Champagne LVMH suppressions d'emplois

Champagne LVMH : des syndicats « prêts à monter à Paris » face aux 1200 suppressions d’emplois

Les représentants syndicaux ont été reçus mardi par des dirigeants de maisons de champagne du groupe LVMH, qui a annoncé la suppression de 1 200 postes le 30 avril. Pas de quoi lever les incompréhensions, ni le flou entourant cette annonce : les syndicats ont donc annoncé le prochain dépôt d’un droit d’alerte et envisagent des mobilisations.

Les syndicalistes sont arrivés plein de questions, ils sont repartis bredouille. Mardi 7 mai, un rendez-vous s’est tenu avec des hauts cadres du groupe LVMH afin d’en savoir plus sur les annonces de suppressions d’emplois touchant Moët Hennessy, la branche « Vins & Spiritueux » du premier groupe de luxe au monde appartenant au milliardaire Bernard Arnault.

Le 30 avril, veille de la fête des travailleurs et travailleuses, le groupe a en effet annoncé la suppression de 12 % des effectifs de Moët Hennessy. Soit 1 200 postes. Une annonce choc, intervenue au détour d’une simple vidéo de communication interne aux salariés. Vingt minutes durant lesquelles Jean-Jacques Guiony et Alexandre Arnault, respectivement PDG et directeur-adjoint de Moët Hennessy, sont interrogés sur leur vision stratégique. La vidéo est intitulée « Pensez Demain ».

La plupart des salariés ont découvert l’information dans la presse, les jours suivants. « Moi-même je ne l’avais même pas repérée. Cette vidéo est en anglais sous-titré, et c’est seulement vers la fin au bout de la 13ème ou 14ème minute qu’ils annoncent leur volonté de réduire la voilure de 1200 personnes… », s’étonne encore Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de la CGT Champagne.

Le climat de travail s’en trouve, depuis, impacté. « Il y a beaucoup d’incompréhension », rapporte le syndicaliste. « Les gens attendent des réponses. Une peur s’est installée au sein des salariés comme des cadres. Ils nous contactent sans cesse : où auront lieu ces suppressions ? Et quand ? Mais on ne sait pas leur répondre. On aurait aimé être informés en préalable, puisque c’est nous qui nous retrouvons en première ligne ».

Les représentants syndicaux de la branche sont donc arrivés avec toutes ces questions, hier, devant la PDG de Moët & Chandon Sybille Scherer ou encore Frédéric Dufour, PDG de Ruinart (maison de LVMH). « Le chiffre de 1200 ne sort pas de leur chapeau : je présume qu’ils ont une feuille de route, qu’ils savent où ils vont aller », souligne Philippe Cothenet. Or, aucune réponse ne leur a été réellement apportée. « Ils ont tenté de nous rassurer, en nous disant que ces 1 200 suppressions concernent le monde entier, pas seulement la France. Mais sans nous donner les directives, sans nous dire quel secteur d’activité sera touché, quelle entreprise, combien de postes en France… », regrette le syndicaliste.

Un nouveau rendez-vous doit avoir lieu « très prochainement, sans doute avant le 2 juin » avec le PDG de Moët Hennessy. Les syndicats comptent, quoi qu’il en soit, déposer un droit d’alerte lors du prochain comité CSE central, au mois de juin. La procédure du droit d’alerte peut concerner des faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise : elle permet d’exiger des explications de la part de l’employeur.

Si ces explications s’avèrent préoccupantes, « il y aura des mobilisations. On leur a déjà dit qu’on serait prêts à monter à Paris s’il faut », indique Philippe Cothenet. D’après les informations de France Bleu, les OS envisagent notamment d’intervenir lors d’une grande réunion prévue les 20 et 21 mai, place Vendôme à Paris sur le site de Louis Vuitton. 

L’un des principaux axes de défense du groupe est de répéter que ces 1200 suppressions ne seront pas des licenciements, mais des non remplacements. Qu’il n’y aura, donc pas de plan social. Le groupe communique sur une volonté de « revenir progressivement à ses effectifs de 2019, par la gestion de son turn-over et le non-renouvellement de postes vacants ». Les syndicats restent méfiants. Philippe Cothenet garde en mémoire l’épisode de 1993 : un grand plan social avait touché plusieurs maisons, malgré les promesses, en premier lieu, d’une réduction en douce des coûts.

