Les gilets jaunes des Hauts-de-France ont lancé un appel en direction des syndicats, pour qu’ils soutiennent, et prennent part à leur lutte. Le 10 janvier, dans plusieurs villes, l’action des gilets jaunes consiste à aller à leur rencontre pour discuter de convergence et de grève générale.
Du côté des gilets jaunes, ou du moins d’une partie d’entre eux, il s’agit clairement d’un dégel des relations. Fini les refus catégoriques de toute présence syndicale aux côtés ou au sein d’un mouvement se revendiquant apolitique. L’heure est plutôt à une tentative de convergence. L’appel à cette journée d’action en direction des organisations de travailleurs a pris son origine à Lille dans une assemblée générale de 300 gilets jaunes. Depuis, il a fait des émules au moins à Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Montpellier, Lyon et Marseille.
« Sous notre gilet jaune, nous sommes bien souvent des travailleurs, chômeurs, retraités, précaires, mères isolées, personnes en situation de handicap », rappelle en préambule le texte servant d’appui à leur initiative. Une façon de se placer dans la défense de la même classe sociale que leurs interlocuteurs syndicaux. Ensuite, tout en affirmant être conscient qu’il n’existe pas de bouton pour lancer une grève générale, les gilets attendent des directions syndicales qu’elles prennent leur responsabilité : « Si dans la situation explosive actuelle, tous les syndicats, ensemble, appelaient à une grève générale […], s’ils mobilisaient l’ensemble de leurs militants […] pour bloquer toute l’économie en France […], alors il y aurait un énorme rapport de force pour imposer l’ensemble de nos revendications ».
Se parler pour se comprendre
Si l’hostilité n’est plus de mise, la défiance et le choc des cultures n’ont pas totalement disparu. Le communiqué signé le 6 décembre par toutes les organisations syndicales, à l’exception de Solidaires, condamnant « les violences dans l’expression des revendications », sans condamnation des violences policières restent présent dans les esprits. Même si la CGT a publié un second communiqué, quelques heures plus tard, prenant le contre-pied de celui en commun, le mal était fait. Pourtant, ce 10 janvier à Montpellier, une petite trentaine de gilets jaunes s’invite dès 9 h devant la maison des syndicats. Prévenue la veille au soir, la CGT accepte la rencontre à laquelle se joint une représentante du syndicat des instituteurs de la FSU. Les échanges commencent. Une quadragénaire, gilet jaune depuis le 17 novembre, note des incompréhensions en début de mouvement, une colère expliquant le refus d’une présence des syndicats, et la nécessité d’un travail commun aujourd’hui. Une autre pointe un besoin ressenti d’organisation d’une partie des gilets jaunes. Elle espère la trouver ici.
Pourtant au cours de la discussion, le ressentiment refait surface par moment. « Pourquoi vous n’êtes pas avec les gilets jaunes ?», interpelle abruptement un retraité qui admet avoir été souvent hostile aux syndicats pendant sa vie professionnelle, tout en confessant « avoir fermé sa gueule au boulot ». Les échanges pour se comprendre reprennent, coupés par une intervention amère : « si c’est pour que nous soyons dans la rue, et que vous alliez discuter ». Pourtant dans l’ensemble les points de vue se rapprochent. Les accusations d’inaction des syndicats sont relativisés. Une gilet jaune rappelle à ceux de ses compagnons qui s’échauffent, qu’au départ, ce sont eux qui n’ont pas voulu des syndicats. De son côté, la CGT, engoncée dans ses habitudes et références, regrette l’absence d’interlocuteur pour s’organiser ensemble et récuse l’inaction dont elle aurait fait preuve. « Nous ne sommes ni à côté, ni en dehors de ce qu’il se passe dans le pays », explique le responsable de l’union départementale. Pour appuyer son propos, il égrène les moments de mobilisations syndicales des derniers mois : 9 octobre, retraités, 14 décembre.
Interpellé par un de ses syndiqués portant le gilet jaune et accusant la CGT de passer à côté du mouvement, la réponse se fait tempétueuse : « je vais voir les militants pour leur dire que c’est le moment de secouer le patron et de mettre leur boîte en grève ». Avec des effets limités pour le moment. Malgré ces petits moments de frictions, une participation de la CGT à la manifestation déclarée de ce samedi s’esquisse et sera discutée le lendemain dans les espaces de décision du syndicat. Mais, quelle qu’en soit la décision, un processus s’engage. L’idée d’une manifestation rassemblant gilets jaunes, vert et rouge le 27 janvier se dessine. En attendant, la CGT se rendra à la prochaine assemblée des gilets jaunes et ceux-ci seront invités si le syndicat confirme l’organisation d’un débat sur l’urgence sociale.
Se comprendre pour s’unir
À Toulouse, la réunion est programmée jeudi à 18 h. Dans la ville rose, les manifestations des gilets jaunes et des syndicats se sont déjà rencontrées à deux reprises avant les fêtes de fin d’année. Pour l’entrevue de ce soir à la Bourse du travail, la CGT a invité toutes les organisations syndicales à venir. Mais Toulouse n’est pas la seule ville où des actions en commun ont déjà lieu. À Martigues, gilets jaunes et gilets rouges ont appelé ensemble à la manifestation du 5 janvier avec un tract unitaire. Dans le Doubs, les unions locales de Montbéliard de la CGT, la FSU et de Force ouvrière se joignent au défilé des gilets jaunes pour protester contre la répression et les mesures d’interdiction de manifester prises dans leur commune. Les initiatives locales se multiplient comme hier pour le déplacement d’Emmanuel Macron à Créteil, où syndicalistes et gilets jaunes ont réservé un accueil houleux au chef de l’État.
Pourtant, à l’échelle nationale, seule l’Union syndicale Solidaires appelle à une mobilisation de l’ensemble de ses adhérents, dans tous les départements, afin de renforcer le mouvement. De son côté, Philippe Martinez renvoie la décision au niveau local, en fonction des contacts noués. Interrogé jeudi matin sur LCI, il justifie ce choix par l’absence de coordination nationale des gilets jaunes. Cependant, comme Solidaires, la CGT ne se rendra pas à Matignon vendredi pour discuter du « Grand débat ». Pour lui, Emmanuel Macron est revenu sur sa parole du 10 décembre où il s’engageait à l’écoute. Lors des vœux du 31 décembre le message était clair : « je ne change rien ». Par contre, la CFDT, dont les positions sur les gilets jaunes ressemblent sur bien des points à celles du pouvoir, se rendra chez le Premier ministre. Elle ne sera pas la seule, rendant illusoire un appel de tous les syndicats à la grève générale, souhait de l’appel lillois des gilets jaunes.
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