En 2018, la fermeture par la direction de Carrefour de 243 magasins Dia employant 2100 personnes a suscité l’indignation des salariés de l’enseigne. Après la lente agonie de Dia France, particulièrement coûteuse socialement, les rumeurs de rapprochement entre Carrefour et Casino interrogent et inquiètent les salariés.
Quatre ans de dégringolade. En 2014, la maison mère de Dia — entreprise espagnole — décide de se séparer de sa filiale française qui ne rapporte pas assez, menaçant 865 magasins et 7500 emplois. Dia est alors implantée dans quatre pays avec plus de 7000 points de vente, laissant la gestion à des franchisés ou des chaînes locales, comme avec Carrefour déjà de 2000 à 2011.
Dia Espagne vendeur, Carrefour reprend les magasins en 2014. Depuis, une partie des actifs a été intégrée au réseau Carrefour Market, d’autres emplacements ont été repris par des réseaux concurrents comme A2pas (Groupe Auchan). L’aventure Dia est aujourd’hui terminée. Si elle a coûté à Carrefour un milliard d’euros de pertes, elle a surtout été à l’origine de 2500 licenciements.
L’histoire se répète
Retour en arrière. En 2000, Carrefour, alors numéro un français de la grande distribution, reçoit le feu vert de Bruxelles pour le rachat de son concurrent : Promodès, pionnier des supermarchés en France. La nouvelle entité devient le numéro un de la grande distribution en Europe, et second à l’échelle mondiale, derrière l’Américain Wal-Mart. Mais tout n’est pas rose. Dix années passent et Carrefour avoue avoir du mal à digérer le rachat de son concurrent. Une grande restructuration s’engage avec de nouvelles pratiques, de nouvelles têtes recrutées à l’international et de nouveaux entrants au capital comme le groupe Arnaud. Parmi les décisions de l’équipe dirigeante, le rachat en 2014 des magasins Dia en France. Un choix qui s’est avéré peu judicieux.
Le retrait de Dia Espagne du marché français s’explique aisément. Au début des années 2010, le marché du « hard discount » dans la grande distribution française est en perte de vitesse. S’en suivent cinq années consécutives de baisse du chiffre d’affaires (-11,3 % pour la seule année 2013) convainquant la maison mère de Dia de vendre. Revenu sous la bannière de Carrefour en 2014, l’enseigne Dia voit alors ses magasins fermer petit à petit. Jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle direction en juillet 2017. Six mois plus tard, cette nouvelle équipe à la tête de Carrefour tranche dans le vif. Elle annonce la cession ou la fermeture des 273 magasins Dia encore ouverts dans l’Hexagone.
Au début de l’été 2018, une trentaine de magasins ont trouvé des repreneurs. Mais fin août, plus de 1500 salariés n’avaient toujours pas été reclassés, selon la CGT, entraînant de vives protestations des syndicats. « Des chefs de magasin ont reçu des offres faites pour être refusées. Cela a été vécu comme une humiliation de plus. », indique Frédéric Roux, le délégué syndical central CGT chez Carrefour. Chez Force ouvrière aussi, l’indignation est totale : « Une fois de plus, Carrefour fait preuve de mépris pour les salariés de Dia, laissés pour compte, qui ont tout connu, tout subi au fil des années, et doivent aujourd’hui abandonner leur outil de travail et leur emploi ». Le syndicat considère que « Carrefour pratique le “dégagisme” de ses ex-salariés sans aucun souci pour l’ancienneté ou sans aucune considération ».
Au tour de Casino ?
Le spectre des dossiers Promodès et Dia vient de refaire surface avec les rumeurs de rachat de Casino par Carrefour. En effet, si l’enseigne Casino (Géant, Monoprix, Franprix, Leader Price) enregistre de bons résultats, elle traverse une mauvaise passe liée au montant de sa dette. Le groupe aurait ainsi entériné début octobre la cession d’actifs non stratégiques pour un total de 1,5 milliard d’euros sur deux ans. Cela commencera par la cession des murs de 55 magasins Monoprix, et pourrait se poursuivre par la vente d’une vingtaine d’hypermarchés Géant déficitaires. Avec ce plan, Casino compte réduire sa dette d’un à deux milliards d’euros d’ici fin 2018.
Mais l’apparente fragilité du groupe, liée à sa dette, suscite l’appétit des marchés financiers. Depuis plusieurs années, Casino fait l’objet d’attaques répétées par des fonds spéculatifs spécialisés dans le « short selling », une technique consistant à spéculer à la baisse entraînant mécaniquement les cours des entreprises visées dans la même direction. Ainsi vulnérables aux velléités d’OPA, ces entreprises deviennent des proies alléchantes, notamment pour des concurrents qui trouvent le marché trop peu concentré à leur goût. C’est notamment le cas du PDG de Carrefour, qui juge le secteur français de la distribution « incroyablement concurrentiel ». Un constat qui n’est pourtant pas du goût des agriculteurs et des industriels de l’alimentation qui voient leurs prix de vente s’éroder d’année en année.
Racheter Casino pour se relancer dans le commerce en ligne ?
En réalité, l’éventuel rachat de Casino par Carrefour suivrait une double logique économique. Celle d’abord d’une réduction des coûts d’exploitation, d’un point de vue purement comptable, en mutualisant les moyens et les stocks par exemple. À titre d’exemple, la fusion entre la Fnac et Darty avait pour objectif de réaliser 130 millions d’euros d’économies. Un objectif atteint, mais avec des suppressions d’emplois. En 2017, Fnac-Darty a supprimé 111 postes rien qu’au siège social, certains postes faisant double emploi.
Deuxième raison d’un rachat, et non des moindres pour Carrefour : se renforcer sur le marché de la distribution en ligne, via l’accès à Cdiscount, une filiale de Casino. Le rachat hostile de Carrefour sur Casino permettrait donc de mettre la main sur cette filiale, et donc de remonter au classement de l’e-commerce. Le numéro un de la grande distribution en France n’apparaît pas dans le Top 10 des plateformes de commerce en ligne. Il est par exemple largement distancé par Leclerc sur le marché de la vente en ligne de produits frais de grande distribution. Pour Carrefour, la question est aussi celle de sa survie dans le monde de demain. Mais, comme pour les magasins Dia, au prix des emplois d’aujourd’hui.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.