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Au Conseil d’État, les critiques de la réforme de l’assurance chômage balayées


Dernier round pour la réforme de l’assurance-chômage. Le décret était examiné sur le fond par le Conseil d’État, ce lundi 15 novembre. Mais l’argumentaire déployé par la rapporteure publique laisse peu d’espoir aux organisations syndicales. 

 

Dans trois semaines environ, on connaîtra l’ultime jugement du Conseil d’État sur la réforme de l’assurance chômage. Le décret, déjà entré en vigueur au 1er octobre, était examiné sur le fond lundi 15 novembre. Sept requêtes avaient été déposées par des organisations syndicales, ainsi que par la Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers.

Le ton a été clairement donné par la rapporteure publique, Marie Sirinelli, avec une formule assassine au sujet du nouveau mode de calcul des allocations : « aucune des critiques formulées ne paraît mettre en lumière un élément suffisamment saillant pour justifier une annulation ». Requête après requête, la rapporteure publique a balayé les arguments des opposants de la réforme. Reprenant parfois à son compte les arguments du gouvernement.

D’abord, elle a rappelé la « chronologie complexe et contrariée » de cette réforme, qualifiée de « rhinocéros » à la  « peau dure ». Un premier décret est paru le 26 juillet 2019, annulé par le Conseil d’État en novembre 2020. Le gouvernement a rectifié – le 28 décembre 2020 et le 30 mars 2021 – les dispositions censurées, pour mieux les réintroduire. En juin 2021, en référé, le Conseil d’État a suspendu plusieurs de ces dispositions rectifiées. Malgré tout, le 1er octobre 2021, la réforme est entrée en vigueur – ou plutôt, passée en force, puisque le décret d’application modifié n’est paru que la veille. Saisi dans l’urgence, le Conseil d’État a laissé passer cette dernière version, dans sa décision du 22 octobre.

 

Les critiques du nouveau mode de calcul des indemnités chômage rejetées

 

Entre le premier document de cadrage gouvernemental, à destination des négociateurs syndicaux et patronaux, et le texte entré en vigueur, il s’est écoulé près de trois ans. Le document de cadrage n’est donc « pas seulement ancien : il est totalement dépassé », critique l’un des avocats des organisations syndicales. Or, il y a une obligation de compatibilité entre la dernière version du décret, et ce document de cadrage. Surtout, la période a été marquée par de « profonds bouleversements de la situation économique » et a fragilisé davantage l’accès à l’emploi. Mais ces arguments du délai trop important, et du contexte économique bouleversé, sont rejetés par la rapporteure publique. Dans sa décision du 22 octobre, le Conseil d’État avait déjà jugé que « une évolution favorable est observée depuis plusieurs mois. La tendance générale du marché de l’emploi ne constitue ainsi plus un obstacle à la mise en place de la réforme ».

Au cœur de cette réforme, les critiques du mode de calcul du SJR (salaire journalier de référence) n’ont pas non plus retenu la faveur de la rapporteure publique. Selon l’Unédic, à cause de ce nouveau mode de calcul, 1,15 million de demandeurs d’emploi devraient subir une baisse de leurs indemnités, au cours de la première année d’application. Les plus précaires, alternant contrats courts et chômage, seront touchés de plein fouet.

Les versions précédentes du décret avaient été annulées ou suspendues du fait de la « différence de traitement manifestement disproportionnée » créée entre les demandeurs d’emploi. Les rectifications apportées par le gouvernement jouent sur un mécanisme de plafonnement des jours non travaillés (donc, un plafonnement du SJR). Dans sa dernière analyse, l’Unédic indique que ces rectifications produisent désormais des variations moyennes de 17 % entre deux demandeurs d’emploi, mais un écart de 40% pour 400 000 d’entre-eux. Des écarts bien trop grands, encore, aux yeux des organisations syndicales. Pour la rapporteure publique en revanche, tout est en ordre. « Des différences importantes subsistent », reconnaît-elle, « mais elles sont nettement atténuées depuis l’introduction du plafonnement ». Et de conclure : « la question nous semble aujourd’hui refermée ».

Le SJR est aussi utilisé dans cadre d’une reprise d’activité. Il est déterminant dans la formule de cumul temporaire entre l’allocation versée, et le nouveau salaire. Or, les organisations syndicales critiquent là aussi des variations importantes, selon la date de reprise de l’activité. L’Unédic a dressé un constat sans appel : les écarts dans l’allocation versée sont de 1 à 47, en fonction de cette date. Mais la rapporteure publique reprend la ligne de défense gouvernementale : « il faut tenir compte, non de la seule allocation versée, mais aussi de la rémunération perçue ». Selon cet argument,  « l’allocation ne constitue qu’une face des ressources. Or, si l’on examine les écarts entre le total de ces ressources, les différences sont beaucoup plus limitées ». Fin du chapitre.