« Ils ne feront pas comme le PSE de 1993 : c’est trop frontal et ils savent qu’il y a une grosse force syndicale. Mais ils vont cibler des postes à ne pas renouveler, pousser certains à partir, ne pas embaucher pendant 2,3 ans… », imagine Jordan*, salarié chez Moët. Si pour lui, cette annonce est « l’arbre qui cache la forêt », ses collègues ne s’inquiètent pas outre-mesure à l’heure actuelle.

« Ceux du vignoble par exemple ne se sentent pas vraiment concernés : ils se disent que les vignes, il faudra toujours les faire, et que les premiers qui sauteront seront la partie administrative. C’est peut-être vrai, mais le vignoble sera quand même touché. Je pense que mes collègues prennent le problème trop à la légère. »

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Côté syndical en effet, les inquiétudes montent quant aux retombées de la charge de travail non remplacée. « Il y a de la pénibilité dans les vignobles, en production. Les rythmes ne sont plus les mêmes qu’avant », décrit Philippe Cothenet. Le plan de licenciements en 93 avait été compensé par l’accélération des rythmes de travail. Pour réaliser les métiers dits saisonniers (taille, liage…) dans un vignoble, la cadence était en moyenne de « 450 heures par hectare ; contre 250 aujourd’hui ». Quant aux métiers de l’administratif, le syndicaliste craint des pressions supplémentaires, là où il existe déjà « des risques psychosociaux identifiés ».

De plus, ces annonces interviennent dans un climat social déjà compliqué au sein de la filière Champagne. Les NAO de la filière, ouvertes le 28 janvier à Reims, ont engendré des conflits. Les employeurs ont proposé une augmentation d’à peine 1,1% : l’intersyndicale CGT, CFDT et FO a refusé de signer l’accord, exigeant 3,13 % puis 2,4 %, rappelle L’Humanité. Pour rappel, le chiffre d’affaires de la filière Champagne dans son ensemble s’élevait à 5,8 milliards en 2024.

L’absence d’accord au niveau conventionnel a renvoyé les négociations dans les différents groupes maisons. Au sein du groupe LVMH, une grève a eu lieu chez Moët & Chandon, le 8 avril, avant d’aboutir à un accord sur une augmentation à 1,7 %. Chez Canard-Duchêne (groupe Thiénot), des actions ont lieu depuis le 7 avril et la situation n’y est pas encore réglée. Chez Vranken Pommery (groupe Vranken Monopole), les salariés se sont mobilisés fin avril au sujet de leur prime d’intéressement.

Du côté du groupe LVMH, on justifie cette situation globale par des arguments financiers : le chiffre d’affaires des vins & spiritueux a baissé de 11 %, en 2024, puis de 9 % au premier trimestre 2025. « Après trois années exceptionnelles, la normalisation post-Covid de la demande de champagne et de cognac, amorcée en 2023, s’est poursuivie dans un contexte de ralentissement de la consommation et de marché plus difficile en Chine », prévenait fin janvier LVMH au moment de ses résultats annuels.

« Il y a eu une euphorie post-covid », retrace Philippe Cothenet. L’année 2022 a été celle des records pour le secteur du Champagne : « on a atteint le toit du monde dans les dividendes. Le groupe LVMH en a donc profité pour racheter des petites sociétés à droite à gauche. Mais on savait que certaines n’étaient pas rentables, que ce n’était pas un modèle viable. » La CGT avait alerté sur cet enjeu de la viabilité, questionnant aussi l’augmentation « rapide et surprenante » du prix moyen de vente (26 % en quatre ans, chiffre L’Union) qui a permis la forte hausse des dividendes.

La filière « a surfé sur une explosion des ventes, avant de rétropédaler », résume Philippe Cothenet. Aujourd’hui, le syndicaliste estime que la réduction des coûts d’exploitation pourrait ne pas peser uniquement sur le personnel, mais puiser ailleurs. Notamment du côté du recours implosif aux prestataires, épinglé ces dernières années par la CGT Champagne pour avoir engendré une dégradation des conditions de travail.

Photo : Le Château de Saran, propriété de LVMH. Crédits Valentina Camu.