Guyane

En Guyane, le patronat retrouve le chemin de l’opposition au mouvement social

 

La Guyane est agitée depuis plus de trois semaines par un mouvement de contestation très large et une grève générale. Suite à la manifestation monstre du 28 mars, le gouvernement a annoncé un plan d’aide d’un milliard d’euros sur dix ans. Insuffisant pour répondre aux immenses besoins sociaux du département et mettre fin au mouvement porté par le collectif « Pou Lagwiyann dékolé ». De son côté le patronat appelle à la levée des barrages.

 

Près de 200 manifestants ont réclamé la levée des barrages mardi 11 avril à Kourou, brisant l’apparente unanimité du soutien à la grève générale lancée le 23 mars. Dans cette ville symbole de la présence française en Guyane, où se font face le centre spatial, un casernement de légionnaires, et des logements sans eau ni électricité, les opposants à la poursuite des barrages ont déposé une main courante à la gendarmerie. Le motif : l’entrave à la liberté de circuler. Un rassemblement identique réunissant une centaine de personnes a eu lieu à Cayenne aujourd’hui.

Ces initiatives, portées par une page Facebook « Stop aux barrages » réunissant plus de 3000 personnes, expriment les divergences d’une partie de la population sur la suite du mouvement. L’arrêt total des barrages pour certains, le blocage des seules administrations pour d’autres. Ces rassemblements, surtout fréquentés par des artisans et des petits entrepreneurs, surviennent après la prise de distance, la semaine dernière, du patronat local vis-à-vis de la poursuite du mouvement et de son durcissement.

Le Medef, par la voix de son représentant local, Stéphane Lambert, a qualifié les mesures du gouvernement « d’avancées significatives et urgentes ». L’annonce d’une subvention exceptionnelle de 53 millions d’euros à la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), pour régler les factures aux entrepreneurs, ainsi que les projets de construction d’infrastructures à hauteur de 300 millions contenus dans le plan gouvernemental, contentent les entreprises locales. Tout en affirmant continuer à soutenir le mouvement, le Medef appelle, depuis le 5 avril, au déblocage du port et de l’aéroport pour permettre une reprise économique. Une position prise en concertation avec le syndicat patronal national, selon le quotidien France Guyane. Depuis, la Fédération des très petites entreprises (FTPE) s’est retirée du collectif de mobilisation, et le président de la Fédération du BTP, Franck Ho-Wen,-Sze réclame la levée des barrages et le rétablissement de la libre circulation.

 

L’essentiel des approvisionnements de la Guyane vient de métropole, malgré des frontières communes avec le Brésil et le Surinam – Photo Wikipédia par Ronan LIETAR / IMAZONE

Ces prises de distance des patrons guyanais révèlent un tournant dans la mobilisation. Le tous ensemble des débuts semble fini, fermant la parenthèse d’un mouvement atypique en Guyane. Initiée en février par plusieurs collectifs citoyens, dont celui très médiatisé des 500 frères, la contestation a gagné du terrain. Rejoint par l’Union des travailleurs guyanais qui appelle à la grève générale à partir du 23 mars, elle touche l’ensemble de la société. Les organisations patronales, Medef et CGPME, participent au mouvement. Les populations amérindiennes et des paysans Mong se joignent à la contestation. Fait exceptionnel expliquant le succès de la manifestation du 28 mars qui a réuni plus de 10 000 personnes à Cayenne et 10 000 autres dans le reste d’un département comptant à peine 300 000 habitants.

 

Une situation sociale désastreuse

 

Les revendications sécuritaires du début, dans ce département au taux d’homicide plusieurs fois supérieur à celui de l’hexagone, ont fusionné avec des revendications sociales et des aspirations identitaires. En Guyane, le chômage dépasse les 22 % et la part des bénéficiaires du RSA représentait 30,8 % de la population active âgée de 15 à 64 ans en 2015. Dans un territoire en pleine mutation, qui compte 26 langues parlées, la population a été multipliée par cinq en 40 ans et 50 % des habitants ont moins de 25 ans. Le développement et les infrastructures n’ont pas suivi.

L’ensemble des acteurs du mouvement ont intégré le collectif Pou Lagwiyann dékolé, mosaïque de collectifs, de syndicats de travailleurs ou de membres des branches professionnelles. Le collectif porte 400 revendications pour la Guyane. Des exigences tous azimuts, allant de la remise en cause d’une propriété foncière, détenue à 90 % par l’état, aux doléances issues des villages amérindiens, en passant par des exigences sociales en matière de santé, d’emploi et d’éducation.

La poursuite de la grève et le durcissement des actions de blocage, afin d’obtenir plus que le milliard d’euros proposé par le gouvernement, fixent aujourd’hui un point de division dans la société. Le patronat assez satisfait des propositions du gouvernement est passé dans l’opposition à la poursuite des barrages. Le mouvement reste puissant, mais pourrait s’affaiblir dans son bras de fer avec le pouvoir. Les contraintes liées à l’impossibilité de circuler et les risques de pénurie de produits de première nécessité, provenant de France plutôt que du continent, pourraient produire un retournement d’une partie significative de la population. D’autant que les décisions stratégiques du mouvement reposent surtout sur l’UTG et les 500 frères. « Les autres organisations de salariés n’ont pas été associées, il n’a pas été possible de former une intersyndicales », regrette Sylvie Fau, secrétaire départementale de Sud-PTT en Guyane.

Le collectif « Pou Lagwiyann dékolé » doit s’exprimer dans la soirée sur les suites de la mobilisation, suivi demain par Mikaël Mancée, un des portes-paroles des 500 frères.