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Grève chez Biomérieux : 16 jours de lutte dans la fabrique des tests Covid


 

Depuis 16 jours, les salariés de Biomérieux, dans l’ouest lyonnais, sont en grève. L’entreprise affiche des bénéfices records depuis le début de la crise sanitaire, mais les augmentations de salaire restent en deçà de l’inflation. Retour sur un conflit qui tente de s’étendre dans la chimie lyonnaise.

 

Depuis ses bureaux de Marcy-L’Étoile, dans l’Ouest lyonnais, Anne Gander réagit à un mail intitulé « crise sociale ». La DRH France de Biomérieux peste contre Émilie Senty, déléguée syndicale CGT sur le site de Craponne. « Elle va chercher à nous faire craquer…mais on va résister. Je vais aller à mon cours de Yoga avant de répondre », croit-elle écrire à une de ses collègues.

Le mail auquel elle répond à été envoyé par la CGT. Mais il ne contient pas la liste des divers destinataires habituels auxquels le syndicat s’adresse. Suspect. « Il faudra comprendre la tactique des destinataires qui évoluent », théorise la DRH, finalisant son mail et cliquant malencontreusement sur « répondre à tous ». Le vocabulaire martial de la DRH colle à la situation. Voilà 15 jours que, chez Biomérieux, deux camps se font face, se demandant chaque jour qui craquera le premier.

 

Grève à Biomérieux : deux camps

 

Dans le premier de ses camps, on trouve la CGT Biomérieux et des salariés grévistes. Le syndicat est minoritaire dans l’entreprise, face à une CFDT hégémonique. Mais depuis les débuts de la grève chez Biomérieux, il affirme que 200 grévistes adhèrent à ses revendications. Ce sont essentiellement des ouvriers de la partie production de l’entreprise, répartis sur deux sites, celui de Craponne (1300 salariés dont 75% de cadres) et celui de Marcy-L’Étoile (1200 salariés, même proportion de cadres). « Cette grève est essentiellement une grève de la production, des chaînes sont impactées et certains labos ne reçoivent plus nos livraisons », assure Michel Montoro, délégué syndical CGT sur le site de Craponne.

 

 

Le second camp, c’est celui de la direction de Biomérieux. L’entreprise lyonnaise, qui emploie 12 800 salariés à travers le monde, dont 4000 en France, en grande partie situés dans l’Ouest lyonnais, est un des leaders du diagnostic in vitro. Elle fabrique, entre autres, les réactifs qui permettent de détecter le Covid-19 et affiche ainsi une croissance record. Après deux ans de crise sanitaire, son résultat opérationnel est passé de 389 millions d’euros à environ 800 millions. Elle affirme dans la presse que la grève n’affecte pas la production, que les grévistes ne sont pas si nombreux et ne représentent qu’eux même. Sans concéder aucune augmentation de salaire, elle attend que l’orage passe.

 

Malgré les bénéfices, « des augmentations en deçà de l’inflation »

 

Les très bons résultats de l’entreprise ne sont pas étrangers à la grève chez Biomérieux. « Je me suis mis en grève parce qu’avec de tels bénéfices, je ne comprends pas qu’on ne nous accorde pas une augmentation générale au moins au niveau de l’inflation », déplore David, technicien. « On a fait beaucoup d’efforts mais ils ne sont pas reconnus. On est venus bosser pendant le premier confinement, on nous a demandé de produire plus. Et tout ce qu’on nous propose, c’est une hausse de l’intéressement ? Nous, ce qu’on veut, c’est du salaire ! », affirme Sylvie, opératrice de production.

Comme dans de nombreuses entreprises en cette période, la lutte qui s’est engagée chez Biomerieux porte sur l’augmentation des salaires. Mercredi 9 février, c’est le site de Craponne, qui débraye le premier. Après trois semaines de négociations annuelles obligatoires (NAO), la CFDT, syndicat majoritaire, accepte une augmentation de salaire relativement faible. Ce sera 2,3% pour le collège ouvrier, 2% pour les agents de maîtrise, et 0% pour les cadres. Pour les plus bas revenus de l’entreprise, dont le salaire hors prime est pratiquement au niveau du SMIC, cela représente une augmentation de 38 euros brut. La CGT ne signe pas.

