Nous lançons aujourd’hui le premier d’une série d’articles sur les retraites. Avant d’entrer dans le vif du sujet sur le système à points voulu par le gouvernement d’Édouard Philippe, jetons un coup d’œil dans le rétroviseur. En 25 ans, les gouvernements successifs ont initié six réformes des retraites. Toutes tendaient vers une régression des droits.
Vieille revendication ouvrière et syndicale, la retraite à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes trouve en partie sa concrétisation, après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981. Avec les ordonnances Auroux de 1982 et à compter du 1er avril 1983, les assurés peuvent liquider leurs droits et bénéficier d’une pension dès 60 ans, s’ils ont cotisé pendant 37,5 années. Une avancée importante alors que précédemment l’âge légal de départ était de 65 ans. Cependant, la promesse d’une retraite à 55 ans pour les femmes a été oubliée, et au même moment, le gouvernement opérait le tournant de la rigueur.
Les années Chirac
Dix ans plus tard, commence une contre-offensive sur les retraites. À l’issue des élections législatives de 1993, Édouard Balladur devient Premier ministre. L’ami de trente ans est envoyé au front pour permettre à Jacques Chirac de rester en bonne position pour briguer le mandat présidentiel lors des élections de 1995. En quelques semaines, une réforme est entérinée par ordonnances. Ce sont les retraites des salariés du secteur privé qui sont visées à compter du 1er janvier 1994. Celles du secteur public seront attaquées plus tard.
Ainsi, la durée de cotisation nécessaire pour partir à 60 ans augmente. Elle passe de 150 à 160 trimestres, soit 40 années au lieu de 37,5. L’âge légal de départ n’est pas modifié. Pour autant, les salariés qui sont entrés tardivement sur le marché du travail, mais souhaitent faire valoir leurs droits à 60 ans se voient appliquer une décote de 2,5 % par trimestres manquants. Dans le même temps, les pensions qui étaient calculées sur les 10 meilleures années de la carrière le seront sur les 25 meilleures. Enfin, au lieu d’être indexées sur les salaires, les pensions seront indexées sur l’inflation à partir de 1994.
La finalité de cette réforme était de baisser le niveau des pensions en cas de départ à 60 ans pour inciter les salariés à travailler plus longtemps. Elle a eu pour effet de retarder l’âge de départ moyen de 9 mois pour les hommes, et de 5 mois pour les femmes. Parallèlement, 60 % des salariés ont vu leurs pensions baisser. La moyenne de cette baisse étant de 6 % sur l’ensemble des retraités. Une fois le privé raboté, le gouvernement Juppé s’attaque aux retraites des agents du secteur public. Le Premier ministre de Jacques Chirac tente d’aligner les fonctionnaires sur les retraites du privé et remettre en cause les régimes spéciaux. Mais ce coup-ci, la réforme bute sur la plus grande grève depuis 1968. Le pays est paralysé pendant plusieurs semaines et Alain Juppé recule.
Huit ans plus tard lors du deuxième mandat de Jacques Chirac, le dossier des retraites revient sur la table. En 2003, c’est François Fillon qui est à la manœuvre et les mesures de 1993 sont étendues au public avec comme argument : « l’égalité ». Allongement de la durée de cotisation à 40 annuités d’ici 2008 pour les fonctionnaires et décote de 5 % par an jusqu’à l’âge maximal de 65 ans sont au programme. Parallèlement, le gouvernement ouvre de nouveaux produits d’épargnes individuels répondant à l’affaiblissement de l’assurance collective. Une façon d’ouvrir et d’encourager les retraites par capitalisation. Pour les fonctionnaires, il rend obligatoire la « retraite additionnelle de la fonction publique », une complémentaire, jusque là inexistante pour les fonctionnaires, qui agit comme un fonds spéculatif.
« Rupture » pour Sarkozy, « un président normal » pour Hollande
Arrivé aux affaires en 2007 avec pour slogan la rupture vis-à-vis de l’ère Chirac, Nicolas Sarkozy s’attaque immédiatement aux régimes spéciaux, les derniers qui avaient échappé aux réformes de 1993 et 2003. Pour bénéficier d’une pension complète, la durée de cotisation augmente progressivement jusqu’à 40 annuités entre 2007 et 2012. L’égalité par le bas est atteinte. Sur sa lancée, le gouvernement allonge la durée de cotisation à 41 annuités pour tous, à raison d’un trimestre par an jusqu’à 2012. En compensation, il augmente de 25 % le minimum vieillesse qui devient un horizon probable pour de plus en plus de salariés.
Nouvelle réforme en 2010 conduite par Eric Woerth. La mesure phare est le report de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans pour tous, fonctionnaires comme salariés. Par ailleurs, l’âge maximal de 65 ans au-delà duquel la décote ne pouvait être appliquée est supprimé. Dorénavant, ce sera 67 ans. Cerise sur le gâteau, un décret ajoute six mois de cotisations supplémentaires à compter de 2020, soit 41,5 annuités. Un décret rendu inutile par une énième réforme des retraites, celle mise en œuvre par Jean-Marc Ayrault, pendant le mandat de François Hollande. La durée de cotisation augmente de nouveau. Cette fois-ci, chaque trois ans, un trimestre s’ajoute jusqu’à atteindre 43 annuités en 2035. Quelques compensations sont octroyées sur la pénibilité, ainsi que pour les agriculteurs, les travailleurs handicapés ou les apprentis, mais le gouvernement n’oublie pas de faire quelques économies supplémentaires sur le dos des retraités. Il retarde le moment de la revalorisation des pensions d’avril à octobre.
Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), les réformes sur la période 2010-2015 ont fait reculer d’un an et demi l’âge moyen de départ et fait baisser de 4,5 % le montant des pensions cumulées sur un cycle de vie. Finalement, en six réformes et 25 ans, l’âge légal de départ à la retraite est passé de 60 à 62 ans, mais surtout la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein est passée de 37,5 à 43 ans. La raison pour laquelle, l’âge moyen de départ à la retraite des salariés augmente année après année. En 2018, il atteignait 62 ans, 8 mois et 2 semaines en 2018, et même 63 ans pour les femmes qui sont plus souvent confrontées à des carrières incomplètes.
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