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Du personnel non-qualifié dans les crèches ? La colère des professionnelles de la petite enfance


Les professionnelles des crèches descendront dans les rues d’une soixantaine de villes, ce 6 octobre, à l’appel du collectif Pas de bébé à la consigne. Cela fait plusieurs mois déjà qu’elles se mobilisent contre les récentes réformes de leur secteur et pour de meilleures conditions de travail. Mais ce jeudi, ces salariées montent aussi au créneau contre un arrêté paru fin juillet qui autorise l’embauche de personnel non-qualifié dans les crèches.

 

Ce jeudi, la journée de grève des professionnelles de la petite enfance, initiée par le collectif Pas de bébé à la consigne, promet d’être importante. « Je pense qu’il y aura des énormes taux de débrayage : on a déjà des remontées très importantes », parie Delphine Depay, en charge du médico-social à la CGT services publics. « Beaucoup de collègues contactent les syndicats locaux, proposent leur aide pour organiser la journée… C’est que l’on est arrivé à un point de non-retour ».

Dans son appel à la grève, le collectif Pas de bébé à la consigne demande l’ouverture de places supplémentaires dans les centres de formation, la revalorisation des salaires, l’amélioration des conditions de travail. Mais aussi – et surtout – le retrait d’un arrêté paru le 29 juillet.

Pour les professionnelles, ce texte est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Apparu en plein milieu de l’été, alors que les crèches municipales, notamment, étaient toutes fermées pour cause de vacances scolaires, il fait vivement réagir depuis la rentrée. Et pour cause : cet arrêté autorise l’embauche de personnel non-diplômé dans les crèches.

« Dans un contexte local de pénurie de professionnels (…) des dérogations aux conditions de diplôme ou d’expérience (…) peuvent être accordées en faveur d’autres personnes, en considération de leur formation, leurs expériences professionnelles passées, notamment auprès d’enfants, leur motivation à participer au développement de l’enfant », indique l’arrêté en question. Les personnes recrutées dans ce cadre bénéficieront seulement de 120 heures « d’accompagnement dans l’emploi »… Assurées par les collègues eux-même.

 

« Ce n’est pas un métier qui s’improvise »

 

« Un coup bas pendant l’été », résume Sylvie Beck, responsable du secteur petite enfance pour la FNAS FO. Cet arrêté s’inscrit dans la suite de la réforme des modes d’accueil dans les crèches, portée par Adrien Taquet. Cette réforme était entrée en vigueur en septembre 2021. À l’époque déjà, Sylvie Beck s’inquiétait que le décret Taquet inclut « des tas d’articles où le mot « encadrant » est remplacé par le mot « personnel présent ». Je pense qu’il y a une entourloupe », nous confiait-elle. L’arrêté de cet été ne fait que confirmer – et concrétiser – ces intuitions.

« Je n’ai pas fait 3 ans d’étude pour qu’on me dise : ça ne sert à rien… », s’attriste Magali, éducatrice de jeunes enfants dans le sud-ouest de la France. « On s’occupe d’humains, pas de machines. Il s’agit de familles avec des situations parfois compliquées, qui peuvent mettre des collègues en difficulté alors qu’elles sont formées. En plus on est en sous-effectif : on ne peut pas prendre le temps de former des gens qui ne le sont pas ! »

« Ce métier là, ce n’est pas un métier qui s’improvise », abonde Sophie*, 25 ans d’expérience dans le secteur. Cette professionnelle rappelle la séquence médiatique autour du bébé tué durant l’été, à Lyon, par une jeune salariée. « C’était une jeune diplômée qui a perdu pied. Certes, c’était un cas à part, mais c’était aussi une personne qui n’avait pas d’expérience ». L’arrêté du 29 juillet lui paraît donc une réponse « paradoxale, et pas rassurante du tout » à la mise en lumière brutale des problèmes dans les crèches qu’avait provoqué ce fait divers.

« Ce sont des métiers extrêmement durs, physiquement et psychologiquement. Ce n’est pas avec 120 heures de formation, assurées par les salariées en poste, que l’on règle ça… » , poursuit Sophie. « Ça va être du tout-venant, un peu comme ce qu’il se passe dans l’Education nationale », conclut-elle.

Elle est loin d’être la seule à dresser ce parallèle. « Le gouvernement assure vouloir régler le problème de fond de pénurie du personnel. Mais en réalité, ils ont mal anticipé la rentrée. Cet arrêté, ça fait un peu panique à court terme. On a vu ça chez les enseignants aussi », analyse aussi Sylvie Beck.

