Collèges : un statu quo impossible à tenir pour Jean-Michel Blanquer ?

 

La journée de grève nationale du 10 novembre a été l’occasion d’un premier face à face entre les enseignants et leur ministre depuis le printemps dernier. Avec près d’un gréviste sur deux dans les collèges, la mobilisation de la profession a de quoi inquiéter Jean-Michel Blanquer. Pourtant, le déni semble toujours de mise du côté de l’Éducation Nationale qui s’arc-boute sur son refus de dédoubler les collèges. Et pour cause : obliger les parents à garder leurs enfants changerait considérablement la nature du confinement.

 

La grève appelée aujourd’hui par la majorité des syndicats enseignants concentre de bien nombreuses colères. « Les enseignants me parlent encore de l’hommage à Samuel Paty, qui s’est déroulé dans le fiasco le plus total. Ils ont une fois de plus l’impression d’avoir été méprisé et forcément, ça énerve », confie Théo Roumier militant à Sud-Éducation, alors qu’il revient d’une tournée syndicale sur Orléans lundi 9 novembre. C’est sans doute ce qui explique la très forte mobilisation du jour (45% de grévistes dans les collèges selon le SNES-FSU).

Pourtant, parmi les multiples motifs de mobilisation, c’est la question sanitaire qui entraîne aujourd’hui la massification de la grève. Dans de nombreux collèges, les enseignants et les élèves ne se sentent plus en sécurité. Pire, ils ont le sentiment de répandre le virus. Face à une seconde vague qui, selon les propres mots du président de la république, « sera sans doute  plus meurtrière que la première », l’impréparation de leur ministère les révolte.

 

Fiasco dans les collèges

 

« Nous avons soumis à notre hiérarchie un protocole qui exigeait la réduction des effectifs. On nous en a renvoyé un autre à la place, totalement absurde », s’insurge Aurélien Perenna, professeur de lettres classiques au collège Lavoisier de Pantin (93). Dans son établissement, plus d’une vingtaine d’enseignants ont fait valoir leur droit de retrait jeudi et vendredi dernier, estimant que les conditions sanitaires n’étaient plus supportables. Lundi, les enseignants tentent d’appliquer un protocole soumis par leur rectorat, même s’ils savent déjà qu’il est inapplicable.

« Ce protocole ne prévoyait pas de dédoublements. Il tentait de fixer une salle pour chaque classe… mais on a plus de classes que de salles ! Il a donc fallu qu’on réquisitionne le CDI :  les professeurs documentalistes ne pouvaient plus faire cours. Même chose pour les enseignants qui ont des salles dédiées comme ceux de technologie de SVT, de physique etc. » En ce mardi de grève, le collège Lavoisier est donc fermé : 100% des AED et des agents de service sont grévistes ainsi que 80% des enseignants. La situation ubuesque causée par ce protocole sanitaire imposé a écœuré le personnel.

La situation de ce collège est caractéristique de l’état de désorganisation que l’on retrouve dans de nombreux établissements scolaires. Le nombre de débrayages, de droits de retraits, de demandes de banalisation, de grèves mais également de blocus lycéens (souvent levés par les interventions musclées de la police) observés la semaine dernière en est d’ailleurs un symptôme. Pour avoir une idée de cette dynamique à l’échelle nationale, un collectif d’enseignants en lutte a établi une carte à partir de remontées du terrain.

 

 

« Vous ne passerez pas »

 

L’Éducation Nationale, qui s’est montrée plutôt favorable à la réduction des effectifs dans les lycées, ne serait donc pas prête à bouger d’un poil dans les collèges ? C’est ce que semble confirmer la situation observée dans le collège Jean-Jaurès de Castanet-Tolosan.

