Hénin-Beaumont

Hénin-Beaumont : faire du syndicalisme dans une mairie d’extrême droite


 

Djelloul Kheris est militant Sud collectivités territoriales à la mairie d’Hénin-Beaumont, ville de 26 000 habitants gérée par Steeve Briois, membre du Rassemblement national. Avec beaucoup de sincérité et de nombreuses anecdotes, il raconte ce que signifie faire du syndicalisme dans une administration détenue par l’extrême droite.

 

Comment en arrives-tu à te syndiquer et à prendre des responsabilités au sein de SUD CT ?

 

Je me syndique parce que le FN (ndlr: aujourd’hui RN) gagne les élections municipales en 2014. Je ne sais pas ce que ce parti d’extrême droite est capable de faire et je me méfie, donc je me dis que le syndicat peut être un bon moyen de se protéger. A l’époque, je rejoins la CGT, mais je ne suis pas un militant très actif. Ensuite je rejoins SUD Collectivités territoriales (SUD CT), je me mets à militer activement et on dépose une liste aux élections professionnelles, où on gagne peu à peu des adhérents.

 

Où en est le syndicat aujourd’hui ?

 

Il y a deux syndicats à la mairie d’Hénin-Beaumont : Force Ouvrière et nous. Nous sommes le second syndicat, avec deux élus au comité social territorial (CST) et 12 représentants du personnel : tous des agents que nous avons défendus. Aux élections précédentes nous n’étions que six. Les deux élus du CST, Émeline Legras-Tison et moi-même, sont les deux seuls à écrire les tracts, les distribuer…à faire cette gymnastique militante. Je ne vais pas vous cacher que ce n’est pas facile de s’engager vu qui on a en face. Il faut être courageux, voire téméraire. Personnellement, on me l’a fait payer. Ma carrière est au point mort, régresse même. J’administrais une maison de quartier et je me suis fait rétrograder comme simple animateur lorsque cette maison de quartier a fermé.

 

L’extrême droite à la tête d’une mairie, ça change quoi pour votre syndicat ?

 

Nous sommes vus comme des ennemis et on ne nous fait aucun cadeau. Par exemple, après le premier mandat, nous avons fait un tract salé pour faire un bilan de leur politique. On a détaillé : multiplication des délégations de service public, mauvaises conditions de travail pour les agents, des primes données au mérite – c’est-à-dire à la tête du client… Rien de moins qu’une réponse au dossier qu’ils avaient mis dans leur magazine municipal et où ils vantaient les réussites du quinquennat. La réaction a été immédiate. La camarade avec qui je distribuais les tracts a été rappelée au travail par son supérieur, alors qu’elle avait posé ses heures de délégation syndicale et Steeve Briois a écrit un mail à tous les agents de la ville pour dire que nous diffusions un tract mensonger et ordurier et que nous n’étions pas un syndicat, mais une opposition politique. Il est même allé jusqu’à mettre le nom de ma femme dans un mail en pointant le fait qu’elle apparaissait sur une liste municipale d’opposition. Des anecdotes comme celle-ci, j’en ai plein. La municipalité nous voit comme des ennemis. Comme j’ai déjà parlé dans les médias, le maire nous appelle “les copains du journal Libération”, “les copains des cocos (ndlr : des communistes)”. Il nous considère comme un syndicat d’extrême gauche.

 

Mais pourtant, le syndicat grossit ?

 

Oui, c’est le paradoxe. En essayant de nous faire passer pour des méchants, en nous rabaissant, en nous humiliant, Steeve Briois nous a fait de la pub et a créé une forme de sympathie autour de nous. Les autres agents nous voient, nous connaissent et se disent : “Djelloul et Emeline, ce ne sont pas des mauvaises personnes, ce n’est pas normal la manière dont ils sont traités.” Pour autant, on ne pèse pas encore assez lourd. Pour obtenir des choses il faut souvent que nous passions par le tribunal administratif. Même un local syndical digne de ce nom, nous n’avons pas réussi à l’obtenir. Aujourd’hui encore, notre local ne peut pas être ouvert après 17h30. Donc, les moments où les gens pourraient venir nous voir, bien souvent, ils travaillent. On a toutefois réussi à obtenir l’ouverture entre 12h et 14h.

 

Est-ce que la grève reste un moyen de pression sur cette municipalité ?

 

Bien sûr, mais encore faut-il que les agents n’aient pas peur de se mettre en grève. Et ça, ce n’est pas simple. J’ai une anecdote. Au moment de la mise en œuvre de la loi de transformation de la fonction publique, les agents du service technique ont perdu 16 jours de RTT. Evidemment ils étaient tous en rage. Ils m’ont attrapé : “Comment ça on va perdre un acquis qu’on a depuis 20 ans ? C’est dégueulasse, on ne peut pas se laisser faire.” Je leur dis : “oui, 100% d’accord avec vous, mais je ne peux rien faire seul. Je peux faire des démarches administratives, rédiger un courrier, pas de souci. Mais pour gagner il faut être nombreux et être prêts à débrayer“. Alors je leur ai proposé de signer une feuille avec leurs noms. Pas pour les ficher, mais pour que le maire voie qu’ils n’étaient pas que deux ou trois à être en colère. Sur une soixantaine, ils ont été 52 à signer. Moi je suis content, je fais un courrier au maire, pas de réponse, comme d’hab. Donc je le préviens : tel jour, de 11 heures à 11h45 : les agents du service technique vont débrayer. Ce jour-là, j’arrive à 10h, j’installe la tonnelle, les drapeaux, la baffle, je mets du son. J’avais aussi fait venir une dizaine de camarades de Calais en renfort. Mais je vois les agents qui entrent et qui sortent du local technique et je sens qu’il y a quelque chose de bizarre. En fait, ils avaient tous perdu leurs moyens, le soufflé qui était monté quelques jours auparavant était totalement redescendu. Pourtant, ce sont des bonhommes, les gars du service technique. Ils sont censés être courageux. A 11h, quelques-uns arrivent… ils n’étaient que sept. Ils avaient dû recevoir des coups de pression de leurs chefs, le syndicat FO ne les soutenait pas, bref ils ont eu peur.

