Les AESH, accompagnantes d’élèves en situation de handicap, étaient de nouveau en grève ce mardi 5 avril. L’appel national, porté par une intersyndicale (CGT éduc’action, la FSU, Sud…), a mobilisé dans plusieurs villes françaises. Dans le cortège parisien, les manifestantes tirent un bilan sévère d’un quinquennat qui avait promis, pourtant, de faire progresser l’« inclusion scolaire ». Et portent un regard peu enthousiaste sur les candidats aux présidentielles.
Durant le quinquennat Macron qui se clôt désormais, l’« inclusion scolaire » fut un mot d’ordre répété par la secrétaire d’État au handicap, Sophie Cluzel. Le Président de la République lui-même a insisté sur cet enjeu. Sans compter sa « grande cause du quinquennat » que devait être l’égalité femmes-hommes. De quoi toucher au coeur les AESH (accompagnantes d’élèves en situation de handicap), un secteur très majoritairement féminisé ? Pas vraiment. Dans le cortège parisien de ce 5 avril, les manifestantes partagent une conclusion amère des cinq années écoulées.
« Je me rappelle, au début du quinquennat, Macron et les députés LREM avaient parlé des AESH. Mais c’est un sujet qu’ils ne maîtrisent pas vraiment. On ne peut pas laisser encore des gens à un niveau de salaire si dérisoire ! » fustige Farimata, AESH dans le 10ème arrondissement de Paris. « Globalement, il faut le dire : rien n’a été fait. On attend des mesures fortes ». Entre autres : un vrai statut professionnel, et la sortie de la précarité.
Ce que les AESH retiennent du quinquennat Macron
« Ce quinquennat n’a pas pris la question de l’inclusion au sérieux », estime Blandine Turki, enseignante syndiquée à la FSU. Cette dernière a fait la route depuis le Doubs pour soutenir « ses collègues, dont on ne reconnaît pas l’importance. Sans AESH, l’école ne fonctionne pas. La reconnaissance passe par un nombre d’heures digne, un salaire, et de la formation. Et ça, actuellement, elles ne l’ont pas ».
Au sein de son établissement scolaire, le manque de moyens pour accompagner les élèves en situation de handicap est prégnant, assure-t-elle. Elle regrette qu’il n’existe toujours pas de temps de formation des enseignants sur le sujet. Ni de temps dédié à la coordination avec leurs collègues AESH.
Il y a bien eu quelques mesures, notamment du budget débloqué pour des embauches d’AESH durant le quinquennat. Des « pansements », balaie Blandine Turki. « Ils nous ont fait croire qu’il y aurait des recrutements en nombre suffisant, mais ce n’est toujours pas le cas ».
Le contexte de la pandémie a alourdi la colère des AESH. Thibault, un collègue de Farimata, rattaché à une ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire), garde de mauvais souvenirs des premiers mois. « On nous a envoyé sans considération, comme au front à la guerre… Mais sans protection, sans rien. Il fallait être avec les élèves, peu importe qu’on soit malades, peu importe nos conditions de travail ».
Les PIAL, point de crispation central
Mais ce qui reste en travers de la gorge dans le bilan du quinquennat, c’est la mise en place des PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés). Ces pôles ont réorganisé le temps de travail des AESH, dans un objectif de mutualisation. « Depuis l’année dernière, on m’a affectée à quatre écoles élémentaires différentes. C’est fatiguant : on reste une ou deux heures avec un enfant, puis il faut bouger… Je peux être amenée à avoir trois enfants dans la même journée » raconte Mireille Tefaaora, AESH sur Paris.
Les PIAL ont saupoudré les heures de travail hebdomadaires sur davantage d’enfants. Et multiplié les lieux d’intervention. « Certains ne supportent pas la mutualisation car elles imposent des contraintes. On peut se retrouver avec plusieurs élèves en même temps, c’est vrai. Mais je pense aussi qu’on peut trouver parfois de meilleures organisations entre établissements », tient à nuancer Farimata, qui est devenue elle-même coordinatrice d’un PIAL.
Son collègue Thibault, qui marche à ses côtés, reste sur un avis très critique. À ses yeux, ce système empêche un accompagnement individualisé en profondeur. Il fragilise aussi « le suivi scolaire et des devoirs en dehors de la classe ». C’est également l’opinion de l’enseignante Blandine Turki. D’après ce qu’elle observe dans le Doubs, les PIAL ont « dégradé les conditions d’accueil des élèves et les conditions de travail des collègues… On demande aux AESH de se déplacer beaucoup alors qu’elles n’ont déjà pas beaucoup de finances ». Cela implique en effet, en zone rurale, des kilomètres de voiture à avaler chaque jour.
