Alors que le mouvement des gilets jaunes juge insuffisantes les propositions d’Emmanuel Macron, les mêmes lignes de fracture que lors des ordonnances sur la loi travail traversent les organisations syndicales à propos du discours du chef de l’État. Trois pôles se dégagent de nouveau : ceux qui veulent accompagner et dialoguer, ceux privilégiant le rapport de force et enfin ceux qui hésitent ou alternent entre les deux.
Sans grande surprise, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT qualifie le discours d’Emmanuel Macron de « vrai geste sur le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes et des travailleurs autour du SMIC ». Lundi 10 décembre, sur l’antenne de RTL, il poursuit, convaincu : « ça ne représente pas rien dans la vie des gens ».
Déjà le 18 novembre, il proposait à l’exécutif une réunion dans laquelle les groupements professionnels seraient présents pour mettre en place, avec le gouvernement, un « Pacte de la transition écologique ». Malgré cette bonne volonté affichée de jouer au pompier de service, Édouard Philippe le tacle en refusant l’offre. Pourtant, depuis le début du mouvement des gilets jaunes, Laurent Berger tente de montrer à l’exécutif qu’il a eu tort, pendant les 18 premiers mois de son mandat, d’écarter systématiquement les demandes des syndicats.
Discours globalement positif pour les uns
Nouvel épisode le 6 décembre. Laurent Berger accueille l’ensemble des leaders syndicaux dans les locaux de la CFDT pour faire un point sur la situation sociale. La réunion accouche d’un communiqué unitaire minimaliste plutôt conciliant à l’égard des signes d’ouverture au dialogue donné par le gouvernement et globalement conforme aux demandes de l’Élysée d’un appel au calme lancé par les « corps intermédiaires ». Ce texte est finalement signé par sept organisations syndicales. Par conséquent, le regard plutôt bienveillant de l’UNSA sur le discours à la nation d’Emmanuel Macron ne représente pas une surprise : « L’UNSA avait revendiqué des mesures nouvelles et d’application immédiate, visant explicitement le pouvoir d’achat. Elle constate que les annonces vont dans ce sens », exprime le syndicat autonome dans un communiqué.
Même son de cloche à la CFTC qui « salue des mesures immédiates et concrètes ». La confédération chrétienne se dit satisfaite de « la volonté affichée d’augmenter les revenus des travailleurs payés au SMIC de 100 € par mois au moyen d’une augmentation de la prime d’activité ». Pas trop regardante sur le mécanisme conduisant à cette augmentation, la CFTC note que « nos concitoyens aujourd’hui éligibles à cette prime devraient voir dès 2019 leur pouvoir d’achat substantiellement amélioré ». Enfin, la satisfaction est sans réserve sur l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités touchant moins de 2000 € de pension. Seul petit bémol, le syndicat chrétien s’interroge sur « la répartition des efforts de contribution pour l’ensemble des acteurs économiques », à propos de la défiscalisation et désocialisation des heures supplémentaires. Pas de quoi faire trembler l’exécutif.
Même la CFDT et l’UNSA se font plus critiques malgré leur satisfecit affiché. Le syndicat autonome s’inquiète des « effets sur la protection sociale de la désocialisation des heures supplémentaires » et souligne que les agents du public sont absents du discours du président de la République. De son côté, la CFDT note que « la question de la responsabilisation des employeurs, d’une meilleure répartition des richesses et de la contribution des plus hauts revenus et patrimoines est passée sous silence », et réclame un « Grenelle du pouvoir de vivre». Pour autant, les trois syndicats dits réformistes indiquent tous qu’ils entendent participer aux débats nationaux et territoriaux promis par le chef de l’État.
Se mobiliser plutôt que dialoguer pour les autres
Tonalité nettement différente à la CGT, la FSU et Solidaires, déjà unis en 2017 dans la contestation de la loi travail. Bien qu’ayant signé le communiqué commun avec la CFDT le 6 décembre, la FSU n’a pas été convaincue par le discours du président. Implantée principalement dans l’Éducation nationale, elle souligne surtout les sujets absents du discours présidentiel : les chômeurs, les agents du public, les lycéens en lutte. Très inquiète pour la fonction publique qui doit supprimer 120 000 emplois d’ici 2022, alors qu’une demande de renforcement des services publics s’exprime à travers le mouvement des gilets jaunes, la FSU ne voit pas de changement de cap au gouvernement. Au contraire : « le président a confirmé implicitement la poursuite des politiques libérales mises en œuvre depuis 18 mois ».