 

Est-ce que ça a été plus facile de mobiliser lors des batailles nationales, comme la lutte contre la réforme des retraites par exemple ?

 

Non, pas du tout. Pendant cette période on a eu de grandes manifestations dans des petites villes, comme Arras. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça. Mais très peu d’agents de la mairie s’y sont rendus. Je dirais une dizaine, alors qu’on est plus de 500. Pour vous dire, on n’a même jamais pensé à faire quelque chose devant la mairie pour les retraites, on sait que ça ne marchera pas, que ça n’aura pas d’impact important. Il y a beaucoup de résignation, il y a l’argent aussi : faire grève coûte cher. Peut-être que c’est aussi parce que les syndicats ont abandonné le terrain dans la territoriale. Un tract quelques jours avant la manifestation, ça ne suffit plus à convaincre. Certains le jettent tout de suite, d’autres ne le lisent pas, certains ne savent pas lire, ça existe aussi. Je pense qu’il faut constamment faire du terrain, discuter avec les gens. Moi, je fais du syndicalisme tout le temps, un agent m’appelle à n’importe quelle heure, je réponds. Et ce n’est pas forcément une bonne chose parce qu’on en paie le prix niveau santé. Je suis quelqu’un de très naïf (sourire), je suis toujours en train de lutter et de me battre.

 

Comment est-ce que la marque de l’extrême droite se voit dans la gestion de la ville ?

 

Comme je le dis dans une vidéo que nous avons tournée le 1er mai sur les marches de la mairie, le RN est l’ennemi numéro 1 des travailleurs. On le voit tous les jours ici par leur gestion des agents. On est passé de 700 à 500 agents depuis qu’il sont là. Je pense qu’ils souhaitent arriver à 300. Plusieurs activités sont passées en délégation de service public. C’est vrai que quand ils ont gagné les élections, le nombre d’agents était extrêmement élevé pour une ville de 27 000 habitants, mais descendre si bas, c’est une hécatombe. Pour que ça marche, ils mettent tout le monde sous pression, ils n’hésitent pas à prononcer des sanctions disciplinaires sans avertissement et ils valorisent les agents “au mérite“. Ils emploient sans cesse le terme de méritocratie, je ne l’avais jamais entendu avant eux. Concrètement, ça veut dire qu’on n’a aucune transparence sur le système de prime. Récemment, la ville a obtenu la troisième fleur “ville fleurie“, les agents jardiniers ont eu une prime. Ça veut dire que les autres agents faisaient moins bien leur boulot ? C’est ridicule. Tout cela crée des tensions, ça met une ambiance pourrie, de nombreux collègues veulent partir, faire une rupture conventionnelle. Tout cela est géré d’une main de fer, sans aucune écoute.

 

Sur l’insécurité ou encore la lutte contre l’immigration qui constituent les thèmes majeurs du RN à l’échelle nationale, ont-ils eu des actions spécifiques ?

 

Ils n’en parlent pas tellement finalement. Il y a bien sûr eu l’augmentation des effectifs de police municipale lors de leur premier quinquennat. Son armement aussi, ainsi que la mise en place de caméras. Mais Hénin-Beaumont n’est pas une ville où il y a beaucoup d’insécurité, je ne dirais pas non plus que les gens sont plus racistes qu’ailleurs.

 

Est-ce que tu serais capable de donner des conseils pour lutter contre l’extrême droite ?

 

C’est difficile, aujourd’hui le maire est plutôt apprécié par la population. Après, il faut remettre ça en perspective. Il y a eu énormément d’abstention aux dernières élections municipales et ce sont surtout les personnes âgées qui votent. Steeve Briois est très implanté. Il était dans l’opposition municipale depuis 1996, il a de nombreux contacts dans le tissu associatif et surtout : le RN a su profiter des erreurs des maires précédents pour se faire élire. On revient de loin à Hénin-Beaumont, un de nos anciens maires, Gérard Dalongeville, socialiste, a été condamné pour corruption. Je pense que pour continuer à lutter contre l’extrême droite il ne faut justement pas qu’on nous colle une étiquette de simple syndicat qui combat l’extrême droite. Quand on dénonce la délégation de service public, quand on lutte contre la réforme des retraites ça n’est pas porté que par le Rassemblement National. Quand on voit que chaque été Macron nous sort l’interdiction du burkini, maintenant l’abaya et demain, pourquoi pas, les babouches ? Ça aussi, ce sont des idées extrêmes. Il y a aussi un dossier dont on peut s’emparer : l’ancien chef de la police municipale et deux de ses agents ont été mis en examen pour des violences et un faux procès-verbal. Steeve Briois savait mais il a tardé à réagir, ça dit peut-être des choses sur sa gestion des agents. Mais globalement, pour lutter contre l’extrême droite, si on montre qu’on est là pour les agents, qu’on n’arrêtera jamais de lutter contre l’injustice, ça finira par payer.

 

 

Crédit photo : Sud CT