« Les NAO sont un théâtre. A chaque fois on nous fait le même sketch sur 3 semaines et à la fin la CFDT signe ce que le patron avait prévu qu’elle signe », dénonce Michel Montoro, de la CGT sur le site de Craponne. Or, selon la dernière estimation de l’INSEE (janvier 2022) les prix à la consommation ont augmenté de 2,9% sur un an.

De son côté, la direction de Biomérieux affirme que l’augmentation salariale négociée lors des NAO est de 4%. Mais elle inclut dans son calcul, l’augmentation individuelle de 0,9%, délivrée « au mérite », ainsi que l’ancienneté annuelle de 1% (plafonnée à 16 ans d’ancienneté). Des mesures que les grévistes refusent de considérer comme des « augmentations générales », puisqu’elles ne concernent qu’une partie des salariés. Contactée, sur ce point, Biomérieux n’a pas répondu aux questions de Rapports de Force.

 

« Comme si tous les patrons s’étaient passé le mot »

 

« Lundi 7 février, deux jours avant la grève on a appelé la direction. On leur a dit que les salariés étaient énervés. On exigeait 100€ d’augmentation mensuelle, sinon il y aurait une grève. Ils ont cru qu’on ne ferait qu’un débrayage d’une journée, comme d’habitude. Mais cette fois la grève a bien pris et on la reconduit chaque jour. Maintenant on demande 300€ brut d’augmentation », explique Michel Montoro.

Depuis, la grève s’est étendue sur le site de Marcy-L’Étoile, à quelques kilomètres de Craponne. Le piquet de grève déménage régulièrement d’un site à l’autre et « le nombre de grévistes se maintient », explique la CGT. Une tentative d’étendre la grève de Biomérieux à d’autres entreprises, comme Sanofi, a vu le jour le 23 février.

La situation chez Biomerieux rappelle de nombreuses autres batailles sur les salaires menées notamment dans la chimie lyonnaise. Après deux semaines d’une grève historique fin décembre, les salariés d’Arkema, leader français de la chimie des matériaux, ont obtenu 70€ d’augmentation de salaire mensuel. Leur direction leur en proposait 50€. Le leader du PVC, Kem One a également essuyé une grève de 13 jours suite à des NAO jugées insatisfaisantes. Cette situation se retrouve ailleurs en France. Chaque semaine, de nouveaux conflits éclatent dans les entreprises sur la question des salaires.

 

 

« C’est comme si tous les patrons s’étaient passé le mot de ne pas augmenter les salaires », ponctue Émilie Senty, déléguée syndicale CGT. De fait, les dernières négociations de la branche « fabrication à façon », dont dépendent les employés de Biomérieux n’ont porté les augmentations salariales qu’à 2,4%, soit, encore une fois, en dessous de l’inflation. Même si celle-ci n’a pas valeur d’obligation, « toutes les organisations syndicales ont refusé de signer, sauf la CFDT », explique Murielle Morand, membre du comité exécutif de la FNIC-CGT et ingénieure d’application chez Biomérieux, qui a participé à ses négociations. D’où la volonté des grévistes d’élargir la lutte à d’autres entreprises locales.

 

Tentative d’élargissement

 

Mercredi 23 janvier, le piquet des grévistes de Biomérieux est installé sur le site de Marcy l’Etoile, soit à quelques centaines de mètres d’un des principaux sites de Sanofi en France (5000 salariés), notamment chargé de la production de vaccins. « Le but c’est de faire une jonction avec les salariés de Sanofi. Tout comme les capitalistes sont unis, les salariés doivent l’être aussi. C’est aussi cela qui leur fait peur », affirme Michel Montoro. Ainsi certains grévistes sont venus tracter dès 4h du matin, à proximité des locaux de Sanofi, pour alerter les salariés.

Deux délégués syndicaux CGT et quelques salariées rejoignent effectivement le piquet. Mais la jonction en restera là pour le moment et il n’y aura pas, chez Sanofi, de grève pour rejoindre Biomérieux. « Les salariés ne sont pas dans une dynamique de grève. On va avoir des baisses d’effectifs, le souci c’est plutôt de garder de l’emploi en ce moment », explique Laurent Biessy, délégué syndical CGT chez Sanofi. « L’extension, forcément, ça prend du temps », constate Michel Montoro. Mercredi après-midi, les grévistes ont déplacé leur piquet en bas des bureaux de leur direction. En fin de journée, ils ont voté la reconduction de leur mouvement.