 

« Le plus inique de tous les textes relatifs à l’assurance chômage »

 

En conclusion, la rapporteure publique propose au juge de rejeter l’ensemble des requêtes. Après cet argumentaire qui laisse peu de place au doute, les avocats des organisations syndicales ont tenté de faire entendre une dernière fois leurs positions. « Le texte du 30 mars est le plus inique de tous les textes relatifs à l’assurance chômage depuis 1958 », commence Antoine Lyon-Caen. « Parce qu’il frappe d’abord ceux qui mériteraient d’être protégés, c’est-à-dire les plus précaires ». L’avocat soutient que les mesures comprises dans le décret ne peuvent arriver à l’objectif officiellement fixé de « stabilité de l’emploi ».

Et pour cause : « le salarié ne fait pas de choix quant à la durée et aux modalités des contrats qu’ils signent. Pénaliser ceux qui concluent un contrat court, n’aboutira jamais à rendre les contrats plus longs ». Plusieurs études, dont quatre de la DARES (Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques), démontrent cette dimension bel et bien subie, et non choisie, par la majorité des demandeurs d’emploi. Le constat est réitéré dans sa dernière étude, parue début octobre.

Quant aux variations du montant de l’allocation, de 1 à 47, en fonction de la date de reprise d’une activité, « ce n’est pas un cas marginal ». L’avocat rappelle que 57,5% des demandeurs d’emploi reprennent une activité dans leur période de référence. Une majorité de demandeurs d’emploi est donc d’ores et déjà concernée par ces « très profondes inégalités ». En somme, si cette réforme est « un rhinocéros, c’est un rhinocéros aveugle, qui a perdu le sens de sa trajectoire », martèle Antoine Lyon-Caen.

 

Un bonus-malus « très virtuel »

 

Enfin, le bonus-malus (une modulation du taux de cotisation des employeurs à l’assurance chômage selon leurs recours aux contrats courts), n’entrera en vigueur qu’en septembre 2022. Soit deux mois à peine avant les renégociations de la convention entre les partenaires sociaux et le gouvernement. Il reste donc « très virtuel » pour ces employeurs, dénonce un avocat de l’UNSA. Le texte de la réforme en devient « hémiplégique, alors que le gouvernement a toujours défendu le fait qu’il fallait jouer à la fois sur les salariés et les employeurs », fustige-t-il. Avant de conclure : « quand on décide de ne pas activer correctement le levier entreprises, c’est que l’on ne croit pas vraiment aux mesures incitatives pour les salariés, mais que l’on est uniquement sur des mesures d’économie budgétaire ».

À la sortie de la salle d’audience, les espoirs sont maigres. « Difficile de remonter la pente de la rapporteure publique », souffle Antoine Lyon-Caen. « Cela ne rend pas optimiste sur le jugement. Il faut espérer que le juge lise toutes nos requêtes, et ne fasse pas que suivre l’avis de la rapporteure publique », conclut de son côté Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT Spectacles et négociateur CGT pour l’assurance chômage. Or, au Conseil d’État, il est très rare que le juge ne suive pas l’avis de celle-ci.

La rapporteure en question, Marie Sirinelli, était pourtant celle qui, il y a un an tout pile, lors de la précédente audience au Conseil d’État, avait suggéré de faire annuler la partie principale du décret sur le mode de calcul du SJR. Cette fois, à cinq mois du premier tour de la présidentielle, c’était « circulez, il n’y a rien à voir », regrette le responsable syndical.

 

« Il faut renverser la tendance d’une autre façon »

 

À l’extérieur du Conseil d’État, sur un bout de trottoir, se concentre une trentaine de personnes. Peu de représentants syndicaux sont présents. « Je constate qu’avec les rapports de force que nous avions au printemps, nous obtenions des référés qui suspendaient la réforme. Là, à l’automne, c’est beaucoup plus difficile. Et les occupations, notamment des lieux culturels, ne sont pas les mêmes » observe Denis Gravouil.

Au micro, le responsable CGT appelle alors à intensifier la vigilance. « Dans les Pôle Emploi, la pression va être sur les demandeurs d’emploi mais aussi sur les agents : il nous faut obtenir des témoignages sur les effets de cette réforme. Le combat continue, de façon politique, en rencontrant ces personnes. Il nous faut renverser la tendance d’une autre façon ».

Comme à chaque fois en fin d’année, la CGT appelle à un rassemblement sur la question du chômage. Il aura lieu le samedi 4 décembre à 14h, place Joffre à Paris et réclamera l’annulation de la réforme. En amont, dans la matinée, elle organisera un « bureau d’embauche » pour dénoncer les « refus d’embaucher des employeurs et le remplacement des emplois pérennes par des emplois précaires ».