plis électoraux

Plis électoraux : 83 millions pour La Poste, trois fois rien pour les facteurs

 

Cette année, La Poste récupère la totalité du marché de l’acheminement des plis électoraux. Un contrat dont le montant ne cesse d’augmenter alors que la rétribution des factrices et facteurs pour ce travail supplémentaire a considérablement baissé.

 

Après les déboires du partage du marché de la distribution des plis électoraux entre La Poste et l’entreprise Adrexo l’an dernier, le gouvernement est revenu à la situation antérieure : faire distribuer la totalité des professions de foi des candidats aux élections présidentielles et législatives par La Poste. À cette fin, l’opérateur postal va empocher la coquette somme de 83,3 millions d’euros hors taxes, montant de l’appel d’offres pour l’ensemble des lots. Et peut-être même un peu plus. Des chiffres non officiels – La Poste refusant de donner les détails du contrat signé avec l’État – évoquent 85 ou 86 millions d’euros.

Mais, quel que soit le montant final, ce sera une bonne opération pour l’entreprise privée détenue par des capitaux publics. En effet, La Poste a annoncé qu’elle ne recruterait pas pour écouler les plis à destination des 48,7 millions d’inscrits sur les listes électorales. Elle compte s’appuyer sur ses 73 000 agents de la distribution, pour acheminer en tout 195 millions de plis pour les deux tours des deux élections du printemps. Et ainsi, dépenser le moins possible en masse salariale. Pour y parvenir, elle a modifié au cours de la dernière décennie le mode d’organisation et de rémunération de cette charge de travail supplémentaire. Fini la, ou les, distributions supplémentaires l’après-midi, après la tournée matinale, compensées financièrement par un forfait payé au nombre de plis. Un mode de rémunération qui pouvait offrir à des facteurs, dont les payes ne sont que de peu supérieures au SMIC, près d’une centaine d’euros par scrutin.

Aujourd’hui, place au travailler plus pour que l’entreprise gagne plus. Les enveloppes électorales sont intégrées à la tournée avec le reste du courrier. Le facteur s’en débrouillera en lissant l’activité supplémentaire sur plusieurs jours et en augmentant la cadence. Pour le premier tour des présidentielles, qui compte 12 candidats, ce surplus de travail a un poids : 84 kilos en moyenne dans la sacoche des factrices et facteurs selon le syndicat SUD-PTT. Pour zéro euro supplémentaire ou presque. À la marge, en cas d’impossibilité de distribuer l’ensemble des plis électoraux, au plus tard le 9 avril, La Poste paiera quelques heures supplémentaires. Ici ou là. Mais probablement pas avant d’avoir fortement incité les distributeurs à finir dans les temps et les heures de travail réglementaires.

 

Pas de fléchage des 83,3 millions d’argent public

 

Combien cette opération rapportera-t-elle à La Poste ? De combien les factrices et les facteurs seront-ils floués ? Les bilans financiers de l’opérateur postal consultables publiquement ne permettent pas de le déterminer. Notre demande auprès de La Poste, pour connaître la part en dépense de salaire, rapportée aux 83,3 millions d’euros ou plus déboursés par l’État, est restée sans réponses. De même que nos questions sur le montant des heures supplémentaires allouées aux facteurs, lors de l’élection présidentielle de 2017, qui avait été organisée de façon identique par La Poste. Difficile donc de savoir comment est dépensé cet argent public.

Ce dont nous sommes certains, c’est que les dépenses salariales étaient bien plus importantes par le passé. Bien que l’entreprise ne communique pas ses chiffres, de rapides calculs, même très approximatifs suffisent à éclairer cette réalité tant les écarts sont importants. Prenons un exemple. En 2007, année électorale comme aujourd’hui, La Poste comptait 100 000 facteurs contre 65 000 en 2022. Ils recevaient chacun une compensation pouvant s’élever à plusieurs centaines d’euros pour les quatre tours (présidentielle et législative). Cette année, ce sera rien pour la plupart et quelques dizaines d’euros d’heures supplémentaires pour certains.

Faisons un calcul, même très sommaire. En 2007, pour les quatre tours : 100 000 facteurs compensés en moyenne à 200 €, cela représenterait environ 20 millions d’euros. Admettons que ce printemps un agent sur trois réussisse à se faire payer deux heures supplémentaires par tour. Cela nous donne un total d’un peu moins de 175000 heures supplémentaires. Soit, pas plus de 2 millions d’euros pour les facteurs. Un écart de 1 à 10 entre 2007 et aujourd’hui au bénéfice de La Poste. Même en prenant en considération une marge d’erreur significative liée au fait que nous n’avons pas eu accès aux chiffres réels de l’entreprise, il y a peu de doutes sur l’avantage qu’en tire l’opérateur postal. D’autant que le financement par l’État de l’acheminement des plis électoraux était de 47,8 millions d’euros en 2007. Presque deux fois moins que les 83,3 millions de l’appel d’offre de 2022. Peut-être la raison pour laquelle La Poste n’est pas très transparente sur le contrat signé avec l’État.