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Projet de loi immigration, l’extrême droite en a rêvé, le Sénat l’a voté


Après des mois à surjouer une posture d’équilibriste, Gérald Darmanin va accueillir en décembre à l’Assemblée nationale un projet de loi immigration qui ferait pâlir l’extrême droite. Voté au Sénat le 14 novembre, le texte marque en l’état un recul considérable pour tous les étrangers.

 

C’était en février 2021, Gérald Darmanin, face à Marine Le Pen sur le plateau de France 2, attaquant la cheffe du Rassemblement national par la droite : « Madame Le Pen, dans sa stratégie de dédiabolisation, en vient quasiment à être dans la mollesse, je trouve. Il vous faut prendre des vitamines, je ne vous trouve pas assez dure là », avait-il déclaré face à une Marine Le Pen médusée.

En préparant le terrain par une surenchère de propos et de mesures toujours plus à droite, Gérald Darmanin présentera en décembre à l’Assemblée une loi immigration xénophobe et anti-sociale, en digne concurrent du Rassemblement National. Des titres de séjours plus difficiles à obtenir, des expulsions facilitées et une criminalisation des étrangers toujours plus appuyée. Les amendements proposés par le Sénat, pavent la voie d’une loi qui envoie un message clair : les étrangers ne sont pas les bienvenus en France, et ceux qui y résident devront montrer patte blanche s’ils souhaitent y rester. Des amendements, pourtant qualifiés de « grande avancée pour l’intérêt général », par Gérald Darmanin lui-même, qui seront débattus à l’Assemblée nationale le mois prochain.

 

Entraver l’accès aux titres de séjour

 

117e texte de loi sur l’immigration depuis 1945, le Projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » poursuit la logique de nombreux textes qui l’ont précédé, présentant l’immigration comme un « problème » qu’il faudrait régler par plus de restrictions. Les sénateurs Les Républicains, majoritaires au Sénat, ont par exemple encore durci les règles du regroupement familial, permettant aux familles étrangères de rejoindre leurs proches en France. Si le conjoint d’un étranger qui réside en France peut le rejoindre à partir du moment où il est majeur, les Sénateurs ont rehaussé cet âge minimum, le portant à 21 ans.  Ils souhaitent aussi exclure le montant des aides sociales lors de l’étude des capacités financières du conjoint en France, rendant plus difficile l’accès au regroupement familial pour les plus précaires.

Mais ce n’est pas tout, car les sénateurs souhaitent aussi que ces conditions s’appliquent aux conjoints de Français, qui, pour l’instant, n’avaient besoin que de prouver une communauté de vie afin d’obtenir un titre de séjour. Désormais, un étranger marié à un français doit justifier de conditions financières et de logement pour bénéficier d’un titre de séjour. En 2021, les mariages mixtes concernaient 14,7% de l’ensemble des mariages en France. La durée du mariage pourrait aussi passer de 3 à 5 ans avant de pouvoir demander une carte de séjour de 10 ans.

S’il y a bien un amendement qui facilite l’octroi de titre de séjour, il s’adresse seulement aux Britanniques propriétaires d’une résidence secondaire en France, alors que le Brexit les empêchait de résider plus de 90 jours sur le territoire français. Les sénateurs, soulevant « l’importance de ce public pour l’économie française », souhaitent leur accorder de plein droit un visa long séjour.

 

Restreindre le droit d’asile

 

Le Sénat ne s’est pas montré aussi clément concernant les demandeurs d’asile. Aujourd’hui, après avoir été déboutés du droit d’asile, ils peuvent déposer un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), devant laquelle trois juges écoutent et statuent sur le parcours des exilés, afin de leur accorder ou non une protection. Afin de diminuer la durée des recours, et sans le dire, rejeter plus de demandes, les Sénateurs ont voté le remplacement des trois juges par un juge unique.

Pourtant, « le débat collégial est la pierre angulaire de l’expression d’une justice de qualité », s’indigne Sébastien Brisard, président de l’Association des rapporteurs et anciens rapporteurs de la CNDA, dans Actu-juridique. Une décision aussi qualifiée « d’atteinte à la procédure de l’asile », dans une tribune coécrite par deux juges de la CNDA dans Libération, puisque la collégialité est censée garantir des décisions les plus justes possibles. En octobre dernier, une enquête de Mediapart révélait les nombreux messages racistes et xénophobes publiés par un juge de la CNDA sur ses réseaux sociaux, remettant largement en cause son impartialité.

Enfin, et c’est un recul immense concernant le droit d’asile, les sénateurs ont voté pour la délivrance automatique d’une OQTF après le rejet définitif d’une demande d’asile, ainsi que l’interruption immédiate de la prise en charge des soins, dans une volonté de «restreindre l’accès aux prestations de l’assurance maladie des demandeurs d’asile», Actuellement, cette prise en charge reste valable 12 mois après le rejet d’une demande.

