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Réforme des retraites : notre décryptage des annonces d’Élisabeth Borne


 

Élisabeth Borne a annoncé ce mardi 10 janvier le contenu de la réforme des retraites qui sera présenté en Conseil des ministres le 23 janvier. Si l’âge légal de départ est finalement fixé à 64 ans, il est assorti d’une accélération de la réforme Touraine. Et de nombreux autres effets d’annonce cachent une réforme austère.

 

Un âge légal à 64 ans, l’arbre qui cache la forêt

 

Après avoir martelé pendant des mois que l’âge légal serait porté à 65 ans en 2031, le gouvernement présente finalement un allongement à 64 ans. Une modification qui doit beaucoup aux tractations, la semaine dernière, avec les responsables des Républicains, en vue d’obtenir une majorité sur son texte à l’Assemblée nationale.

Est-ce un adoucissement de la réforme des retraites ? Pas vraiment ou très partiellement. Certes, l’âge légal sera porté à 64 ans, à raison d’un trimestre supplémentaire par an, dès septembre 2023 pour la génération 1961, au lieu de 65 ans à raison de quatre mois de plus chaque année. Mais le gouvernement a décidé d’accélérer l’application de la réforme Touraine, votée sous le mandat de François Hollande. Celle-ci prévoyait d’ajouter un trimestre supplémentaire tous les trois ans pour bénéficier d’une retraite sans décote. Avec pour ligne d’horizon 43 annuités en 2035.

Élisabeth Borne a raccourci très fortement ce délai. Avec sa réforme des retraites, les 43 annuités seront atteintes en 2027. Huit ans plus tôt que prévu. Ainsi, cette année là, l’âge légal de départ sera porté à 63 ans et 3 mois. Concrètement, comme il aura fallu cotiser 172 trimestres, si vous avez commencé à cotiser à 21 ans et demi ou plus, vous ne pourrez pas partir sans une réduction du montant de votre pension. Ce qui fait que si vous avez commencé à travailler à l’âge de 23 ans, vous devrez attendre d’avoir plus de 65 ans pour un départ sans décote.

 

Une réforme des retraites qui met fin aux régimes spéciaux

 

« Nous allons fermer la plupart des régimes spéciaux », a annoncé la Première ministre, présentant sa réforme des retraites. « C’est une question d’équité » a-t-elle ajouté. Les régimes spéciaux de la RATP et des industries électriques et gazières sont à coup sûr concernés, mais aussi ceux de la Banque de France, des clercs et employés de notaires ou du Conseil économique, social et environnemental. En seraient exclus les régimes autonomes des professions libérales (avocats, etc.) ainsi que ceux de l’Opéra de Paris, de la Comédie française et des marins.

La fin des régimes spéciaux et le passage au régime général passeront par la « clause du grand-père ». C’est-à-dire qu’elle ne s’appliquera qu’aux nouveaux embauchés. Mais cela ne veut pas forcément dire que les salariés en activité ne sont pas concernés par la réforme et par un allongement de la durée de travail. En effet, le dossier de presse envoyé par le gouvernement indique que « le décalage progressif de deux ans de l’âge légal et l’accélération de la réforme Touraine s’appliqueront aux salariés actuels des régimes spéciaux mais en tenant compte de leurs spécificités ». Ainsi, comme lors de la réforme Sarkozy de 2010, qui avait progressivement fait passer l’âge légal de 60 à 62 ans, la mesure devrait finir par s’appliquer aux régimes spéciaux en décalé du régime général.

 

Un « gros coup » sur la revalorisation des pensions au SMIC 

 

C’est une des grandes annonces de cette réforme des retraites. Alors que l’on s’attendait à ce que la Première Ministre revalorise seulement les pensions des nouveaux retraités ayant cotisé au SMIC toute leur vie, elle a annoncé que la mesure s’étendrait aux personnes déjà à la retraite. Elisabeth Borne s’est même risquée à annoncer un chiffre : 2 millions de petites retraites vont être revalorisées. Au lieu de toucher 75% du SMIC, pour une carrière complète, la pension va atteindre 85% du SMIC soit 1200 € environ. En réalité, c’est seulement l’application d’un objectif inscrit dans la loi depuis 2003 mais jamais mis en œuvre.

Or, selon un rapport sur les petites pensions remis à l’ancien Premier ministre Jean Castex en mai 2021, 5,7 millions de retraités touchent une pension inférieure à 1000 euros par mois, soit le tiers des retraités français. Si la mesure proposée par Elisabeth Borne se présente comme éminemment sociale, elle laisse tout de même 3,7 millions de retraités, bien souvent des femmes dont la carrière est incomplète, dans la pauvreté.

Stratégiquement, en revanche, ce pas de côté reste un gros coup : il permet à la Première ministre de rallier les députés Les Républicains et d’obtenir la majorité à l’Assemblée nationale.

 

Les carrières longues devront travailler plus

 

Le dispositif, pour celles et ceux ayant commencé à travailler avant l’âge de 20 ans, reste inchangé. S’ils ont travaillé cinq trimestres à la fin de leur vingtième année, ils continueront à pouvoir partir deux ans plus tôt. Mais comme l’âge légal recule de deux ans, ils travailleront deux ans de plus et ne pourront être à la retraite qu’à 62 ans. Au lieu de 60 ans avant. Pas franchement un cadeau.

Pour celles et ceux qui ont commencé leur carrière avant 18 ans, le gouvernement a été contraint d’ajouter un dispositif « carrière très longue », sous peine de les faire travailler plus de 43 ans. Élisabeth Borne promet que ceux qui auront travaillé entre 16 et 18 ans partiront à 60 ans. Et que ceux qui auront débuté avant leurs 16 ans pourront partir à 58 ans. Soit, eux aussi, en comptant les cinq trimestres travaillés pendant leur jeune âge, après 43 années de travail, vers la fin du quinquennat.

