Des températures records ont été mesurées en France ces derniers jours. Dans certains secteurs, la chaleur a mis les salariés en danger, poussant les syndicalistes à s’emparer du sujet. Et une idée fait son chemin : imposer une température maximale de travail.
« Quand une canicule arrive, tout le monde ne parle que de ça. C’est normal, la chaleur on la ressent dans sa chair. On en souffre aussi au travail pourtant c’est une période où on entend assez peu de paroles syndicales », constate Adèle Tellez, chargée de la politique revendicative à l’union départementale CGT de Paris.
Alors que l’épisode caniculaire, qui a frappé la France en cette fin de mois d’août, touche à sa fin et que des records de températures ont été battus dans certains territoires, de nombreuses solutions ont été esquissées. Adaptation des logements, végétalisation des villes, accès aux piscines… Mais elles concernaient rarement la sphère du travail.
Pourtant, les effets néfastes de la chaleur sur la santé ne sont plus à prouver. En 2022 Santé Publique France évoquait 6 cas d’accidents du travail mortels, potentiellement liés à la canicule. Une situation sous-documentée selon la CGT construction, fédération syndicale particulièrement concernée par ce problème.
« Tout le monde sait qu’il y a des victimes. Mais dans l’inconscient collectif du secteur, quand un gars tombe en arrêt cardiaque pour un coup de chaud, ce n’est pas apprécié comme un accident. Ça l’est dans les textes. On a donc un défaut de déclaration, à tel point que la CNAM s’est penché sur la question et tente d’enregistrer depuis 2019 l’ensemble des malaises. Malgré cela, la sous-déclaration reste la norme », explique Frédéric Mau, de la fédération CGT Bois et construction, dans un entretien accordé à l’Humanité.
Chaleur au travail, les salariés démunis
Alors que les épisodes caniculaires sont de plus en plus fréquents du fait du dérèglement climatique. Certaines situations ont pourtant été dénoncées par les travailleurs cette année. Au CHU de Bordeaux, le syndicat Sud-santé a mesuré, ce 20 août, un peu plus de quarante-quatre degrés dans une chambre du service pédiatrie. Un père, excédé par la chaleur, a lui-même installé une climatisation dans la chambre de son enfant « pour rendre l’hospitalisation (…) plus vivable », raconte le syndicat. De son côté, le personnel emploie le système D : la combinaison des ventilateurs et des bacs à glaçons pour rafraîchir le service.
Au niveau national cette fois, Sud-PTT alerte : les conditions de travail sont intenables pour les postiers, sur le terrain, mais aussi dans les locaux et les véhicules non climatisés. La fédération syndicale demande l’arrêt de la distribution du courrier passé midi dans les départements classés en alerte rouge canicule et la fermeture des bureaux non climatisés. Enfin, elle incite les salariés à solliciter leur syndicat pour faire valoir leur droit de retrait.
Mais difficile de faire bouger les lignes du patronat. Car, si les employeurs conservent l’obligation de garantir la sécurité et la santé physique et mentale des salariés au travail, aucune mesure directement contraignante n’existe en cas de forte chaleur. Entre autres exemples : dans le bâtiment, un employeur a l’obligation de fournir trois litres d’eau par jour à chacun de ses salariés. « Mais quand on est couvreur et qu’on travaille sur un toit par plus de 40 degrés, il faut boire bien plus que ça. », assure Adèle Tellez.
Difficile de lutter contre la chaleur au travail
Les armes actuelles pour combattre la chaleur au travail restent peu efficaces. Un des seuls moyens dont dispose un salarié pour sortir d’une situation de souffrance étant de faire valoir son droit de retrait. Une réponse qui peut être individuelle, mais aussi collective si elle est appuyée par le retrait de collègues, voire organisée par un syndicat. Le droit de retrait a néanmoins le désavantage de renvoyer le salarié « à sa propre capacité à évaluer son état », comme l’écrit la fédération Sud travail affaires sociales dans un récent tract sur le sujet.
