grève 8 mars

Pourquoi les femmes sont les grandes perdantes de la réforme des retraites

 

Cette année, le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, marquera aussi le début des grèves reconductibles contre la réforme des retraites. Une convergence des luttes qui ne doit rien au hasard : les femmes, plus encore que les hommes, vont lourdement pâtir de l’allongement de l’âge de départ à la retraite. On vous rappelle pourquoi.

 

Les statistiques rappellent que les inégalités ne prennent jamais leur retraite. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), les femmes partent à la retraite plus tard que les hommes. L’âge moyen conjoncturel de départ à la retraite – qui neutralise les différences de taille de générations – était de 62 ans et 7 mois pour les femmes contre 62 ans pour les hommes, en 2020.

Ces mois de travail supplémentaires ne suffisent cependant pas à corriger une autre inégalité entre femmes et hommes : le montant des pensions. Selon cette même étude, les femmes touchaient, en 2020, une pension moyenne de 1154 € contre 1931 € pour les hommes, soit une différence de 40 %. La retraite des femmes est le reflet de leur carrière, laquelle est marquée par les inégalités. Or, la réforme des retraites ne devrait pas améliorer la situation, au contraire.

 

Une carrière à temps partiel, une retraite au rabais

 

Si le montant des pensions de retraite des femmes est faible, c’est notamment parce qu’elles sont nombreuses à devoir travailler à temps partiel, ce qui réduit mécaniquement leur salaire, leurs cotisations et donc leurs pensions. Selon une étude de la Dares – l’organisme chargé des statistiques pour le ministère du Travail – les femmes sont six fois plus souvent à temps partiel que les hommes. Ainsi, 11 % des salariées se voient imposer un temps partiel, contre 2 % de leurs collègues masculins. Concrètement, on leur refuse la possibilité de faire plus d’heures à leur poste.

Ce problème ne se pose que rarement dans les métiers dits masculins. Mais dans les métiers féminisés, cette situation est beaucoup plus fréquente : les femmes de ménage ou les assistantes maternelles n’ont généralement pas la possibilité de travailler plus, même si elles en expriment le désir.

 

Un temps partiel choisi ?

 

Pour 19 % des salariées, le temps partiel n’est pas contraint, mais « choisi ». À entendre les défenseurs acharnés de la réforme, ce « choix » justifierait à lui seul une pension plus basse. Le 25 février dernier, au milieu d’explications hasardeuses sur la « pension minimal à 1200 € », Emmanuel Macron jouait à plein cette partition. « Si vous faites votre carrière à mi-temps, que moi je fais toute ma carrière à temps plein, qu’on arrive à la retraite, qu’on a la même retraite, à juste titre, je vais dire ” je me suis fait avoir “. »

En réalité, ce choix du temps partiel n’est pas signe d’oisiveté, il est contraint par tout le travail non rémunéré fourni par les femmes, que le gouvernement se refuse à considérer, et que la retraite ne valorise pas financièrement. Ainsi, toujours selon la Dares, parmi les femmes ayant choisi d’être à temps partiel, une femme sur deux le fait pour s’occuper de ses enfants ou d’un membre de la famille. Des préoccupations que n’expriment pas les quelque 2 % d’hommes ayant choisi de travailler à temps partiel : c’est plus souvent pour se former, s’adonner à une autre activité professionnelle ou pour des raisons de santé qu’ils choisissent de ne pas travailler à temps plein. Une logique qui « tradui[t] le lien entre temps partiel ” choisi ” féminin et la division sexuée du travail domestique », souligne la Dares.

Travailler peu et donc cotiser peu, ce piège paraît à première vue inextricable pour quiconque souhaite s’assurer une retraite décente. C’est pourquoi beaucoup de femmes font le choix de travailler plus longtemps, afin de bénéficier d’une surcote et ainsi obtenir une pension décente. Un maigre bénéfice qui leur sera retiré avec cette réforme des retraites. En effet, en repoussant de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, on repousse fatalement l’âge de surcote. Pour bénéficier de celle-ci, les femmes devront alors travailler encore plus longtemps… ou se rationner durant leurs vieux jours.

 

Un remake de 2010

 

Rien ne garantit d’ailleurs qu’elles auront encore un emploi à 62 ans. Sur ce point aussi, les femmes sont les grandes perdantes de la réforme. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder dans le rétroviseur en direction de la précédente réforme de Sarkozy, en 2010.

