Après quatre semaines de grève chez Sanofi, le mouvement ne semble pas près de s’arrêter. Dix-sept sites de l’entreprise pharmaceutique sont concernés par ce mouvement inédit qui demande une augmentation des salaires.
« Des sapins de Noël commencent à être installés sur les piquets. Noël ce n’est pas demain, c’est dans 20 jours. Les signaux sont envoyés à la direction, on ne va pas s’arrêter », promet Jean-Louis Peyren, coordinateur national CGT Sanofi. En visite sur le piquet du site de production et de recherche de Sanofi à Marcy-L’Etoile, près de Lyon, le leader syndical constate jour après jour la détermination des grévistes : « Je suis chez Sanofi depuis 1996, je n’ai jamais vu ça, 17 sites en grève au même moment pour la même revendication et sur la durée, c’est une vraie première ».
Des négociations à sens unique
Tout démarre lors de la négociation annuelle obligatoire (NAO), en novembre dernier. Réunion après réunion, Sanofi finit par proposer une augmentation de 4,5% des salaires et une prime de 2000 euros. Insuffisant, selon les salariés, qui demandent 10% d’augmentation pour l’année 2023 et 5% d’augmentation rétroactive pour 2022. Après plusieurs rounds de négociations infructueuses, Sanofi passe en force et impose sa proposition. « Maintenant, c’est le rapport de force qui va faire bouger les choses », soulève Jean-Louis Peyren.
Dans la foulée de l’échec des négociations, dix-sept sites se mobilisent au cours du mois de novembre. Débrayage, blocage, grève illimitée, les modes d’action sont multipliés et tous sont encore en grèves, reconduites chaque semaine. En tout, entre 2500 et 4000 salariées sont actuellement en grève selon la CGT. Sanofi de son côté, avance le chiffre de 800 grévistes. « Ça fait quatre jours que le système de pointage est en maintenance, je ne sais pas comment ils ont fait pour compter. S’ils le font au doigt mouillé, il faut qu’ils changent de doigt », ironise Jean-Louis Peyren. Au total, le géant pharmaceutique emploie 20 000 personnes en France.
Le 5 décembre, par l’intermédiaire d’un courrier adressé à tous les salariés, le directeur général du groupe, Paul Hudson, s’est félicité d’avoir augmenté les salaires de 4,5% en plus du versement d’une prime de 2000 euros. Il a aussi accentué la pression sur les grévistes, qualifiant les blocages « d’irresponsables et illicites », tout en reconnaissant le droit de grève de ses salariés. « La période des négociations est close », conclut-il.
Des salariés en souffrance
À Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne, l’usine Sanofi est la seule en France à produire le vaccin de rappel contre le Covid du groupe pharmaceutique. La France doit recevoir 19,6 millions de doses de ce vaccin de rappel, dont deux millions ont déjà été livrés. Josefa Torres et Sandrine Ruchot, deux techniciennes de laboratoire et élues CGT du site de Vitry, tiennent le piquet de grève avec 120 collègues depuis le 15 novembre. Si à l’échelle nationale, la CGT a clairement demandé 10% d’augmentation, chacun des 17 sites en grève vote en assemblée générale leurs propres revendications. « On a voté une augmentation de 500 euros net par mois et que les salaires soient indexés sur le cout de la vie. On demande aussi l’embauche de nos collègues précaires et le paiement de nos heures de grèves, car c’est le patron qui nous contraint à faire grève », affirme Stefana Torres.
Les grévistes de Vitry dénoncent des conditions de travail qui se dégradent, tandis que les salaires eux n’ont augmenté que deux fois, de 1% en dix ans. « Les cadences augmentent, la charge de travail aussi. Là où il pouvait y avoir trois collègues pour pousser des chariots de 500 litres, il n’y en a plus qu’un seul aujourd’hui », dénonce Sandrine Ruchot. « Les réductions d’effectif, ça fait cinq ans que ça dure chez Sanofi et les salaires n’augmentent plus depuis six ans », abonde Stefana Torres.
Un climat social explosif
La grève chez Sanofi s’inscrit dans une rentrée sociale bouillante. Initiée par la grève des raffineurs, le mouvement pour une augmentation des salaires s’est propagé dans de nombreux secteurs : Transport, logistique, éducation, énergie. Inflation et hausse du cout du prix du carburant n’y sont pas pour rien, tandis que couve une mobilisation interprofessionnelle au sujet des retraites, très probablement pour le début d’année prochaine. « Le mouvement contre les retraites, on en discute déjà sur les piquets« , glisse Stefana.
Chez Sanofi la grève des raffineurs a été le catalyseur d’une colère plus profonde : « La grève des raffineurs nous a donné des idées c’est clair, mais depuis 2021 on s’est rendu compte qu’on était en capacité de faire grève. On vivait restructuration sur restructuration, depuis plus de cinq ans on a un plan qui supprime des emplois ou vend des sites, il y a un ras-le-bol de toutes ces politiques », soutient Sandrine Ruchot.
En face, avec 38 milliards de chiffre d’affaires en 2021 et la distribution de quatre milliards de dividendes aux actionnaires, les salariés voient rouge : « C’est colossal, fulmine Stefana Torres. À chaque fois qu’on parle des salaires, des conditions de travail, d’embauche, on nous répond que ce n’est pas possible, qu’ils vont mettre la clef sous la porte… J’ai 39 ans de boite et je vois les conditions de travail se dégrader, tandis que Sanofi fait toujours plus d’argent ».
Bien décidés à poursuivre le mouvement, les salariés ont désormais la rentrée 2023 en tête. « On espère que le mouvement des retraites sera général, national et interprofessionnel. C’est vital pour les travailleurs. C’est des boulots durs ici : dans la fabrication, ils sont en 5×8, ils ne se voient pas au travail jusqu’à 70 ans », glisse Sandrine Ruchet.
Crédit photo : CGT SANOFI
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