La CGT est encore plus sévère. Pourtant, elle aussi avait signé le 6 décembre au matin le communiqué syndical commun, provoquant des remous internes, avant de publier son propre communiqué plus offensif l’après-midi même et de refuser l’invitation au dialogue de la ministre du Travail le lendemain. À la suite du discours présidentiel de lundi soir, la centrale de Montreuil fustige un cap libéral maintenu, et affirme : « Emmanuel Macron et son gouvernement n’ont toujours rien compris ». Les mesures sociales annoncées : un enfumage pour la CGT. Elle établit la liste des manques dans les mesures avancées par le chef de l’État : « rien pour le point d’indice des fonctionnaires, pour les jeunes, sur l’ISF, le CICE, la revalorisation des pensions, les chômeurs ». L’annonce de 100 € supplémentaires pour le SMIC : une anticipation de l’augmentation de la prime d’activité déjà prévue pour les années à venir, selon elle. La CGT conclut en renouvelant son appel à la mobilisation et à la grève le 14 décembre.
Solidaires appelle également à la grève le vendredi 14 décembre, mais aussi à rejoindre les gilets jaunes le lendemain. Non-signataire du texte intersyndical du 6 décembre, l’union syndicale utilise le terme d’arnaque à propos de l’augmentation de 100 € du SMIC : « c’est un resserrement du calendrier de hausse de la prime d’activité qui permettra d’atteindre le montant de 100 € annoncé ». Pour le reste, Solidaires considère qu’aucun « tournant majeur n’a été pris », et note que « c’est encore le budget de l’État qui est mis à contribution, tandis qu’aucune contrainte n’est mise sur les entreprises, les grandes fortunes ». Le syndicat pointe enfin l’absence de la question d’une « juste répartition des richesses ».
Les indécis
Comme en septembre 2017 lors de la réforme du Code du travail, la CFE-CGC et Force ouvrière sont quelque part au milieu du gué. Ni totalement avec les syndicats d’accompagnement ni complètement avec ceux contestant les ordonnances dans la rue. Pour la confédération des cadres, les annonces d’Emmanuel Macron sont jugées « insuffisantes, alors qu’il faut un véritable changement de cap sur les salaires et la fiscalité ». Si elle se satisfait de l’annulation de l’augmentation de la CSG, elle regrette qu’aucun cap ne soit fixé en matière de négociations salariales dans le privé comme dans la fonction publique où le point d’indice est gelé. Même critique sur la « hausse » du SMIC qualifiée de subterfuge. Malgré cela, elle compte participer aux discussions avec le gouvernement en apportant ses propositions et n’appelle pas à descendre dans la rue.
Le syndicat Force ouvrière n’a pas indiqué s’il comptait participer au dialogue proposé par le gouvernement. La communication confédérale a été tardive et n’en dit rien. Par contre, celle de la fédération des employés et cadres appelle ses militants et délégués « à revendiquer l’ouverture de négociations pour obtenir des mesures d’urgence sur le pouvoir d’achat » tout en soutenant « tous les mouvements de grèves et toutes les actions en cours et à venir ». Une sorte de « en même temps » qui traduit peut-être les difficultés du troisième syndicat français, tiraillé entre plusieurs lignes. Cependant, Force ouvrière partage les critiques de la CGT sur le SMIC : « on continue ainsi à creuser les déficits de la Sécu (retraites et Assurance-Maladie) et de l’Assurance Chômage, quitte à les rendre exsangues et, au final, les faire disparaître en les confiant au secteur privé ».
En tout cas, lundi sur C-News, le secrétaire général de Force ouvrière n’a pas donné un blanc-seing aux annonces d’Emmanuel Macron. « Les mesures ne sont pas à la hauteur », a déclaré Yves Veyrier. Sans pour autant se joindre à la CGT et à Solidaires dans un appel à la grève le 14 décembre.
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