 

Pénibilité : des annonces qui tapent à côté

 

Avant d’aborder les nouvelles mesures apportées par la réforme, il faut rappeler un chiffre. Depuis 2016 et la mise en place du Compte professionnel de prévention (C2P), seules 10 000 personnes ont pu utiliser ce compte pour partir à la retraite plus tôt, rappelle la Cour des Comptes. Or, selon l’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels), menée par la médecine du travail, 13,6 millions de personnes en France métropolitaine, soit 61 % des salariés, sont « exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité lors de la semaine précédant leur visite médicale ». Parmi ces travailleurs, « plus de 10,7 millions de salariés […] étaient concernés par des contraintes physiques marquées ». Comme le rappelle l’inspecteur du travail Antony Smith, c’est l’employeur qui calcule l’atteinte des seuils qui permettent d’alimenter le C2P. Le problème de la pénibilité est donc avant tout un problème d’accès à un dispositif complexe.

Mais c’est également un problème de critères. Lors de la mise en place du C2P, de nombreux critères de pénibilité avaient été évincés. À savoir : le port de charges lourdes, les postures pénibles ou l’exposition aux vibrations mécaniques et celle à des agents chimiques dangereux. La nouvelle réforme des retraites ne reviendra pas sur ces critères. Elle renvoie leur établissement à des discussions de branche, qui les détermineront métier par métier. Elisabeth Borne a également annoncé que les seuils (comme le travail de nuit ou le travail d’équipe) permettant l’accumulation de points seront abaissés. « Cela permettra, chaque année, à plus de 60 000 personnes supplémentaires de bénéficier d’un compte », affirme la Première ministre. Reste à savoir si ces ouvertures de compte permettront réellement de partir à la retraite plus tôt.

 

Travail des seniors : aucune contrainte sur les employeurs

 

Le taux d’emploi des seniors en France est l’un des plus faibles de l’Union Européenne : « révoltant », « un gâchis de compétences », tranche Bruno Le Maire. À l’heure actuelle, seuls 56 % des plus de 55 ans sont en activité. Pour relever ce taux d’emploi, le gouvernement répète son principal argument : l’allongement de l’âge de départ serait « un des leviers les plus efficaces pour augmenter l’emploi des seniors ». Mais au-delà de ça ?

Le gouvernement propose… Un index, pour « valoriser les bonnes pratiques des entreprises et dénoncer les mauvaises » vis-à-vis des seniors. Leur faible taux d’emploi est « trop souvent le fait d’une conduite abusive et discriminatoire » de la part des employeurs, soutient Élisabeth Borne. Un pic des ruptures de contrat est ainsi observé à 59 ans. Sauf que cet index, à l’image de celui sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, n’est en aucun cas contraignant.

 

Seule obligation imposée aux entreprises : celle de rendre public cet index. « Une sanction s’appliquera en l’absence de publication » ou de non-remplissage de l’indicateur, qui devra servir, théoriquement, dans les futures négociations sociales en interne. Les entreprises de plus de 1 000 salariés seront concernées dès 2023, puis toutes les entreprises de plus de 300 salariés à partir de 2024.

Deux autres mesures touchent cependant à l’emploi des seniors : l’accès à la retraite progressive (qui permet d’utiliser, deux ans avant l’âge légal de départ, une partie de sa pension pour travailler à temps partiel) « sera assoupli » et élargi à la fonction publique. En outre, des évolutions du régime d’assurance chômage « feront l’objet de prochaines négociations avec les partenaires sociaux », indique Elisabeth Borne, notamment sur la possibilité de cumuler salaire et allocation chômage en cas de reprise d’activité. Sur ce point, l’idée du gouvernement est de « déplafonner les conditions d’exercice » de ce cumul, indique Olivier Dussopt.

 

Aidants familiaux : de nouveaux trimestres pris en compte

 

Alors que les femmes ont les retraites les plus faibles, défavorisées par davantage d’emploi précaire, de temps partiel, ainsi que par leurs congés maternité, aucune mesure forte n’est prévue pour rectifier ces inégalités. L’âge d’annulation de la décote demeure à 67 ans. En dehors de ce non report, une seule petite mesure annoncée par le gouvernement pourra concerner les femmes aux carrières hachées : les périodes de congé parental seront désormais prises en compte dans l’accès au dispositif carrières longues.

Quelques mesures concernent d’autres franges de la population fragilisées par rapport à la retraite. Les années passées comme aidant familial, auprès d’un proche âgé ou d’un enfant en situation de handicap par exemple, seront désormais comptabilisées dans les calculs. La création d’une « assurance vieillesse des aidants », dont les contours restent à définir, permettra la validation de trimestres. Le gouvernement estime que 40 000 personnes pourront en bénéficier chaque année. S’agissant des personnes en invalidité, en incapacité ou en inaptitude, leur départ à la retraite est maintenu à 62 ans.

Plus à la marge, les personnes ayant réalisé dans leur vie des travaux d’utilité publique (TUC) verront ces trimestres être pris en compte dans le calcul de la retraite, ce qui n’était pas le cas auparavant. Près d’un million de jeunes de 16 à 25 ans auraient participé à ces stages au cours des années 80. D’autres catégories de travailleurs restent dans le statu quo : les indépendants devront encore attendre pour espérer des garanties d’accès à une pension minimale. Des travaux de concertation pour réformer leur assiette sociale sont prévus « d’ici le PLFSS 2024 », indique seulement Élisabeth Borne.

 

Stéphane Ortega, Maïa Courtois, Guillaume Bernard