grève 28 mars

Retraites : une mobilisation moins haute, mais encore forte ce 28 mars


 

Après la journée de grève et de manifestations exceptionnelles du 23 mars, la mobilisation marque le pas cette semaine, pour la dixième date nationale contre la réforme des retraites depuis janvier. Pour autant, elle reste supérieure aux journées les plus basses de ces deux derniers mois, celles des 16 février, des 11 mars et 15 mars.

 

Le bras de fer se poursuit entre la rue et l’exécutif. Ce 28 mars, pour la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, l’intersyndicale annonce encore 450 000 manifestants dans la capitale (93 000 selon la préfecture de police de Paris). Soit un cortège très massif, mais en deçà de celui de jeudi dernier qui avait réuni 800 000 personnes selon les syndicats.

Même tendance dans de nombreuses villes avec des cortèges moins fournis que ceux de la semaine précédente, qui avaient été gonflés et électrisés par le 49-3, une motion de censure rejetée de peu et le discours d’Emmanuel Macron la veille de la mobilisation. Ainsi, selon la presse locale, 32 000 personnes ont défilé dans les rues de Nantes, 10 000 à Avignon et Saint-Nazaire, ou encore 9000 à Pau et Orléans. Selon les syndicats, les manifestations ont réuni 30 000 personnes à Lyon, 35 000 à Clermont-Ferrand, 25 000 à Rennes, 24 000 à Brest. Là où la police en a compté deux fois, parfois trois fois moins.

 

La jeunesse reste mobilisée sans élargir son implication

 

Selon le syndicat l’Alternative, 400 000 jeunes ont manifesté dans toute la France ce 28 mars. La semaine dernière, des organisations de jeunesse avaient avancé le nombre de 500 000. Pour autant, le nombre de blocages dans les lycées reste significatif, avec 450 à 500 établissements concernés, selon les syndicats lycéens. Le ministère de l’Éducation avance lui un bilan plus réduit et en baisse : 14 blocages, 27 blocages filtrants et sept tentatives de blocage.

Dans les universités, la mobilisation se poursuit dans 85 établissements du supérieur, selon l’Alternative, avec des blocages et des occupations, notamment à Bordeaux, Lyon, Grenoble, Pau ou Lille.

Si les élèves étaient donc particulièrement mobilisés, ce n’était pas autant le cas chez leurs professeurs. Selon le ministère de l’Éducation Nationale, dont la méthode de calcul sous-évalue régulièrement le nombre de grévistes, 8,37 % des professeurs ont fait grève, soit trois moins que le 23 mars. Le Snuipp-FSU dont dépendent les enseignants du primaire, annonçait hier 30 % de grévistes contre 50 % lors de la précédente journée de mobilisation.

Le constat est similaire dans l’ensemble de la fonction publique. Selon les chiffres du ministère, 6,5 % des agents de la fonction public d’État, 5,4 % de ceux de la fonction publique hospitalière et 3,4 % dans la territoriale, étaient en grève, contre respectivement 15,5 %, 8,1 % et 6,5 % le 23 mars.

 

Épuisement des grévistes

 

D’une manière générale, la grève s’étiole après plus de deux mois de mobilisation. Dans certains secteurs, les difficultés financières liées à des privations de salaire se font ressentir. Les éboueurs de la ville de Paris tiraient ainsi leur dernière révérence aujourd’hui.

Au terme de 23 jours de grève, la CGT FTDNEEA (filière du traitement des déchets, nettoiement, eau, égouts, assainissement) a annoncé qu’elle suspendait sa grève à partir du 29 mars. « Nous avons besoin de rediscuter avec les agents de la filière déchets et assainissement de la ville de Paris afin de repartir plus fort à la grève jusqu’à l’obtention de nos revendications, car nous n’avons presque plus de grévistes », indique le syndicat dans un communiqué.

Du côté des trois incinérateurs de déchets de la petite couronne, seul celui d’Ivry-sur-Seine comporte encore des grévistes en nombre. Encore aujourd’hui, le plus grand incinérateur d’Europe a été le théâtre de blocage réunissant plusieurs centaines de personnes et visant à paralyser l’ensemble de la filière. Ainsi, ce matin, les camions bennes n’ont pas pu décharger leurs déchets sur place.

