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Avant les retraites, les hôpitaux déjà en grève


« Aujourd’hui, on compte les morts » : les alertes et les mobilisations des soignants se multiplient en cette rentrée de janvier. La CGT appelle à la grève à partir de ce vendredi jusqu’au 19. FO a annoncé une grève illimitée depuis mardi. De son côté, le collectif inter-hôpitaux annonce un « printemps de l’hôpital public ». Ces grèves vont s’articuler au calendrier de lutte contre la réforme des retraites.

 

« C’est du jamais vu », ne cesse de répéter Patrick Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France (AMUF). « La situation est inédite », abonde à ses côtés Olivier Milleron, cardiologue, l’un des porte-paroles du collectif inter-hôpitaux réuni ce lundi. « Aujourd’hui en France, on compte les morts. Aujourd’hui en France, des enfants en besoin de réanimation ne sont pas pris en charge. Aujourd’hui en France, des personnes âgées stagnent sur les brancards ». 

Après des années d’alerte des soignants, cette dégradation de la prise en charge des patients est-elle si « inédite » ? Le diagnostic de l’hôpital public est largement connu et partagé : fermetures de lits et de services d’urgence (voir cette cartographie de la CGT), postes vacants, surmenage du personnel… Mais en cette rentrée de janvier, « avec la petite reprise du covid, mélangé aux grippes et aux bronchiolites aiguës pour les enfants… La situation est au bout du bout. Il y a une convergence des difficultés, et les remontées de terrain sont les mêmes partout », décrit Julie Massieu, responsable CGT santé action sociale. 

Pourquoi les services d’urgence ferment-ils les uns après les autres ?

Face à cette situation, les réactions des collectifs et syndicats se font, pour l’heure, en ordre dispersé. FO santé est en grève illimitée depuis ce mardi. De son côté, la CGT a lancé un appel à la grève du vendredi 13 au 19 janvier. Quant au collectif inter-hôpitaux, il prépare un « printemps de l’hôpital public » à partir du mois de mars, avec une série d’actions et d’initiatives régionales. « C’est le début de beaucoup d’actions en province », promet Arnaud Chiche, médecin anesthésiste, du collectif Santé en danger, né autour du Ségur. « Il faut une pression constante pour faire passer les messages ».

 

Recul de l’âge de la retraite : « une angoisse qui s’ajoute à l’épuisement »

 

Cette série de mobilisations autour de la dégradation des soins et des conditions de travail s’articule avec la séquence de lutte autour des retraites. Après les annonces de la Première ministre Elisabeth Borne mardi soir (voir notre décryptage ici), les organisations syndicales ont annoncé une première date commune : le 19 janvier

Au niveau des branches santé, l’UNSA Santé et Sociaux ​​a pour sa part déposé un préavis de grève du 10 janvier au 1er février « dans le cadre de la réforme des retraites ». Et ce, afin de permettre au personnel de la santé publique et privée de « participer ou de se joindre aux mouvements et actions décidés » à cette mobilisation, indique leur préavis. 

Devoir travailler plus longtemps, « c’est une angoisse qui s’ajoute à l’épuisement des professionnels », synthétise Julie Massieu. Dans sa communication autour de la grève de mi-janvier, la CGT santé mentionne autant la nécessité de stopper l’hémorragie des fermetures de lits et des départs de soignants, que celle d’un « droit de départ à la retraite à 60 ans » avec « augmentation immédiate des retraites de 300 euros »

Les signaux d’épuisement sont partout. Dans l’hôpital de Metz-Thionville, où exerçait auparavant l’actuel ministre de la Santé François Braun, 90 % des personnels soignants sont en arrêt maladie. Mêmes chiffres à Pontoise, dans le Val-d’Oise, quelques jours après. « On craint l’effet domino », nous indique Gilles Gadier, secrétaire fédéral FO santé. « Le travail rend malade dans les hôpitaux. Le taux d’incidence est de 40 %… Et on va leur expliquer qu’ils vont travailler plus longtemps ? » Pour ce responsable syndical, la séquence retraites qui s’ouvre est donc « la meilleure des batailles » à mener pour le personnel soignant. 

La grève des urgences s’appuie sur « des zones de résistance »

 

« Une vraie incompréhension avec les pouvoirs publics »

 

Ces appels à la grève avaient un autre objectif initial : les préavis ont été déposés tout début janvier pour faire monter la pression avant les annonces du gouvernement. Le 6 janvier, en effet, Emmanuel Macron a présenté les grandes lignes du plan du gouvernement aux soignants lors d’une visite dans un hôpital en Essonne. Dans les rangs des syndicalistes et des collectifs, la déception est grande. Un discours « pas à la hauteur des enjeux, alors qu’il fallait une réforme d’ampleur. On ne nous écoute pas » balaie Gilles Gadier. De son côté, Patrick Pelloux de l’AMUF constate « une vraie incompréhension avec les pouvoirs publics »

La question des effectifs dans les hôpitaux est au cœur du décalage entre les revendications et la réponse gouvernementale. « Les soignants disent : on est explosés, on en peut plus… La réponse qu’on leur donne ? Vous allez pouvoir faire plus d’heures supplémentaires ! », s’indigne Thierry Amouroux, du syndicat national des professionnels infirmiers CFE-CGC. Selon lui, la solution est un plan de recrutement massif. « Les normes internationales, c’est 8 patients par infirmière. En France, on est au double ». Emmanuel Macron a mentionné l’accélération du recrutement des assistants médicaux pour les médecins. Mais pour FO par exemple, il faudrait recruter plus de 200 000 agents dans les secteurs sanitaire, social et médico-social.

Le président vise en outre une « remise à plat » de l’« hyper-rigidité » des 35 heures d’ici juin, et le renforcement des « l’autonomie des services ». « Nous souhaitons que ce ne soit pas une remise en cause des RTT des soignants », réagit Jean-François Cibien, président d’Action praticien hôpital. À l’heure actuelle, le temps de travail des agents hospitaliers est lissé sur des cycles de plusieurs semaines (12 au maximum). Il n’est donc pas annualisé, comme c’est le cas par exemple pour les agents territoriaux. Si le gouvernement déstructure le cadre actuel, « on pourra dire à un agent : cette semaine tu fais 48h, 50h… Évidemment qu’à un moment dans l’année il rattrapera ces heures. Mais dans quel état ? », craint Gilles Gadier de FO. 

 

L’urgence d’agir pour les hôpitaux publics

 

Les vœux du président de la République incluent néanmoins certaines pistes « louables, comme la sortie de la T2A » observe Floriane Zeyons, cardiologue, membre du collectif La Minute de Silence. Le président a promis une sortie de ce système de tarification à l’acte dès 2023… Mais cette sortie ne sera que partielle. Le chef de l’État continue de défendre « une part de rémunération à l’activité qui est tout à fait légitime ». Les contours des changements à venir sont donc flous. D’autant qu’ils resteront contraints par l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM), fixé par la loi de financement de la sécurité globale, passée en fin d’année à coups de 49-3. 

Au-delà de cette piste « louable », donc, ces annonces ne comprennent « aucune mesure concrète pour répondre à l’urgence », conclut Floriane Zeyons. « On va mettre une décennie » pour apporter des changements « en profondeur », a admis le chef de l’État. Or, « arrêter la fuite, c’est là l’urgence », alerte de son côté la cardiologue. « Ces discours sont à l’hôpital ce que l’orchestre de violons est au Titanic ».