Parcoursup, réforme du baccalauréat, de l’enseignement professionnel, dédoublement de classes en CP, nouveaux programmes, recadrages pédagogiques, suppressions de postes, Théo Roumier revient sur la politique du gouvernement en matière d’éducation. Syndicaliste à Sud-éducation, animateur des cahiers « Les Utopiques », militant libertaire, il fait le point sur la mobilisation à venir du 12 novembre dans l’Éducation nationale.
Dans un tract, ton syndicat évoque le « rouleau compresseur Blanquer » et appelle à contrer ses réformes. Peux-tu expliciter ?
Théo Roumier : La politique que mène le ministère Jean-Michel Blanquer est à la fois dans la continuité des précédentes et à la fois inédite. Dans la continuité, car elle n’a pour seule boussole qu’une vision comptable, à courte vue qui plus est. Inédite, car elle va bien plus loin dans le démantèlement que l’épisode de la prétendue « refondation » sous Vincent Peillon.
Il y a donc un véritable enjeu à construire une résistance solide, au plus près du terrain, ancrée dans les services et les établissements. Et ce, de la maternelle à l’université. Soyons francs, ce n’est pas gagné. Si Blanquer peut à ce point y aller en mode « rouleau compresseur », c’est justement parce que les résistances sont émoussées, que les personnels sont épuisés après des années de suppressions de postes et de contre-réformes qui s’empilent les unes après les autres. Il faut vraiment rediscuter, et vite, des stratégies à mettre en œuvre pour renforcer l’action syndicale !
Pourtant après la mesure sur le dédoublement des classes en primaire, puis un certain discours sur le retour à l’autorité, le ministre est plutôt populaire dans l’opinion publique. Qu’en est-il chez les profs ?
Théo Roumier : Il faut déjà rappeler que les classes de CP à 12 ne concernaient que les écoles en REP et REP+, et que cette mesure s’est faite pour l’essentiel en redéployant des postes, c’est-à-dire à moyens constants. Au mieux, il ne s’agit que d’un cautère sur une jambe de bois. Si l’on veut parler de l’amélioration des conditions de travail et d’étude, on ne peut pas évacuer la seule question qui vaille : la réduction des effectifs d’élèves par classe, à tous les niveaux.
Quant à l’aspect autoritaire, il rentre au diapason d’une période qui voit les idéologies réactionnaires gagner de plus en plus de terrain, jusque dans un secteur professionnel, « l’éducation », qui était traditionnellement marqué à gauche. La nouvelle « morale républicaine » peut apparaître comme un refuge pour des personnels fragilisés dans leurs métiers et qui peuvent s’émouvoir à l’évocation du temps des « Hussards noirs ». Mais ce temps était celui d’une école mille fois plus inégalitaire qu’elle ne l’est aujourd’hui ! Ce dont nous avons besoin, c’est au contraire de promouvoir plus fortement encore le projet d’une école de l’égalité.
Les réformes s’enchaînent. Quel est le modèle d’éducation que portent ce ministre et le gouvernement ?
Théo Roumier : Il est précisément à l’exact opposé d’une école où l’égalité serait au centre. C’est un projet élitiste, autoritaire, réactionnaire et libéral. Tous les projets ministériels visent à revenir à davantage de sélection, à mettre en concurrence les individus comme les établissements et les services. Parcoursup en est un des exemples : c’est officiel, la fac n’est désormais plus ouverte à toutes et tous les bacheliers. C’est une politique d’exclusion et de tri social à une échelle de masse.
On veut nous faire croire que l’école « de la République » n’encourage et ne reconnaît que le mérite. C’est une arnaque de haut vol ! Le mérite est une construction sociale. Statistiquement, il n’est toujours attribué, et à une écrasante majorité, qu’aux enfants des classes favorisées. Ce n’est pas vraiment une coïncidence. Pour les filles et les fils des classes populaires c’est exactement l’inverse : elles et ils vont payer, et très lourdement le prix de cette politique éducative. Ce qui veut dire plus de reproduction de classe et plus d’assignations et d’inégalités raciales et de genre.
Dans un billet sur Mediapart, tu parles de casse de l’enseignement professionnel. Qu’entends-tu par là ?