À l’époque, les protagonistes actuels ne jouaient pas forcément le même rôle. Bruno Le Maire ne s’intéressait pas encore aux questions de budget et était alors ministre de l’Agriculture. Eric Woerth signait de son nom la réforme, en tant que ministre du Travail. Quant à Olivier Dussopt, il s’y opposait vertement, dénonçant une « réforme injuste ». Mais malgré ce changement de casting, le projet était déjà du même acabit : repousser l’âge légal de départ à la retraite de 2 ans, de 60 à 62 ans.

Le gouvernement actuel semble avoir gardé un bon souvenir de cette précédente attaque contre les acquis sociaux. Dans son étude d’impact, il affirme ainsi que cette réforme avait conduit à une augmentation du taux d’activité à 60 ans, qui s’est « traduit, surtout, par un accroissement de l’emploi ». « La probabilité d’occuper un emploi a progressé de 17 points pour les hommes et de 16 points pour les femmes, dont respectivement 3 et 7 points sous forme d’emploi à temps partiel », écrit-il en citant une étude de l’Insee. Près de la moitié des femmes âgées qui travaillent, le font à temps partiel, voilà qui ne parait pas le préoccuper.

Mais surtout, la lecture qu’il fait de l’étude de l’Insee est pour le moins partielle. Selon cet organisme, le chômage a augmenté de 6 % pour les femmes et de 7 % pour les hommes, un chiffre conséquent que le gouvernement ne prend pas la peine de rappeler. Or, les inégalités de genre sur le montant de l’allocation chômage s’accroissent avec les années. Selon Pôle Emploi, les femmes âgées de 50 à 54 ans perçoivent une allocation moyenne de 1220 € contre 1550 € pour leurs homologues masculins. Cet écart de 330 € augmente au fil des âges pour atteindre 640 € chez les plus de 60 ans.

À  réforme égales, conséquences égales. Avoir une petite retraite, être une travailleuse pauvre ou survivre avec une faible allocation chômage : dans tous les cas, la réforme des retraites va précariser les femmes proches de l’âge de la retraite.

 

Les risques psychosociaux en embuscade

 

« Nous voulons améliorer la prise en compte de la pénibilité », assurait Olivier Dussopt après avoir présenté la réforme en conseil des ministres. Objectif raté. Si la pénibilité physique est déjà mal prise en compte, les risques psychosociaux sont, eux, complètement occultés. Or, ces derniers sont particulièrement présents dans les métiers féminisés, notamment de service. Dans le soin, l’enseignement, le commerce ou le nettoyage, la Dares énumère de nombreux facteurs de risques : organisation du temps de travail contraignante, contact avec le public pouvant générer des tensions ou obligeant les femmes à dissimuler leurs émotions, manque de reconnaissance ou manque de matériel, formation ou temps pour bien faire son travail.

Travailler jusqu’à 64 ans dans de telles conditions : cette perspective paraît impossible pour de nombreuses salariées. Ce sont ainsi des aides à domicile qui devront continuer à porter des personnes âgées – le port charge lourde avait été supprimé par Macron des critères de pénibilité – jusqu’à le devenir elles-mêmes – des professeures des écoles qui devront, deux années de plus, enseigner à des classes d’élèves parfois dissipés alors que beaucoup quittent déjà le métier avant la fin de leur carrière, des agentes de nettoyage qui continueront à vivre selon les rythmes infernaux imposés par leurs employeurs sans pouvoir imposer un autre rythme : celui du repos.

Malgré un tableau déjà morne, il reste un autre risque oublié par le gouvernement et absent des discussions sur la réforme des retraites. La Dares rappelle ainsi en guise de conclusion que « [cette enquête] ne renseigne pas sur des risques tels que les atteintes dégradantes ou le harcèlement. Or ceux-ci sont souvent genrés dans le sens où les femmes y sont davantage confrontées que les hommes et que les atteintes dont elles sont victimes leur sont généralement portées au motif qu’elles sont femmes ». Ces violences sexistes et sexuelles « impacte leur santé et leur carrière » rappelaient Caroline de Haas, Cécile Duflot et Youlie Yamamoto dans une tribune. Un tiers des femmes en a été victime au cours de sa carrière. Les femmes, grande cause du quinquennat, vraiment ?