 

Des conséquences durables pour la grève des déchets

 

À Marseille, la grève des éboueurs a également pris fin. Mais Véronique Dolot, représentante CGT pour la collecte des déchets dans la métropole marseillaise, a assuré à la Provence que « les ordures [allaient] continuer à s’empiler à Marseille ». « Redoutant la réquisition, qui ne manquera pas d’arriver, les militants ont choisi d’autres modalités d’action », leur a-t-elle précisé. La semaine dernière, la Marseillaise indiquait que certains militants CGT avaient décidé de ne pas se mettre officiellement en grève, sans pour autant ramasser les déchets, afin d’éviter les réquisitions.

Dans tous les cas, ces grèves sur la durée dans la filière déchets ont non seulement permis d’attirer l’attention sur la pénibilité du métier, mais ont aussi eu plusieurs mérites stratégiques. D’une part, le non-ramassage des ordures aura fait paniquer le gouvernement qui a essayé de faire revenir au travail les salariés par tous les moyens, en omettant seulement la piste qui semblait la plus efficace : abandonner la réforme des retraites. On aura ainsi vu Clément Beaune, ministre des Transports, reprocher à la maire de Paris son « inaction », cette dernière se refusant à casser la grève comme l’exigeait le gouvernement. C’est finalement la voie de la réquisition préfectorale qu’a choisi le gouvernement.

Mais même si les salariés reprennent le travail, cette grève continue à avoir des conséquences. Il faudra en effet plusieurs jours, voire semaines, pour assurer la collecte de tous les déchets présents dans les rues. Les rues parisiennes sont jonchées de 7 000 tonnes de déchets quand Marseille en compte 1200.

 

La pénurie d’essence, un nouveau carburant pour la grève

 

Moins d’ordures dans les rues, mais aussi moins d’essence dans les stations services. Les salariés des raffineries paraissent s’être imposés comme l’une des forces motrices de la séquence actuelle. D’une part, le mouvement est massif – seules deux des sept raffineries françaises fonctionnent à l’heure actuelle -, d’autre part, il s’inscrit dans la durée. Hier, les salariés de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher, ont par exemple reconduit leur grève pour 72 h.

Les effets commencent donc à sérieusement se faire ressentir sur les stations service. 15 % d’entre elles manquent d’au moins un carburant et 7 % sont à sec. La pénurie d’essence est particulièrement importante dans le sud-est et dans l’ouest de la France, mais commence à gagner l’Ile-de-France : un tiers des stations services y manque d’au moins un carburant. À Frontignan, le dépôt de carburant a été bloqué, comme l’a remarqué le photographe Ricardo Parreira.

 

Opération « villes mortes »

 

Chez les cheminots, le taux de grévistes était de 16,5 % selon les syndicats, avec une mobilisation plus particulièrement marquée chez les conducteurs qui étaient 45 % à être en grève. En moyenne, 3 TGV sur 5, 1 TER sur 2 et 1 Intercités sur 4 étaient en circulation. La mobilisation est ainsi en baisse par rapport au 23 mars où on décomptait 25 % de grévistes. Dans la journée, une centaine de cheminots ont rendu hommage à leur collège, militant de Sud Rail, ayant perdu un œil suite à l’éclat d’une grenade de désencerclement. Ils ont ainsi envahi les voies de la gare de Lyon avant de se diriger vers un technicentre similaire à celui où travaille ce cheminot.

À la RATP, la mobilisation était également en baisse par rapport à celle du 23 mars. Entre un tiers et la moitié des métros et RER ne circulaient pas. Côté bus et tramway, la grève ne s’est pas faite ressentir. Mais il s’agit d’une constante depuis le début du mouvement.

À défaut d’une grève massive, les militants ont réussi à porter un coup à l’économie en bloquant certains axes de circulation. Une opération « villes mortes » a notamment été lancée dans le grand ouest. L’objectif était de bloquer les entrées stratégiques de nombreuses villes. Selon France Bleu, des blocages de ronds-points ont ainsi eu lieu à Brest, Quimper ou Morlaix. Les périphériques de Rennes et Caen ont aussi été bloqués. Les étudiants se sont joints au mouvement en installant un barrage filtrant sur la route menant à l’IUT de Lannion. Les actions visaient également les voies de chemin de fer – grâce à des envahissements de voies à Quimperlé ou Rennes – et des transports en commun, puisque le dépôt de bus de Lorient a été bloqué, paralysant ainsi toutes les lignes.

 

Victor Fernandez, Stéphane Ortega