Deux mois de mobilisation massive et toujours ni victoire, ni défaite nette. Plusieurs propositions sont lancées pour arracher une victoire face au gouvernement. Imparfaites, elles permettent a minima d’envisager une sortie de crise.
Un conflit puissant et toujours pas de porte de sortie
Après deux mois de mobilisation, le mouvement social ne s’est pas éteint. Côté manifestations, la journée du 28 mars était certes moins impressionnante que la précédente. Mais elle ne constituait pas pour autant la pire journée du mouvement, et surtout pas de ces dernières décennies. Avec 2 millions de personnes dans les rues sur tout le territoire, selon les syndicats, les manifestations ont par exemple largement battu le pic de la mobilisation contre la loi Travail. Sept ans plus tôt, presque jour pour jour, 1,2 million de personnes manifestaient contre cette attaque brutale contre le Code du Travail.
Côté grève, les difficultés financières se font sentir. Après plusieurs mois parsemés de nombreuses grèves et en plein contexte inflationniste, certains ressentent le besoin de faire une pause pour reprendre des forces. « Nous avons besoin de rediscuter avec les agents de la filière déchets et assainissement de la ville de Paris afin de repartir plus fort à la grève jusqu’à l’obtention de nos revendications, car nous n’avons presque plus de grévistes », reconnaissait hier la CGT FTNDEEA, représentant le secteur, tout en promettant de bientôt « ressurgir ».
Mais malgré les difficultés, l’abandon de la bataille n’est pas une option. Déjà épuisés physiquement plusieurs années avant la retraite, éboueurs ou cheminots ne se voient pas travailler deux ans de plus. « On va les forcer [à retirer la réforme] », nous assurait le 20 mars Aurélien, un étudiant de sciences politiques, qui participait à l’un de ses premiers mouvements sociaux.
Mais malgré la puissance de la mobilisation, Emmanuel Macron persiste : il ne retirera pas sa réforme. Abandonné par les milieux financiers, moqué par la presse étrangère, critiqué par ses alliés et surtout détesté des Français, il veut donner l’illusion d’un président bulldozer, prêt à tout écraser sur son passage pour arriver à ses fins. Abandonner de lui-même la réforme serait ainsi vécu comme une défaite personnelle.
Dès lors, comment envisager une sortie de crise ? Outre une victoire classique par KO, au moins trois autres options ont été posées sur la table.
La CFDT propose une médiation
Le 28 mars, sur France Inter, Laurent Berger proposé une « médiation » pendant un mois ou un mois et demi, durant laquelle « il faut mettre sur pause, en suspens, la mesure des 64 ans. » Cette médiation permettrait ainsi de rouvrir les négociations entre gouvernement et syndicats, selon le secrétaire général de la CFDT. Une proposition que n’a pas écartée Philippe Martinez. « Comme on l’a décidé en intersyndicale, on a proposé une nouvelle fois au gouvernement, et surtout au Président de la République, de suspendre son projet et de nommer une médiation », a-t-il indiqué.
Au sein de la CGT, qui vit actuellement un congrès tendu, la décision a suscité la colère. « Nous connaissons tous le risque que certains syndicats se défilent dans le mouvement actuel et c’est d’ailleurs ce que nous voyons avec les dernières déclarations de Berger. Camarade Philippe Martinez, qui t’a donné mandat pour parler de médiation alors que les travailleurs sont dans la rue ? », a interrogé Murielle Morand, de la FNIC CGT (Industries Chimiques), une fédération déjà fortement opposée à la ligne de Philippe Martinez.
Si le principe de la médiation a d’office été écarté par Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, l’intersyndicale devrait finalement rencontrer Elisabeth Borne en début de semaine prochaine. Selon France Info, l’entourage de la première Ministre a assuré que les syndicats pourront aborder « l’ensemble des sujets qu’ils souhaitent ». Mais il ne fait aucun doute que le gouvernement va tenter de balayer la séquence des retraites en essayent de nouer des accords sur d’autres sujets avec certains syndicats. Franck Riester, le ministre délégué des Relations avec le Parlement, a d’ailleurs finalement indiqué que les discussions devaient « s’organiser autour de sujets sur lequel on est d’accord ». De son côté, Laurent Berger a toutefois assuré vouloir « parler des 64 ans ». « On ne va pas discuter avec la première ministre d’autre chose. […] Si on me dit ” vous ne pouvez pas en parler “, on partira », a-t-il promis. Pas sûr que cela suffise à rassurer les personnes dubitatives de la démarche.
Le Conseil Constitutionnel censurera-t-il la loi ?
C’est peut-être la solution qui résoudrait le plus facilement le conflit. Le Conseil Constitutionnel a annoncé que c’est le 14 avril qu’il rendra sa décision vis-à-vis de la réforme des retraites. Si l’instance décidait de censurer l’ensemble du texte, cela acterait la victoire du mouvement social, au moins en ce qui concerne les revendications d’abandon de la réforme. Emmanuel Macron éviterait quant à lui une défaite frontale face au mouvement social. Reste que les membres du Conseil Constitutionnel ont un profil plus politique que purement juridique. Ils ne sont ainsi sûrement pas totalement insensibles aux voix du gouvernement, mais également à celles de la rue et des grévistes d’ici à cette date.
En réalité, les espoirs restent très minces. La censure risque probablement de n’affecter que partiellement la réforme. L’indice sénior pourrait ainsi être censuré, au motif qu’il s’agit d’un cavalier social dans un texte supposément uniquement budgétaire. Le cœur de la réforme, et notamment le recul de l’âge de départ de la retraite à 64 ans, se trouverait ainsi préservé.
La piste du référendum d’initiative partagée
Une partie de la gauche voit un espoir dans le référendum d’initiative partagé (RIP) lancé par plusieurs élus, qui vise à limiter l’âge de départ de la retraite à 62 ans. Si celui-ci recueillait 4,8 millions de signatures en neuf mois, la proposition serait alors examinée par le Parlement, ou bien soumise au référendum si les deux chambres ne s’en saisissaient pas dans un délai de six mois. De quoi relancer le débat sur la réforme et donc potentiellement une nouvelle mobilisation sur la réforme des retraites en 2024. Jusqu’à maintenant, aucun de ces référendums n’a recueilli suffisamment de signatures. Mais aucun mouvement social n’avait non plus réuni 3,5 millions de personnes dans la rue.
Si plusieurs partisans de cet outil ont d’abord assuré que celui-ci suspendrait la réforme pendant neuf mois, aucune règle ne le prévoit expressément en réalité. Et pour cause, selon le constitutionnaliste Didier Maus, interrogé par Checknews, l’utilisation du RIP pour contrer une réforme « n’est pas un cas de figure prévu au départ ». Lors du précédent RIP contre la privation d’Aéroports de Paris, le recueil des signatures n’était pas terminé quand la loi a été promulguée. Si celle-ci n’a finalement pas été appliquée, c’est surtout en raison de la crise du Covid-19. Il serait d’ailleurs assez incohérent pour le gouvernement d’attendre 9 mois pour appliquer une loi censée rectifier le budget de l’année 2023.
Mais avant d’entamer ce long parcours, il faudra de toute façon en passer, ici aussi, par la validation du Conseil Constitutionnel qui peut décider que la demande de RIP est conforme ou non constitutionnellement. L’instance rendra également sa décision le 14 avril, en même temps que celle sur le texte de la réforme des retraites. D’ici là, le mouvement social a tout intérêt à continuer à utiliser deux de ses armes les plus redoutables : la grève et la mobilisation dans la rue.
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