au vu des bénéfices engrangés par la multinationale.

Le numéro deux, la multinationale de la sidérurgie ArcelorMittal, a profité de la hausse des prix de l’acier pour engranger 8 milliards d’euros de bénéfice. Cette fois on se trouve face à une entreprise qui ne paie ni taxe supplémentaire, ni ne contribue volontairement à la vie économique du pays. Au contraire, elle vient de passer certaines de ses équipes de Florange en chômage partiel. En cause, paradoxalement, l’explosion des prix de l’énergie, ainsi que « certaines perspectives économiques moins engageantes », rapporte France Bleu.

Si elle ne fait pas partie du CAC 40, l’entreprise CMA-CGM, qui exploite plus de 500 navires dans 160 pays a déjà engrangé 14,8 milliards de dollars, après un record de 17,9 milliards sur l’année 2021.  L’armateur doit notamment sa richesse à l’explosion des tarifs du fret. Enfin ses bénéfices records ne semblent pas liés à la guerre en Ukraine, mais on peut toujours compter sur LVMH pour faire une fois encore exploser ses profits. Le numéro un mondial du luxe, a annoncé fin juillet un bénéfice net de 6,5 milliards d’euros au premier semestre, en hausse de 23% par rapport à la même période de 2021, déjà qualifiée de record.

Selon le décompte de la députée socialiste Christine Pirès-Beaune, taxer à 25% les profits exceptionnels de certaines de ces entreprises permettrait de renflouer les caisses de l’État à hauteur de 10 milliards d’euros. Elle estime les montants à « environ 4 milliards d’euros pour Total, 925 millions d’euros pour Engie, 4,4 milliards d’euros pour CMA CGM, et 875 millions d’euros pour les concessionnaires d’autoroutes ». Dommage que ces bénéfices n’aient pas été « indus ».