 

Favoriser le privé

 

« Les portes des crèches sont désormais ouvertes de plein droit à tous les professionnels titulaires de compétences et d’expériences reconnues en matière d’accueil du jeune enfant », s’est félicité de son côté la Fédération française des entreprises de crèches, dans un communiqué paru dans la foulée de l’arrêté.

Pour nos interlocutrices, il s’agit là d’un cadeau de la part du gouvernement aux acteurs privés de la petite enfance. Ces derniers ne font que gagner en puissance dans le secteur, ces dernières années : nos confrères de Médiacités viennent de publier une série d’enquêtes sur le sujet.

« Les Petits Chaperons Rouges, Babilou, sont des entreprises cotées en Bourse…  Le gouvernement est à fond derrière ces lobbies là. Il leur donne l’occasion de payer moins cher », expose Sophie. Les coûts d’embauche s’en retrouvent, de fait, diminués. « C’est un jeu sournois et hypocrite du gouvernement, pour aller vers leur ultime objectif : une privatisation grandissante du secteur », synthétise Delphine Depay de la CGT.

La responsable syndicale retrouve là un schéma « caractéristique des structures lucratives dans d’autres secteurs, comme les Ehpad ». Un schéma basé sur « une déqualification à outrance des personnels, qui aboutit à des catastrophes humaines. La petite enfance est sur cette autoroute de la marchandisation ».

 

Une dégradation « accélérée »

 

Dans la crèche privée où travaille Magali, il n’y a pas de problème de recrutement, assure-t-elle. Pour autant, « le groupe n’arrive pas à se poser. C’est usant pour les professionnels », raconte la salariée qui a déjà cinq ans d’expérience derrière elle. La faute aux taux d’occupation imposés. « Au-dessus de notre directrice, on lui demande de remplir la crèche, pour que le taux d’occupation soit à son maximum. Résultat : on a 40 enfants tous les jours, alors qu’on a une capacité de 35. On est en surbooking tous les jours ! »

Cela s’explique par les dernières réformes des modes de calculs. Auparavant, le taux d’occupation était calculé sur la semaine. Depuis la réforme Taquet, il l’est sur l’année. Le taux est donc censé se lisser et se réguler en anticipant, par exemple, « des épidémies de gastro en hiver, ou les vacances l’été… ». Mais dans les faits, « cette année, on a été au complet jusqu’à la fermeture », conclut Magali.

Conséquence de ces dernières réformes : à la CGT Services Publics, on recense « davantage d’accidents de services, d’arrêts maladies, de burn-out… On a des témoignages de professionnelles qui se retrouvent seules à gérer 6, 7, 8 bébés… Même sur la fonction publique territoriale, on assiste à un nombre croissant de démissions », décrit Delphine Depay.

Et pendant ce temps, les salaires ne suivent pas. Dans la branche des crèches non-lucratives, par exemple, entre le 1er janvier 2020 et janvier 2022, « on est à 0,54 % d’augmentation de salaire. C’est-à-dire rien », précise Sylvie Beck. « C’est une dégradation constante et considérable. Et ça va de plus en plus vite », conclut Sophie, en analysant dans le rétroviseur ses 25 ans de carrière.

 

D’autres solutions existent pour répondre à la pénurie

 

Dans son discours de politique générale, Elisabeth Borne avait évoqué la nécessité de créer 200 000 places de crèches. Une affirmation « hors-sol », soupire Delphine Depay, puisqu’« aujourd’hui on fait face à des fermetures de berceaux, au manque de personnel ». Et l’embauche de personnel non-qualifié « n’est pas, comme ils l’affirment, la seule et unique solution pour répondre à la pénurie ». Mais alors : quelles sont les autres solutions ?

Avant tout, la revalorisation du métier, qui passe par de meilleurs salaires et conditions de travail, défendent nos interlocutrices. D’autres propositions émanent de syndicats et de collectifs de travailleuses. Dans le public, par exemple, les agents de la petite enfance de la Ville de Paris ont fait part d’initiatives concrètes lors de leur dernière grève du 7, 8 et 9 septembre. « Pour faciliter le recrutement, on a proposé à la mairie de créer une école des métiers de la petite enfance, qui serait gratuite et, en échange, les étudiants s’engageraient pour quelques années à travailler pour la Ville », explique Elisa Martinez, du syndicat SUPAP-FSU, à Actu.fr.

Plus globalement, le collectif Pas de bébé à la consigne avait émis 20 propositions aux candidats des présidentielles et législatives pour améliorer la situation. Parmi ces propositions, le retour à un ratio d’au moins 50% de professionnelles les plus qualifiées (puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, psychomotriciennes) dans chaque établissement d’accueil de jeunes enfants.