Alors que l’année scolaire débute, des enseignants se sont mobilisés dans différents établissements pour dénoncer l’interdiction du port de l’abaya ainsi que les mauvaises conditions travail. Reportage devant le lycée Maurice-Utrillo de Stains.
Il est midi devant le lycée Utrillo de Stains (93), en ce jour qui aurait dû être une rentrée ordinaire, des dizaines de journalistes de toutes les rédactions nationales se pressent devant les grilles du lycée sous une chaleur de plomb. Une rentrée médiatisée placée sous le signe de la protestation, puisqu’ici, entre 50 et 70% du personnel de l’établissement est en grève pour une durée indéfinie. Ils dénoncent à la fois l’islamophobie derrière l’interdiction de l’abaya, refusant « de faire la police du vêtement », tout en pointant du doigt les conditions de travail dans ce lycée de 1200 élèves, où le manque de personnel rend impossible le bon suivi des élèves. « Il n’y a pas un prof devant chaque classe, s’indigne un professeur. Ici, il nous manque un prof d’anglais, d’espagnol et de physique-chimie, sans compter les postes de techniciens de laboratoire », poursuit-il.
L’interdiction de l’abaya, une mesure islamophobe et stigmatisante
Parfois qualifiée de « diversion » visant à masquer des problèmes qui seraient plus importants, l’interdiction de l’abaya apparaît pourtant comme un enjeu fondamental pour les élèves, en particulier les collégiennes et lycéennes musulmanes. « On n’est pas d’accord avec le discours de la diversion sur la question des abayas. On pense vraiment que c’est l’islamophobie au ministère de l’Éducation nationale qui a guidé cette mesure. Ce n’est pas juste un coup de com’ pour ne pas parler des questions de rentrée », affirme Maud Valegeas, professeur de français dans un collège de Saint-Denis (93) et secrétaire fédérale de Sud Éducation.
Assises à l’ombre tout en regardant avec distance la foule de journalistes transpirant sous le soleil de midi, deux lycéennes qui ont souhaité conserver leur anonymat racontent leurs malaises face à ces caméras et ces appareils photo pointés sur elles. « C’est la prérentrée, on doit parler du bac et des examens, et là on veut nous filmer comme si on était des bêtes de foires, ça nous dérange », témoignent-elles. Une pointe de colère dans la voix, mais surtout de l’incompréhension, l’une des deux élèves raconte avec lucidité l’impact de l’interdiction des abayas sur les élèves musulmanes : « c’était sûr que la question des abayas allait être abordée de façon discriminante et racistes : on va cibler les filles musulmanes, les filles racisées, on va cibler qui porte le voile devant le lycée. Si Léa, la petite Française, elle porte une robe longue, c’est la mode TikTok, c’est la mode bohème. Nous, si on porte une robe longue, ça veut dire quelque chose de nous, qu’on est musulmanes, qu’on porte un message d’islamisation, que sais-je. Alors qu’on peut porter une robe longue par pudeur, parce qu’on se sent à l’aise, peu importe la raison en fait ».
Un processus d’exclusion
Un sentiment qui fait écho avec les dizaines de témoignages recueillis par le nouveau collectif « Touche pas à ma abaya », dont les membres ont fait le déplacement ce mercredi à Stains. « On a senti le danger à la suite de l’annonce de M.Attal sur l’interdiction des abayas, alors on a monté ce collectif, composé de lycéennes, d’étudiantes et de mères de famille. On souhaite mettre en avant la souffrance que rencontrent ces jeunes filles et l’impression qui est de plus en plus fondée qu’on veut nous effacer de la société », témoigne Myriam, membre du collectif.
La veille, dans un lycée de Lyon, une élève portant un kimono par-dessus un jean a dû quitter son établissement, avant de revenir en cours en après-midi. La direction du lycéen a expliqué avoir appliqué la note de service envoyée par le ministère de l’Éducation, qui précise que la loi de 2004 sur la laïcité doit s’appliquer aux tenues « de type abaya ou qamis ». L’avocat de la lycéenne, Nabil Boudi, a déposé une plainte contre X pour discrimination en raison de l’appartenance religieuse auprès du procureur de la République de Lyon. « Il suffit qu’on s’appelle Fatoumata ou Nadia, qu’on soit noire ou maghrébine et tout de suite on va avoir un traitement différent, c’est ce qui nous dérange », pointe Myriam du collectif Touche pas à ma abaya.
Toujours assises face à l’agitation des journalistes devant le lycée Utrillo, les deux lycéennes partagent ce sentiment d’exclusion : « À l’école, on est là pour devenir de futurs citoyens, on est censé apprendre à vivre en harmonie avec les autres, là on se sent juste rejetées, car on doit se délaisser d’une partie de nous-même, d’une pudeur ou d’une religion ».
Une rentrée en sous-effectifs et des enseignants en détresse
Maud Valegeas, évoque une rentrée tendue dans beaucoup de collèges et lycées de France, où les problèmes s’accumulent depuis des années. « Beaucoup d’établissements font leur heure d’information syndicale pour voir ce qu’ils vont faire, c’est possible que des établissements partent en grève », indique-t-elle, en pointant les mêmes problèmes partout : un manque de professeurs, des classes surchargées, un manque d’AESH, d’infirmières scolaires, « il y a partout des manques de moyens », signale-t-elle.
Bien conscients de l’impact médiatique d’une telle séquence, les professeurs du lycée Maurice Utrillo de Stains ont surtout mis de l’avant les difficultés matérielles auxquelles ils font face. « D’habitude, on n’a pas autant de journalistes quand on fait grève », ironise l’un des professeurs avant d’énumérer les problèmes qui s’accumulent dans ce lycée. : « On a perdu 60 heures de cours par semaine, ces heures permettaient d’assurer l’orientation et le soutien des élèves. Nous n’avons pas les conditions nécessaires pour faire une bonne rentrée », s’agace-t-il. Parmi leurs revendications, figurait aussi l’ajout d’un poste de CPE, supprimé l’année dernière. Une demande entendue par le rectorat qui a accepté d’ajouter un nouveau poste, à temps partiel, mais sans la garantie d’être pérennisé.
Racisme et sexisme au travail : des luttes qui s’imposent dans les conflits sociaux
Le lendemain, c’était au tour du lycée Maryse Condé de Sarcelles de se mobiliser. La quasi-totalité des 120 professeurs s’est retrouvée à 11 heures devant l’établissement pour la rentrée scolaire, refusant de prendre leurs élèves. « Les conditions n’étaient pas réunies pour assurer la rentrée. Je suis professeure principale d’une classe de 37 élèves, c’est illégal aux yeux de la loi et matériellement impossible de les accueillir en cours ! », s’indigne-t-elle. L’équipe éducative dénonce aussi les emplois du temps de certaines classes impossibles à tenir avec des journées sans pause de 9 heures à 17 heures. « On aimerait juste faire notre travail dans de bonnes conditions, poursuit cette prof de français. Il faut reporter la rentrée pour que le rectorat nous propose des conditions viables pour les accueillir, là on ne peut pas ». Tout au long de la semaine, des grèves se sont déclenchées dans des établissements partout en France, comme à Grenoble, Meudon, Asnières, Saint-Denis ou Rambouillet.
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