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Alors que la mobilisation sur les salaires marque le pas, pourquoi celle sur les retraites couve-t-elle encore ?

Depuis la rentrée, l’ensemble des salariés ont été appelés à la grève à trois reprises les 29 septembre, 18 octobre et 27 octobre, afin d’obtenir des augmentations générales de salaire. Une nouvelle journée interprofessionnelle est déjà prévue le 10 novembre par la CGT. De son côté, la réforme des retraites fait l’objet de concertations et si la mobilisation se prépare, elle reste pour l’heure dans les starting-blocks.

 

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur : 15 000 manifestants dans toute la France jeudi dernier, contre 107 000 le 18 octobre. De toute évidence, la journée de mobilisation nationale, posée par la seule CGT le 27 octobre, n’a pas fonctionné. La confédération ne donne d’ailleurs pas de chiffres, préférant communiquer sur un « tremplin pour un 10 novembre interprofessionnel ».

Si des grèves ont bien eu lieu jeudi dernier dans un nombre non négligeable d’entreprises, l’effet entraînant des grèves reconductibles dans les raffineries et dans le nucléaire est retombé. En tout cas, pour le moment. C’était pourtant lui qui, ajouté à l’émotion suscitée par les réquisitions de raffineurs, était à l’origine du choix de la CGT de donner des suites rapides à la journée du 18 octobre. D’où la date du 10 novembre, pensée comme la poursuite d’une bataille pour la hausse des salaires que le syndicat souhaite placer à l’échelle interprofessionnelle, dans l’espoir d’obtenir une conférence nationale sur le sujet. « Sans une augmentation générale, au moins la moitié des salariés n’en verront pas la couleur » argumentait-on dans l’entourage de Philippe Martinez.

 

raffineries

 

Par conséquent, malgré les vacances de la Toussaint, la CGT avait appelé seule à une journée de grève le 27 octobre, dans l’objectif de ne pas laisser les raffineurs et les grévistes des centrales nucléaires isolés et sans perspectives jusqu’au 10 novembre. Mais entre temps la situation a changé. Seules les raffineries de Feyzin et de Gonfreville-l’Orcher poursuivaient la grève, pendant que dans les centrales nucléaires un accord était en vue, qui a finalement été signé par l’ensemble des organisations syndicales le 27 octobre.

Faute de nouveaux secteurs prenant le relais de la grève reconductible, la prochaine journée interprofessionnelle du 10 novembre ne devrait pas égaler celle du 18 octobre, même si elle pourra s’appuyer sur une grève unitaire de 24h à la RATP le même jour. Ce d’autant que la CGT restera globalement seule ce jour-là. Force ouvrière ne rééditera pas son appel au 18 octobre. De leur côté, la FSU et Solidaires se contenteront d’appels locaux ou départementaux, considérant que si la question salariale reste d’actualité, la fenêtre de tir d’un mouvement généralisable semble être momentanément passée.

 

La réforme des retraites décalée d’octobre à janvier à l’Assemblée

 

Rien n’indique que les luttes salariales ne rebondiront pas dans l’hiver. La hausse programmée de 15 % des prix de l’énergie en janvier ou la fin de la ristourne sur le prix de l’essence pourraient alimenter de nouvelles grèves. Mais le sujet qui sera sur le devant de la scène au début de l’année prochaine sera celui de la réforme des retraites. L’exécutif compte en effet la présenter devant l’Assemblée nationale courant janvier. De leur côté, les organisations syndicales s’y préparent, sans que l’on sache à quel moment commencera précisément la confrontation entre le gouvernement et le monde du travail.

Au lendemain de déclarations provocatrices d’Emmanuel Macron sur les retraites mercredi dernier, la commission exécutive de Force ouvrière appelait « tous les syndicats et militants à se tenir prêts à s’engager dans la mobilisation la plus large possible, y compris la grève comme en 2019, dans l’hypothèse où le gouvernement maintiendrait son projet de recul de l’âge de la retraite et/ou d’allongement de la durée de cotisation ». Même tonalité à l’Union syndicale Solidaires, dont le comité national déclarait déjà le 6 octobre vouloir « une unité syndicale la plus large possible pour gagner » et assurait se préparer « dans les entreprises et les administrations à la construction d’un blocage coordonné de l’économie, par la grève reconductible interprofessionnelle ». Dans la deuxième quinzaine du mois de novembre, l’intersyndicale à huit sur le dossier des retraites (CFDT, CGT, FO, FSU, UNSA, Solidaires, CGE-CGC et CFTC) se réunira de nouveau, alors que la direction de la CGT évalue la possibilité d’une première date de mobilisation avant les fêtes de fin d’année.

