La crise sanitaire oblige enseignants et élèves à concilier deux impératifs contradictoires : exiger des mesures sanitaires strictes tout en veillant à ce qu’elles ne rendent pas invivables l’enseignement et la vie scolaire. Loin de leur simplifier la tache le ministère de l’Éducation Nationale semble pourtant mettre sous le tapis la question des moyens concrets à leur allouer pour réussir cette rentrée.
Revoir ses camarades de classe pour certains perdus de vue depuis 6 mois, mais ne les revoir qu’à moitié : masqués. C’est le lot commun des 12,8 millions d’enfants et d’adolescents qui retrouvent, pour beaucoup, le chemin de l’école en cette rentrée si particulière. Laetitia, qui entre en terminale dans un lycée lyonnais, n’a pas mis les pieds dans son établissement depuis le début du confinement. Au bout de 2 heures de pré-rentrée, elle appréhende déjà la suite de son année scolaire :
« La discussion avec le professeur est complexe. Je ne comprenais pas toujours ce qu’il disait à cause du masque qui est collé à sa bouche et qui empêche de distinguer complètement les mots. Je pense également qu’au bout d’une journée complète le masque risque de devenir gênant. »
De l’autre côté du pupitre, chez les 870 000 enseignants qui font leur rentrée cette semaine, l’inquiétude est la même. « Rien que lors de la pré-rentrée, dans des réunions entre enseignants, on a du mal à s’entendre, à savoir qui parle. Je me demande comment ça va se passer en cours au bout de quelques semaines », témoigne Maud, prof de maths dans un établissement toulousain. « Les élèves que j’ai eus pour l’instant ont bien respecté le port du masque même si à la fin de l’heure certains l’avaient plus sous le nez qu’au dessus. On verra comment ça se passe à la longue », abonde Sam, enseignant dans un lycée professionnel de la banlieue lyonnaise.
Si on semble s’accorder sur la difficulté d’une vie scolaire avec masque, peu sont ceux qui pensent que l’obligation de la porter n’est pas justifié. Au contraire, les syndicats d’enseignants ont, les premiers, exigé que son port soit rendu obligatoire, tout comme ils avaient demandé une semaine de pré-rentrée, pour mieux se préparer.
Virus actif et fermetures d’établissements
De fait le retour dans les classes peut-être synonyme de reprise de l’épidémie. Les premiers exemples de fermetures d’établissement avant la rentrée rappellent que le virus est toujours actif. Le 31 août, alors que 21 départements étaient placés en vigilance rouge à la Covid-19, certains établissements annonçaient d’ailleurs qu’ils n’ouvriraient pas leurs classes. Dans les Alpes de Haute-Provence les collèges de Volx et de Forcalquier repoussaient la rentrée de 800 élèves à jeudi. Quelques jours plus tôt, deux agents (un dans chaque collège) avaient été testés positifs à la Covid-19, impliquant le dépistage de plusieurs autres employés identifiés comme cas contacts et rendant impossible l’ouverture des établissements.
De même, au collège Rosa Parks d’Amiens, 25 collégiens ayant participé à un stage de pré-rentrée ont été mis en quarantaine après la découverte d’un cas de Covid-19 parmi eux. On retrouve des situations similaires à Bordeaux, Chaville ou encore à la Réunion rappelle le Café pédagogique.
Un protocole jugé trop léger
Malgré ces quelques exemples isolés la situation sanitaire est, pour l’heure, loin d’être catastrophique. Mais la faiblesse des mesures prévues par le ministère alerte les syndicats d’enseignants. « Dans la plupart des écoles et des établissements, les personnels en charge de l’entretien ne sont pas assez nombreux pour respecter les fréquences de nettoyage imposées par le protocole sanitaire dans les salles de classe. Il en va de même pour l’éducation physique, la restauration scolaire, la récréation », alarmait Sud-Éducation à la veille de la rentrée.
Certains des points du nouveau protocole sanitaire (6 pages contre 60 pour celui établi au moment du déconfinement) font porter beaucoup de responsabilités sur le personnel, particulièrement lors du temps de restauration scolaire. Ainsi il indique que : « la distanciation physique n’est pas obligatoire lorsqu’elle n’est pas matériellement possible ou qu’elle ne permet pas d’accueillir la totalité des élèves. Néanmoins, les espaces sont organisés de manière à maintenir la plus grande distance possible entre les élèves, notamment dans les salles de classe et les espaces de restauration ». Traduction : débrouillez-vous comme vous pouvez avec la Covid, l’important c’est avant tout de rouvrir les établissements.
Quels moyens pour affronter la rentrée ?
Toute la difficulté de cette rentrée consiste alors à exiger des mesures sanitaires strictes tout en veillant à ce qu’elles ne complexifient pas trop le travail de l’enseignant et la vie scolaire en général. Un casse tête impossible à résoudre ? Pas forcément. « Il faut arrêter de faire comme si cette rentrée était normale et donner véritablement les moyens aux travailleurs de l’éducation pour qu’elle se passe le mieux possible, malgré les conditions sanitaires », argue Sam.
Or l’Éducation Nationale et, à sa tête, Jean-Michel Blanquer, semblent appliquer la stratégie inverse promettant, en conférence de presse, une rentrée « la plus normale possible ». La stratégie du ministère consiste ainsi à « apprendre à vivre avec le virus » et à promettre une continuité pédagogique numérique si des classes, voire des établissements, venaient à fermer, comme édicté dans le plan de continuité pédagogique. Pas question de s’attaquer aux problèmes de fond qui, en plus de miner l’Éducation Nationale depuis des années, menacent en premier lieu enseignants et élèves dans cette crise sanitaire : le manque d’effectif et les classes surchargées.
Au contraire alors que le nombre d’élèves est en hausse (+17 000 cette année) le SNES-FSU n’en finit plus d’additionner les suppressions de postes dans le secondaire : 820 cette année auxquelles s’ajoutent 609 postes non pourvus et 1100 postes « libérés » par la réforme du lycée.
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