« La nationalité française, cela s’hérite ou cela se mérite », déclarait Jean-Marie Le Pen en 1997 dans les colonnes du Figaro. Des propos que semblent partager les sénateurs LR, qui ont aussi voté un amendement remettant en question le droit du sol, censée garantir la nationalité française à quiconque naît sur le territoire. Une mesure historique du Front national remise au goût du jour, qui veut permettre à « l’autorité publique de s’opposer à l’acquisition de la nationalité française, par l’effet du droit du sol, d’un étranger qui n’est manifestement pas assimilé à la communauté française ». Le sénat a aussi voté la fin de la délivrance de la citoyenneté automatique pour les enfants nés en France de parents étrangers, en plus de proposer la déchéance de nationalité aux bi-nationaux en cas de condamnation pour « homicide » ou « tentative d’homicide » envers les forces de l’ordre.

 

Rendre impossible la vie des sans-papiers

 

Si les conditions d’accès au territoire ont été durcies, celles pour y rester ont aussi été largement attaquées, en atteste le retour du délit de séjour irrégulier, abrogé en 2012 par François Hollande. Si une directive européenne interdit depuis 2008 le recours à l’emprisonnement en cas de présence irrégulière sur le territoire, les sénateurs souhaitent punir les sans-papiers d’une amende de 3 750 € et de réautoriser les gardes à vue dans le cadre des vérifications d’identité. Une mesure d’ailleurs présente dans le programme présidentiel du Rassemblement national en 2022.

Concernant les régularisations, les sénateurs ont tout simplement supprimé l’article 3, qui permettait des régularisations pour les travailleurs sans papiers dans les métiers en tension. Véritable pierre angulaire du projet de loi initial, cet article devait garantir le vote de l’aile gauche de la majorité à l’assemblée. Les sénateurs souhaitent que les régularisations passent par l’appréciation discrétionnaire du préfet dans le cadre des métiers en tension, sans que ces régularisations ne soient ancrées dans le droit. « Créer un droit d’accès au séjour pour des étrangers en situation irrégulière, fussent-ils des travailleurs dans des métiers en tension, créerait manifestement une prime à la fraude et une nouvelle incitation à l’immigration irrégulière », écrivent-ils, faisait référence à demi-mot à la théorie de l’appel d’air, maintes fois démentie par les spécialistes des migrations. Face à la suppression de l’article 3, rebattant les cartes quant à l’issue du vote de la loi au parlement, Gérald Darmanin a pourtant évoqué « un bon compromis », alors que l’aile gauche de Renaissance annonce ne pas vouloir voter le texte en l’état. Quant aux députés Les Républicains, ils pourraient même refuser de voter la mesure des sénateurs de leur propre parti, jugée encore trop laxiste.

Les sénateurs ont aussi voté la suppression de l’aide médicale d’État (AME), censé garantir un accès inconditionnel aux soins. Une mesure d’abord soutenue par Gérald Darmanin, qu’il a fini par critiquer, annonçant qu’elle ne sera finalement pas dans le texte final.

Toujours dans l’optique d’éloigner les étrangers des aides sociales, cinq ans seraient nécessaires à tout étranger afin d’avoir accès aux allocations familiales, aux APL et à la prestation de compensation du handicap (PCH). Enfin, les sénateurs souhaitent aussi que les étrangers ayant reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) soient exclus du dispositif d’hébergement d’urgence. Une mesure qui va à rebours de l’idée d’une aide au logement inconditionnelle, pourtant consacrée par la loi.

 

Expulser toujours plus

 

Durcir l’accès aux titres de séjour, précariser et rendre la vie impossible aux étrangers présents en France, les sénateurs n’ont pas non plus manqué d’imagination pour faciliter les OQTF et les expulsions. La quasi-totalité des protections empêchant l’émission d’une OQTF a été supprimée pour les personnes condamnées pour crimes et délits passibles de 3 ans de prison minimum :  les étrangers mariés avec une personne de nationalité française, les parents de français ou encore ceux qui résident en France depuis 10 ans. Les protections sont aussi levées contre les auteurs de violences à l’encontre d’élus, de forces de l’ordre et de « divers agents publics ». Est aussi ajoutée la possibilité d’expulser les étrangers qui présentent « une menace grave » pour l’ordre public, sans que ne soit définie la gravité de ces menaces. Les titres de séjour pourraient aussi être retirés pour « non-respect des valeurs de la république ». Par ces amendements, le Sénat acte l’élargissement de la double peine, une mesure régulièrement réclamée par la droite et l’extrême droite.

Voté le 14 novembre, ce texte sera maintenant étudié et amendé à l’Assemblée nationale et devra enfin être validé par le Conseil constitutionnel. L’issue du vote des députés est inconnue tant les forces politiques sont divisées, autant chez Renaissance que chez LR. Ce texte aux forts relents d’extrême droite ne semble pas aller assez loin pour les députés LR, qui montre déjà leur volonté de porter le texte encore plus à droite à l’Assemblée « Le Sénat a durci ce texte, et l’objectif pour nous est de continuer à le durcir », a déclaré mardi le président du groupe Les Républicains à l’Assemblée, Olivier Marleix. En sous-traitant l’extrême droitisation de son texte aux sénateurs LR, Gérald Darmanin pourra continuer de jouer sur les deux tableaux, en essayant de ménager ses députés attachés aux régularisations dans les métiers en tension, tout en accordant à la droite les pires concessions. À noter enfin que 20 sénateurs Renaissance sur 22 ont voté pour cette version du texte au sénat, faisant apparaître une ligne politique de plus en plus commune à droite, de Renaissance jusqu’au Rassemblement National.