 

Entretenir le flou jusqu’en décembre

 

En attendant, la réforme des retraites fait l’objet de grandes manœuvres et contorsions à l’Élysée, à Matignon et au ministère du Travail. Avec même une sorte de « en même temps ». Alors qu’Olivier Dussopt a renvoyé habilement à la fin des concertations sur les retraites le sujet inflammable du financement et de l’allongement de l’âge de départ, Emmanuel Macron a lâché le 26 octobre « on passera à horizon 2025 à 63 ans, à horizon 2028 à 64 ans et à horizon 2031 à 65 ans». Fin de la discussion ! Avant même qu’elle n’ait commencé.

En réalité, depuis le mois de septembre, l’exécutif souffle le chaud et le froid. D’abord en affichant sa volonté d’un passage en force très rapide, avec un amendement au projet de la loi de finances de la Sécurité sociale. Puis en expliquant qu’il proposera finalement un texte de loi en janvier en ouvrant des concertations préalables avec les syndicats et le patronat. Ensuite, en menaçant d’aller plus vite par un artifice législatif si les syndicats désertaient les discussions. Et enfin, en affichant une ouverture aux discussions côté rue de Grenelle, tout en martelant côté Élysée que l’âge de départ reculera à 65 ans.

Faut-il y voir la nouvelle méthode de gouvernement du second quinquennat ? En tout cas, cette façon de faire se répète sur les dossiers de la réforme de l’assurance chômage ou de celle du lycée professionnel. À chaque fois, des annonces présidentielles socialement très dures d’un côté et de l’autre, des réunions dans les ministères sans grand contenu sur lesquels s’appuyer. Sur les retraites, Olivier Dussopt ouvre trois chantiers de discussions. D’abord la pénibilité et l’emploi des seniors, puis « l’équité et la justice sociale » à partir du 7 novembre et enfin « l’équilibre du système de retraite » à partir du 28 novembre. Mais pour le moment, malgré les déclarations tonitruantes d’Emmanuel Macron, les syndicats n’ont pas de texte sur lequel s’appuyer pour mobiliser les salariés. Ni même pour répondre à leurs questions précises sur leur situation personnelle avec la réforme à venir.

En attendant, les syndicats participent aux réunions bilatérales au ministère du Travail et découvrent par bribes les contenus probables du futur projet de loi. «L’emploi des seniors et l’usure au travail sont des sujets importants. On remettra un dossier avec des propositions écrites. Sur l’égalité homme-femme on a aussi des choses à dire, notamment sur les temps partiels imposés où l’on propose que les entreprises compensent les cotisations retraite à taux plein », expliquait Michel Beaugas à la veille de la première réunion au ministère. Pour le responsable des dossiers retraites et assurance chômage à Force ouvrière, pas question de ne pas saisir l’opportunité de faire avancer ces dossiers. En tout cas, lors des premières phases de concertation. Même philosophie à la CFDT, qui fait du dialogue social son mantra et de l’Unsa, qui exprime vouloir obtenir suffisamment d’avancées en octobre et novembre pour rendre inutile le recul de l’âge de départ à la retraite. Même la CGT devrait se rendre aux concertations, une fois totalement terminé le conflit dans les raffineries, même si elle n’exclut pas de les quitter rapidement.

 

Une mobilisation à construire malgré des embûches

 

Difficile donc d’appeler à la mobilisation tout de suite dans ces conditions. Pour autant, le calendrier mis en œuvre pour les concertations par le ministre du Travail devrait connaître ses limites dans le courant du mois de novembre. D’abord, pour une partie des syndicats dont c’est une ligne rouge, lorsque la question des régimes spéciaux arrivera sur la table, à partir du 7 novembre. Mais surtout à la fin du mois lorsque sera abordé le financement du régime de retraite et l’allongement de l’âge légal de départ, dont aucun syndicat ne veut. Pour autant, cela ne signifie pas que l’unité sera simple à trouver et que la bataille pourra commencer immédiatement. Les propos de Laurent Berger sur « les grèves préventives » au moment du conflit dans les raffineries ont laissé quelques traces.

Si la construction d’une unité syndicale large est déjà difficile, elle risque de plus d’être contrariée par les élections professionnelles dans la fonction publique, qui auront lieu entre le 1er et le 8 décembre. Les syndicats seront en concurrence pour l’obtention des suffrages des fonctionnaires, comme des moyens de décharges attenants qui permettent la vie syndicale. De plus, la CFDT, seconde lors du dernier scrutin, rêve de détrôner la CGT de sa première place dans la fonction publique.

Ensuite, parce qu’au-delà de ces enjeux électoraux, la succession de Philippe Martinez à la tête de CGT en mars 2023 fait l’objet d’âpres conflits internes. Outre qu’ils pourraient peser sur la capacité de la confédération à se mettre en ordre de bataille, ils pourraient aussi freiner le travail unitaire. La CGT devrait d’ailleurs attendre son prochain comité confédéral national, mi-novembre, dernière ligne droite avant son congrès, pour passer à la vitesse supérieure dans la mobilisation contre la réforme des retraites.

Autant de raisons qui renvoient à décembre ou janvier un alignement des planètes permettant à la mobilisation contre la réforme des retraites de vraiment se lancer.