Dans ce collège de 900 élèves, situé en banlieue toulousaine, les enseignants font valider vendredi soir par leur rectorat, un protocole sanitaire permettant le dédoublement des effectifs. Il prévoit qu’à partir de lundi, les élèves alternent présence et distance tous les 2 ou 2.5 jours. Pendant le weekend, « tout le monde travaille d’arrache-pied pour le mettre en place. Les parents soutiennent cette démarche. La mairie étudie la possibilité d’une organisation similaire dans les établissements du premier degré de la commune », explique le communiqué des enseignants de l’établissement.

Pourtant, alors que la nouvelle organisation était prête à démarrer dès le début de la semaine, le rectorat rétropédale lundi à 9h30 et demande finalement à l’établissement de réécrire un protocole. « Il y a d’autres gros collèges de l’académie qui veulent demander des réductions d’effectifs, mais la situation ne les encourage pas à le faire. On se heurte pour l’instant à un mur au niveau des collèges », complète Pierre Pioret, secrétaire général du SNES-Toulouse.

 

Jean-Michel Déni

 

Mais pourquoi dédoubler les lycées et pas les collèges ? « Cela n’a pas de sens sur le plan strictement sanitaire. Il y a des collèges qui sont plus gros que certains lycées, le virus s’y répand de la même façon », assène Pierre Pioret du SNES de Toulouse. Loin d’aborder la situation avec honnêteté, Jean-Michel Blanquer préfère se retrancher derrière la muraille du mensonge, quitte à déclarer à la France entière que l’épidémie est maîtrisée dans les établissements scolaires, chiffres bidons à l’appuie.

Les données de Santé publique France le contredisent totalement. « Pour la seule journée du 2 novembre, 1 849 jeunes de 0 à 9 ans ont été infectés, et 8 116 jeunes de 9 à 19 ans. Trois fois plus que le nombre d’élèves contaminés en quatre jours selon le ministère. Ces données étaient respectivement de 1 515 et 6 703 le 3 novembre, et de 1 376 et 5 637 le 4 novembre », explique Checknews.

« La réalité n’intéresse pas M.Blanquer, tacle Claire Gueville responsable du lycée pour le SNES-FSU, ce qui l’intéresse, c’est l’affichage avant tout. Ce n’est pas nouveau on a déjà connu ça lors de la bataille contre la réforme du bac ou des E3C. Le déni, c’est sa spécialité. »

 

Dédoubler les collèges, changer la nature du confinement

 

Le refus de dédoubler les collèges s’appuierait donc non pas sur des arguments sanitaires mais sur des arguments pédagogiques et sociaux. Alors qu’ils les appellent de leurs vœux, les enseignants interrogés ne nient pas que des dédoublement massifs dans les collèges poseraient de nombreuses questions. « Les élèves de sixième, de cinquième, ce sont encore des enfants. Beaucoup ne sont pas capables d’être seuls pendant une journée, encore moins de travailler en autonomie. Les outils pédagogiques manquent, le numérique fonctionne mal et le premier confinement nous a appris qu’on perdait des élèves avec la distance, c’est une réalité. Mais justement, si on lutte aujourd’hui pour des dédoublements, c’est parce que nous avons peur qu’on nous dise de fermer totalement. Bien-sûr il aurait fallu anticiper tout cela bien avant… mais notre ministère ne l’a absolument pas fait. »

A la différence des lycées, se diriger massivement vers des dédoublements dans les collèges poserait également la question de la garde des enfants. Cela changerait considérablement la nature du confinement puisqu’un grand nombre de salariés seraient obligés de garder leurs enfants au lieu de travailler, poussant ainsi le gouvernement à débloquer de nouveaux fonds..

Y est-il prêt ? Impossible de le savoir. Les déclarations de Jean Castex jeudi prochain répondront peut-être à cette question. Quoi qu’il en soit, le statu quo semble difficile à tenir pour le gouvernement…et encore davantage pour Jean-Michel Blanquer, qui pourrait bien être contraint d’écouter les enseignants pour une (deuxième) fois.

 

Photo : CC © Nicolas DUPREY/ CD 78