Autre caillou dans la chaussure de la lutte contre la chaleur au travail : la canicule ne dure pas forcément assez longtemps pour s’organiser. « On a eu des températures terribles dans certains rayons. Parfois aux alentours de 37 degrés », raconte Manuela Kuwonu. Début juillet, cette représentante CGT dans un magasin Monoprix du 11e arrondissement de Paris reçoit les plaintes de nombreux collègues. « Pour eux, ce n’était plus possible de travailler comme ça. Certains sont allés chercher leurs ventilateurs personnels. La direction ne bougeait pas et renvoyait la responsabilité à sa hiérarchie. On était à deux doigts d’exercer notre droit de retrait », raconte la syndicaliste. Finalement la stratégie de pourrissement de la direction paie et la colère descend avec la température et l’arrivée des congés.
Enfin, face à la canicule, quelques cas de débrayage ont aussi été observés ces dernières années. Le 18 juillet 2022, pour la troisième fois en un mois, les équipes de deux abattoirs Bigard de Quimperlé (Finistère) arrêtaient leur travail, contraints par la chaleur étouffante. Ces cas restent rares. « Le fond du problème est que les dérèglements climatiques impliquent de tels changements dans les conditions de travail que personne ne veut les affronter. Les chambres patronales ne répondent qu’aux majors du BTP qui ont le regard rivé sur le cours de leurs actions. Pas sur les indicateurs de santé des travailleurs. On n’avance pas », résume Frédéric Mau, dans le même entretien à l’Humanité.
Une température pour dire stop
Alors, pour donner des outils aux salariés, l’UD CGT 75 s’est lancé, en 2023 dans une campagne pour la mise en place d’une température maximale de travail : 28 degrés pour les travaux physiques et 30 degrés pour le travail sédentaire. « Ces températures ne sont pas choisies au hasard. Ce sont les températures à partir desquelles l’INRS estime que la chaleur “peut constituer un risque pour les salariés” », explique Adèle Tellez, partie prenante de cette campagne. « Le patronat ne veut pas en entendre parler et reste sur la question de l’aménagement des conditions de travail. Alors que nous voulons poser la question du temps de travail », continue la syndicaliste.
De son côté, Sud travail affaires sociales, qui syndique des inspecteurs du travail, demande à ce que ces derniers obtiennent le droit d’arrêter l’activité « en cas de situation météorologique extrême, sur le modèle des arrêts de travaux pour risque de chute, risque d’ensevelissement, d’exposition à l’amiante… ». Une proposition reprise par les députés Insoumis qui, le 20 juillet, ont proposé une loi « visant à adapter le Code du travail aux conséquences du réchauffement climatique ». Cette dernière prévoit, entre autre, de multiplier les temps de pause au-delà de certaines températures et d’arrêter le travail dans les zones de vigilance rouge canicule pour certains métiers (BTP, ouvriers agricoles…). Le ministre du travail Olivier Dussopt a qualifié la proposition de « fausse bonne idée, [car] il y a trop de cas particuliers ».
Adapter la production à nos conditions de vie
Si la bataille semble loin d’être gagnée, la proposition de la CGT 75 est aussi une occasion de poser une question plus politique. « La chaleur a été l’occasion de reposer la question du temps de travail. L’idée c’est de dire que nous pouvons et devons adapter la production à nos conditions de vie et pas l’inverse. Il faut donc réduire le temps de travail », explique Adèle Tellez. Le constat est le suivant : le niveau de la production ne peut pas être dicté par une logique de profit. La question de la santé des travailleurs et de la viabilité écologique de notre économie doivent être prises en compte. En cela la proposition de la CGT 75 rejoint la campagne confédérale sur la semaine de 32 heures de travail.
« Enfin, il s’agit également de souligner une injustice : ceux qui subissent le changement climatique ne sont pas ceux qui sont responsables du capitalisme extractiviste, qui en est la cause. Les patrons, eux, ont la clim’ », souligne la syndicaliste. Il est probable que cette campagne, pour l’heure locale, soit reprise au niveau national dans les années à venir. Pour l’heure, la confédération a repris l’idée d’une température maximale de travail, sans en préciser le niveau.
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