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Directive omnibus : le patronat et la commission européenne s’attaquent au devoir de vigilance

Présentée ce 26 février à Bruxelles, la directive omnibus promet une « simplification administrative » radicale dans l’Union européenne. Derrière ce jargon : la volonté de s’en prendre à un certain nombre de règles protectrices pour l’environnement et les salariés. Parmi elles : la directive européenne sur le devoir de vigilance, adoptée il y a moins d’un an. 

« On fait face à une stratégie du choc », assure Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT en charge des questions internationales. Le 25 février, le syndicaliste s’est rendu en urgence à Bruxelles en compagnie de quelques camarades pour un rassemblement initié par la Confédération européenne des syndicats (CES). La manifestation, « très symbolique », selon le cégétiste, se veut un signal d’alerte. Ce 26 février devrait être dévoilé un premier paquet législatif appelé « paquet omnibus ». Prétextant un « choc de simplification », la directive ambitionne d’affaiblir certaines obligations qui contraignent les entreprises en matière de protection sociale et environnementale. Dans le viseur : la directive européenne sur le devoir de vigilance (directive CS3D).

La manœuvre est pilotée par le commissaire européen Stéphane Séjourné, chargé du portefeuille de la stratégie industrielle, macroniste de la première heure nommé ministre de l’Europe et des Affaires étrangères du gouvernement de Gabriel Attal. Il est largement soutenu par le ministre de l’Economie Eric Lombard, qui se positionne pour un « report sine die de l’entrée en vigueur de la directive [sur le devoir de vigilance] », rappelle Mediapart. Le projet est également poussé par l’Association française des entreprises privées, lobby porte-parole du CAC 40, qui lutte contre la directive européenne sur le devoir de vigilance de longue date, souligne l’Observatoire des multinationales. « On craint que tout ça puisse aller très vite, pour l’instant personne n’en parle mais il va falloir réagir », estime Boris Plazzi.

La directive européenne sur le devoir de vigilance rend les entreprises donneuses d’ordre responsables des manquements et abus de leurs sous-traitants. Elle avait été adoptée le 24 avril 2024, 10 ans après l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui a causé la mort d’au moins 1127 salariés travaillant pour des sous-traitants de la fast fashion. Les entreprises donneuses d’ordre s’appelaient Mango ou encore Primark.

Sous sa forme actuelle, la directive vise les entreprises établies dans l’Union européenne (UE) employant au moins 1000 salariés, et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 450 millions d’euros. Elle affecte également les entreprises hors UE si leur chiffre d’affaires dépasse 300 millions d’euros dans l’UE. Adoptée sous une forme déjà édulcorée, elle ne concerne que 5400 entreprises sur les 32 millions que compte l’UE. Sa mise en application est échelonnée jusqu’en 2029.

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A noter que cette directive se superpose à la loi de vigilance française. Son champ d’application est plus étendu et, si 263 sociétés peuvent être concernées par la loi française, leur nombre se porte à 466 grâce à la directive européenne. La Poste a d’ailleurs été récemment condamnée à ce titre pour l’exploitation de travailleurs sans-papiers par ses entreprises sous-traitantes.

Autre cible des directives omnibus : « le reporting d’information extra-financières » (directive CSRD). Il renforce les obligations de transparence des entreprises en matière d’impacts environnementaux, en lien avec le Green deal agricole. Selon nos informations, le seuil d’application de la CSRD pourrait être rehaussé. Le chiffre d’affaires net requis pour les entreprises soumises à cette obligation passerait de 150 millions d’euros à 450 millions d’euros et 1 000 employés.

Pour la CGT, cette offensive dérégulatrice s’inscrit dans le programme d’Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, présenté au forum de Davos. Ce programme se situe lui-même dans la lignée du rapport Draghi, publié en juin 2024. Il pointe un ralentissement de la croissance et une supposée perte de compétitivité du vieux continent. 

« Pour Ursula Von der Leyen, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de concurrence où les principales puissances économiques mondiales se battent pour les matières premières, les nouvelles technologies, les routes commerciales mondiales », résume Boris Plazzi. Le cégétiste rappelle qu’une feuille de route intitulée « boussole de la compétitivité », a été publiée le 29 janvier. Elle doit guider le travail de l’UE pour les 5 années à venir. Son objectif, dans le jargon de la Commission : « augmenter la compétitivité grâce à l’innovation », « surmonter les pénuries de main d’oeuvre », « réduire les formalités administratives ».

Pour y parvenir, la CGT estime que la stratégie de la Commission reposera sur plusieurs fondements « extrêmement problématiques ». D’abord une simplification administrative radicale, dont les directives omnibus font partie. Mais aussi la volonté de drainer l’épargne européenne pour augmenter les possibilités d’investissement de l’UE et combler l’écart avec les Etats-Unis. « Les nouveaux produits d’épargne concerneraient avant tout les retraites, c’est un pas de plus vers un financement par capitalisation », indique Boris Plazzi. Enfin, la commission envisage même la création d’un « 28e régime [droit des sociétés, fiscalité, social…] » en plus des régimes nationaux. « Une entreprise, par exemple française, pourrait décider de s’y rattacher ce qui permettrait de court-circuiter les règles en vigueur dans chacun des Etats membres. C’est une attaque très grave ! », alarme le secrétaire confédéral, qui considère que les syndicats doivent mettre en place une riposte d’ampleur en Europe.