Coronavirus : confine-toi, mais va bosser !


 

Lundi 16 mars au soir, le chef de l’État a appelé les Français à la « mobilisation générale ». Sans prononcer le mot confinement, il a pris des mesures visant à restreindre à l’indispensable les déplacements de la population, pour une durée de 15 jours, à compter de mardi midi. Mais concernant le travail, le confinement effectif ne semble pas vraiment souhaité par l’exécutif. Résultat ce matin dans de nombreuses entreprises : une situation chaotique et des salariés déboussolés par des injonctions contradictoires.

 

Emmanuel Macron l’a dit et répété six fois : « nous sommes en guerre ». Dans cette guerre, « chacun d’entre nous doit à tout prix limiter le nombre de personnes avec lesquelles il est en contact chaque jour. Les scientifiques le disent, c’est la priorité absolue », a expliqué le chef de l’État. Ainsi, les déplacements et les interactions sociales de l’ensemble de la population vont être limités au moins pendant 15 jours. Deux heures après l’allocution du président de la République, le ministre de l’Intérieur a organisé une conférence de presse pour détailler les modalités du confinement à la française.

« Les déplacements pour s’alimenter, pour des motifs familiaux impérieux, pour des motifs sanitaires seront autorisés. Les sorties pour assurer une activité physique ou pour promener son chien sans se retrouver en groupe seront possibles. On pourra prendre l’air, mais certainement pas jouer un match de foot […], aller pique-niquer dans un parc, c’est interdit, se retrouver en groupe c’est interdit », a expliqué Christophe Castaner. En résumé : « restez chez vous » comme l’a préconisé le ministre, et comme ne cessent de le répéter les personnels soignants des hôpitaux.

 

Travail : l’exception à la règle

 

Des mesures-chocs frappant l’imaginaire et le quotidien des Français dès mardi midi. Cependant, à la question d’une journaliste de LCI l’interrogeant sur la liste des métiers jugés indispensables en dehors des professions sanitaires, le ministre de l’Intérieur s’est fait moins martial. « La décision du président de la République et du gouvernement permet à tous les citoyens français de se rendre à leur travail, quel que soit le travail », a répondu Christophe Castaner. Pour l’exécutif, un appel non contraignant à la responsabilité des entreprises, pour qu’elles étendent le télétravail ou respectent les consignes et gestes barrières suffit. Ici, pas de contravention à 38 € prévue en cas de non-respect des obligations de protection.

Emmanuel Macron n’avait finalement pas dit autre chose deux heures plus tôt : « Seuls doivent demeurer les trajets nécessaires : ceux pour faire les courses, ceux pour se faire soigner, ceux pour aller travailler quand le télétravail n’est pas possible. » Pour l’exécutif, la poursuite de l’activité économique semble primer sur les mesures de confinement, et pas seulement pour les activités indispensables. Sur ce point, une certaine continuité est à l’œuvre. Déjà au début du mois de mars, de nombreux ministres étaient montés au créneau pour affirmer de façon hasardeuse que le droit de retrait ne s’appliquait pas face à l’épidémie de Covid-19.

 

Guerre de classe dans les entreprises ce mardi matin

 

Des grèves vont-elles éclater comme en Italie du Nord dans le secteur industriel ? Cela semble probable au regard de l’ambiance dans de nombreuses entreprises depuis quelques jours. « Comment concevoir sérieusement que l’on puisse participer au freinage de la propagation du virus si les salariés des sites de PSA continuent à s’entasser dans les transports en commun pour se rendre au travail, à se changer dans les vestiaires, à manger et à travailler les uns sur les autres, le jour, la nuit et le week-end ? » interrogeait ce week-end un communiqué de la CGT chez Peugeot. Mettant en avant le caractère non indispensable de la poursuite de la production, la CGT demandait la fermeture des sites du groupe automobile. Lundi, la direction a décidé de fermer 15 sites français avant la fin de la semaine.

Avant que son concurrent Renault décide de faire de même, ses salariés de l’usine produisant des moteurs de camions à Bourg-en-Bresse ont fait valoir leur droit de retrait en dénonçant l’insuffisance des mesures de protection mise en œuvre par leur employeur. Si aujourd’hui, le secteur de l’automobile a décidé de se mettre à l’arrêt avec les annonces de fermeture chez Michelin et Toyota, il n’en est pas de même dans toute l’industrie. Le secteur qui justement concentre une grande proportion d’emplois impossible à basculer en télétravail. Chez General Electric en Franche-Conté, 150 ouvriers ont fait valoir leur droit de retrait ce matin. À Saint-Nazaire, la CGT demande la fermeture des Chantiers de l’Atlantique où 5000 personnes travaillent quotidiennement.

 

Des salariés sous pression

 

Autre lieu de grande tension ce matin : La Poste. À Mulhouse, Marseille, en Gironde, dans les Hauts-de-Seine ou la Sarthe, de nombreux facteurs ont fait valoir leur droit de retrait. Outre l’inquiétude pour leur propre santé, les agents de la distribution du courrier craignent de participer à la diffusion du Covid-19 en poursuivant leurs visites au domicile des usagers sur leurs tournées. « Une bouteille d’eau, un paquet de mouchoirs jetables et un sac poubelle : c’est tout ce que la Poste a fourni aux facteurs au lendemain de l’allocution du président de la République annonçant le confinement », explique auprès de l’AFP un responsable syndical de la région grenobloise.

À Montpellier Sud, en l’absence de nouvelles mesures prises par la direction, les facteurs ont improvisé une assemblée générale et voté à une écrasante majorité l’utilisation du droit de retrait. Un temps, la direction tenta de leur expliquer que le droit de retrait ne s’appliquait pas à La Poste, avant de reculer face à des postiers scandalisés. Ce qui ne l’a pas empêché par la suite de mettre une pression individuellement sur les facteurs pour qu’ils travaillent, notamment ceux en CDD. Finalement, une vingtaine de facteurs ont maintenu leur retrait du service. Pour autant, dans ce bureau, La Poste envisage pour les jours à venir de faire tourner les effectifs pour n’avoir que 50 % des agents présents par jour. A Lunel, dans le même département, ce sont des menaces verbales de licenciements auxquelles les facteurs ont eu droit en guise de protections supplémentaires.

Des débrayages ou des droits de retrait ont également eu lieu ce matin chez Amazon, à l’usine Safran du Havre, à la Compagnie des transports strasbourgeois. Par contre, dans les petites entreprises la situation est nettement plus difficile. La présence syndicale y est plus rare et de nombreux salariés doivent se débrouiller seuls face à leur employeur. Dans celui de l’aide à domicile par exemple, dominé par le travail féminin et la précarité, les salariés rendent visite à des personnes fragiles chez elles, le plus souvent sans protections et sans connaître leurs droits. Avec le risque bien sûr d’être infecté par le virus et d’être un vecteur de la contagion auprès d’un public souvent déjà malade. Ici, pour ces salariés, la formule « nous sommes en guerre » d’Emmanuel Macron ressemble plutôt à celle d’un « à la guerre comme à la guerre ».