grand frais

Grand Frais : premier coup d’arrêt aux pratiques antisyndicales


 

Depuis des années, l’enseigne Grand Frais entrave tout développement syndical en divisant son activité entre une multitude d’entreprises. Une décision de justice, suscitée par une action de Solidaires Rhône, vient de mettre un premier coup d’arrêt à ses pratiques.

 

« Le verrou de fer a enfin sauté ! », se réjouit Mathieu*, salarié du groupe Prosol, qui gère les rayons fruits et légumes chez Grand Frais, à Rillieux-La-Pape (banlieue lyonnaise). Grâce à une décision du tribunal judiciaire rendue le 9 janvier, les employés de son établissement et de deux autres magasins proches de Lyon sont enfin considérés comme faisant partie d’une seule et même unité économique et sociale (UES). Ils vont pouvoir procéder à des élections professionnelles et mettre en place un Comité Social et Économique (CSE). Une victoire à mettre également au compte de l’union syndicale Solidaires Rhône, qui a mené la bataille judiciaire à leurs côtés.

Depuis sa création en 1992, Grand Frais parvient à éviter au maximum la représentation salariale grâce à une fragmentation abusive des collectifs de travail. Alors que la marque dispose de près de 300 magasins en France et que plus de 2000 salariés travaillent sous son enseigne, rares sont les magasins à disposer d’un CSE. L’astuce ? Les magasins Grand Frais sont divisés en une multitude de petites entreprises qui ne dépassent pas 11 salariés, seuil qui oblige à la mise en place d’un CSE. « On n’a jamais eu d’élu du personnel. Impossible de se plaindre des conditions de travail ou de la rémunération », continue Mathieu.

« Ce morcellement, c’est ce qui se fait de mieux pour casser les collectifs de travail, rendre impossible la représentation salariale et l’implantation de syndicats », embraye Yanis Cernese, syndicaliste à Solidaires Rhône.

 

Le montage de Grand Frais

 

L’enseigne Grand Frais n’est pas une entreprise à part entière, mais un groupement d’intérêts économiques (GIE) dont les rayons sont gérés par des sociétés différentes. Ces dernières appartiennent à leur tour à des groupes plus grands. Ainsi, au sein de Grand Frais, la boucherie est gérée par des sociétés du groupe Despi ; les fruits et légumes, par Prosol ; l’épicerie, par Euro Ethnics Food.

« Il y a une double division des collectifs de travail. D’une part, il y a les différents magasins portant la marque Grand Frais, d’autre part, il y a les groupes qui exploitent ses rayons », résume Bernard Bouché, syndicaliste de Solidaires Rhône.

Ainsi, à Rillieux-La-Pape, Pierre-Bénite et Bron, où la récente décision du tribunal lyonnais s’applique, les trois sociétés qui gèrent les fruits et légumes au sein des Grand Frais locaux étaient jusqu’alors considérées comme des unités économiques et sociales indépendantes (UES), alors qu’elles appartiennent toutes au groupe Prosol.

Grand Frais et les groupes qui la composent n’ont donc rien de petites PME, contrairement à ce que laisse penser leur niveau de représentation salariale. Par ailleurs, leur dispositif est extrêmement rentable. Entre 2015 et 2020, l’enseigne affiche 15% de croissance par an et réalise près de 2,5 milliards de chiffre d’affaires.

 

Un seul et même patron

 

Conscient du subterfuge, Mathieu* prend contact avec Solidaires Rhône. Bernard Bouché et ses camarades mettent au point une stratégie : « On s’est dit qu’il fallait faire reconnaître l’unité économique et sociale (UES) de 3 magasins, dans lesquels nous avons des adhérents, pour faire passer le seuil de salariés au-dessus de 11 et déclencher des élections professionnelles. Comme il était entendu que Prosol n’allait pas accepter de coopérer, on est passé par la justice. »

Or, pour faire reconnaître une UES, il faut avant tout prouver « une concentration des pouvoirs de direction à l’intérieur du périmètre considéré », indique le tribunal judiciaire lyonnais dans son jugement, consulté par Rapports de Force. Facile pour les syndicalistes : les contrats de travail des salariés de ces 3 sociétés sont tous signés par Hervé Vallat, directeur du groupe Prosol. C’est également lui qui décide de la politique commerciale de l’entreprise.

Alors que les avocats de Prosol tentent de faire valoir que les responsables de rayons sont les véritables détenteurs du pouvoir au sein des 3 entreprises… le tribunal judiciaire affirme dans son délibéré que « le contrat de travail de chaque responsable de rayon rappelle que leurs attributions sont exercées sous l’autorité de Monsieur Vallat ». L’unité sociale et économique est établie entre les 3 sociétés, déclenchant dans la foulée la tenue d’élections professionnelles.

 

Un premier pas

 

La victoire des salariés de Prosol peut paraître bien limitée, puisqu’elle concerne seulement les employés des rayons fruits et légumes de 3 magasins. « Mais ça montre que nous avons raison, que Grand frais ne respecte pas la loi », assure Bernard Bouché. Le syndicat compte bien faire de cette décision de justice une première victoire sur laquelle s’appuyer.

« Il va falloir procéder pas à pas. Avoir un CSE ne fait pas tout, il faut aussi que celui-ci fasse un vrai travail de contre-pouvoir. L’important, c’est aussi de choisir des magasins dans lesquels nous avons des adhérents, qui vont faire campagne lors des élections », continue-t-il. Et le syndicaliste reçoit déjà de premiers signaux positifs : « des salariés nous appellent pour nous féliciter, ils veulent reproduire notre démarche ».

 

 

*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.