« Moi, je n’y crois plus aux promesses de Macron »
Les AESH disposent généralement d’un contrat de 24 heures par semaine. Dans le cadre de sa candidature pour un nouveau mandat, Emmanuel Macron a évoqué l’idée de l’augmenter à 35 heures. « Oui, mais au même salaire que le SMIC… Donc ça ne changera rien pour nous », réagit immédiatement Thibault. « N’oublions pas qu’un prof, c’est 18 heures face aux élèves, et ce n’est pas payé au SMIC. 35 heures face à l’élève, moralement, ce n’est pas possible. On travaille avec de l’humain ! »
Ce seuil de 35 heures serait atteint, selon la vision du candidat Macron, en « prolongeant leur accompagnement sur le temps de cantine, après l’école et pendant les vacances (…) Toutefois, il ne dit pas comment s’articuleront ces différents temps : qui sera l’employeur, qui sera le coordonnateur (…) ? » décrypte le site spécialisé Café Pédagogique.
Au-delà de ce qu’implique cette orientation, beaucoup demeurent désabusés dans le cortège. « Moi je n’y crois plus aux promesses de Macron. Macron et Blanquer, ce sont ceux qui ont détruit l’école publique. Ils ne pourront pas la réparer avec des promesses », souffle Blandine Turki.
Mireille Tefaaora, l’AESH à Paris, balaie aussi : « c’est la période de vote, je ne sais pas s’il tiendra parole s’il est réelu ». Elle est venue manifester avec sa collègue Hachimiat. Toutes deux travaillent sur la base d’un CDD de 24 heures hebdomadaires. Le tout pour près de 800 euros net par mois. « C’est difficile de vivre avec ça. C’est même invivable », résume Hachimiat.
« Il faut que les candidats sachent que c’est un problème majeur »
Dans le cortège, quelques élus franciliens sont présents. C’est le cas des écologistes Julien Bayou et Nour Durand-Raucher, par exemple. Au loin, une grande silhouette se détache : celle du candidat Yannick Jadot. Les AESH qui le reconnaissent passent le mot à leurs collègues. D’autres, comme Farimata, sont loin d’être impressionnés. « Aujourd’hui, on sent la récupération politicienne », siffle-t-elle. « Il ne suffit pas d’en parler au moment des élections. Pour que les candidats soient crédibles, il faut qu’ils se saisissent du sujet en amont. C’est un travail de longue haleine que de faire reconnaître notre métier indispensable… », insiste-t-elle.
Les mobilisations successives des AESH ces derniers mois leur ont permis de mieux se faire entendre du grand public et des responsables politiques. Mais quand on demande à Farimata et son collègue Thibault quelle place a pris la question des AESH et de l’inclusion scolaire dans la campagne, ils répondent en choeur : « aucune ! »
Personne, parmi les personnes interrogées dans la manifestation, ne retient de proposition pertinente de la part d’un candidat. Or, « il faut que les candidats sachent que c’est le problème majeur des enseignants actuellement », appuie Blandine Turki. Les CHSCT (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) sont saisi « essentiellement » de ce problème, relate la responsable syndical. « C’est la préoccupation première des enseignants en ce moment – avec les salaires… », précise-t-elle en souriant. « Quand on est en salle des maîtres, c’est de cela dont on discute en premier ! »
En restant sur une base de 24 heures temps plein, « Poutou, Roussel, Mélenchon, Hidalgo et Jadot veulent en faire un statut pérenne, intégré à la fonction publique avec un salaire décent », analyse l’article de Café Pédagogique. « Roussel se distingue des autres candidats de gauche en proposant un recrutement de 90 000 AESH en plus des 125 000 actuels (…) Mais aucun des candidats n’évoque le support budgétaire nécessaire ni les changements législatifs indispensables ».
Toutes et tous, dans le cortège, semblent se préparer à un nouveau quinquennat de mobilisations. « Les enfants en situation de handicap demandent du temps. Du temps de confiance. Ils ne se rendent pas compte… Ils devraient venir sur le terrain pour voir comment cela se passe » soupire Hachimiat. Comme ses collègues, elle mise sur le soutien des parents d’élèves et d’enseignants pour peser davantage dans le rapport de forces. Au quotidien comme dans la mobilisation, « c’est un travail d’équipe », sourit-elle.
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