Théo Roumier : Le plan Blanquer pour l’enseignement professionnel est emblématique de cette politique. Il réussit l’exploit de supprimer à la fois des milliers de postes sur les trois prochaines années, entre 5000 et 7000 selon les calculs des syndicats, mais aussi des centaines d’heures de cours, notamment d’enseignement général en CAP et en bac pro. Comment croire qu’on accompagnera mieux les élèves ainsi ? C’est en fait enlever beaucoup à celles et ceux qui ont pourtant peu.
Parce que quoi qu’en disent les ministres successifs, qui se sont toujours gargarisés de mettre la priorité sur la voie professionnelle, la réalité c’est que les lycées pros sont les parents pauvres du service public d’éducation. Dans la plupart des établissements, nous manquons de personnels de surveillance, de santé ou d’entretien. Mais aussi d’heures de cours supplémentaires pour mettre en place des dispositifs permettant de meilleures conditions de travail et d’étude, comme les dédoublements de classes par exemple. Alors qu’il faudrait un plan d’urgence, c’est un plan d’austérité que nous propose le ministre Blanquer !
Et, là encore, derrière la prétendue recherche de l’excellence, c’est l’élitisme qui sert de boussole. Le ministre a même osé parler de « Harvard du professionnel », imaginant des sortes de super-lycées pros qui seraient bien sûr plus et mieux dotés que d’autres. Bref, c’est un enseignement professionnel à deux, voir trois vitesses qui se dessinent si ce plan est appliqué. Sauf qu’il va falloir compter avec les luttes des personnels.
Sur ce point, la FSU a fait l’impasse de la journée interprofessionnelle du 9 octobre au profit d’une journée de grève spécifique à l’éducation le 12 novembre, soit trois semaines avant les élections professionnelles. Penses-tu que cette stratégie soit en phase avec les enjeux du moment ?
Théo Roumier : Le « modèle » des grèves de novembre-décembre 1995 est à réinterroger dans la période. Appeler de manière incantatoire à une grève générale interprofessionnelle et reconductible sans l’appuyer sur des luttes solides dans les secteurs et au plus près du terrain n’est pas crédible. Du coup, l’enjeu est d’arriver à articuler les journées de 24 heures interpros à l’action dans son atelier, son service, son bahut.
Par exemple, c’est ce que nous avons fait le 9 octobre dernier à Orléans, dans le Loiret, où il y a eu un cortège spécifique des lycées professionnels en grève qui a rassemblé une grosse centaine de grévistes. Plus d’un prof de lycée pro du département sur cinq. Réussissons la grève du 12 novembre dans cet état d’esprit : avec des cortèges de bahuts, des assemblées générales de personnels, les plus représentatives possibles, pour discuter des suites.
Sans ce travail là, il est illusoire de croire que nous arriverons à des mouvements de grève durs, reconductibles et auto-organisés, ce qu’il faut pourtant toujours activement rechercher !
Quel est l’état de la mobilisation dans le secteur justement ? Il y a-t-il un état d’esprit combatif pouvant aller au-delà de journées d’actions ponctuelles ?
Théo Roumier : C’est très variable selon les établissements, les circonscriptions et les départements. Là où il y a un travail syndical de terrain de longue haleine, avec des heures ou des réunions d’information syndicale, la combativité est au rendez-vous. C’est vrai dans le second degré comme dans le premier degré.
Il y a un énorme travail à faire d’ancrage des revendications sur des réalités locales, bahut par bahut, école par école, service par service. Encore une fois, c’est cela qui sera le moteur pour aller au-delà des journées d’actions ponctuelles. C’est ce qui peut en donner l’assise et la volonté. C’est notre première tâche. Et c’est aussi un préalable dans une logique d’autogestion des luttes.
Mais il ne faut pas hésiter non plus à imaginer des propositions syndicales différentes. Si l’on prend l’exemple des lycées professionnels, pourquoi ne pas proposer trois jours de grève d’affilés? Cela pourrait se faire par le biais de certaines intersyndicales départementales, et pourquoi pas, être tenté au niveau national. Cela pourrait être une étape pour reprendre confiance dans notre capacité à construire un rapport de force digne de ce nom.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.