Avant même la publication fin décembre des décrets d’application de la rupture conventionnelle collective, une des dispositions des ordonnances sur la loi travail, le groupe PSA et l’enseigne Pimkie ont annoncé vouloir y recourir. Une de ces deux entreprises inaugurera la mesure permettant aux entreprises de se séparer de salariés sans justifications économiques, et leur offrant un cadre bien moins contraignant que les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Qui de Pimkie, l’enseigne de prêt-à-porter féminin, ou de Peugeot-PSA conclura la première rupture conventionnelle collective ? Pimkie, l’entreprise du nord de la France, propriété de la famille Mulliez, a été la première à déclarer publiquement ses intentions. La nouvelle, révélée dans la presse le 22 décembre, avait été annoncée aux représentants du personnel le 19 décembre lors d’un comité d’entreprise. Soit la veille de la promulgation des deux décrets d’application par le gouvernement. Comme Pimkie, PSA a informé le 19 décembre les délégués syndicaux centraux de l’entreprise de l’ouverture de négociations sur la rupture conventionnelle collective, anticipant de quelques jours la publication au journal officiel et l’entrée en vigueur des décrets d’application.
C’est pourtant le numéro deux de l’automobile en Europe qui pourrait passer la ligne d’arrivée en tête. Le 9 janvier, la marque au lion convoque un comité central d’entreprise (CCE) sur le sujet. En fait, elle organise deux réunions le même jour avec le même ordre du jour : la rupture conventionnelle collective. Un moyen d’accélérer la procédure en vue d’une validation rapide ? En tout cas une façon de procéder étonnante. Les organisations syndicales qui devront plancher sur le sujet n’ont pas reçu d’éléments sur le contenu du projet. Aucun document de travail ne leur a été fourni.
De son côté, Pimkie a un calendrier à peine plus détendu avec une réunion du CCE le 8 janvier, suivie de trois réunions de négociations les 9, 17 et 23 janvier. Là non plus, les membres du CCE n’ont pas d’éléments chiffrés sur le nombre de postes de travail concernés, même si celui de 200 à 250 a été avancé par la CGT.
Pimkie : direction cherche syndicat pour signer rupture conventionnelle collective
La rupture conventionnelle collective, mesure surprise des ordonnances modifiant le Code du travail, est exclusivement à l’initiative de l’employeur. Elle nécessite la validation d’un accord paraphé par des syndicats représentant au moins 50 % des salariés. Rien n’indique pour l’heure que la direction de Pimkie trouve assez de syndicats pour signer un accord. La CGT a déjà fait part publiquement de son opposition et réclame des reclassements dans le groupe. L’enseigne de prêt-à-porter féminin est une des nombreuses marques détenues par la famille Mulliez, la quatrième fortune de France. Propriétaire du groupe Auchan, mais aussi de Décathlon, de Kiabi et d’une cinquantaine d’autres marques, l’Association familiale Mulliez salarie 500 000 personnes dans le monde pour un chiffre d’affaires avoisinant les 80 milliards d’euros.
« L’objectif est de maintenir une unité syndicale pour éviter que cela parte dans tous les sens », explique Valérie Pringuez, déléguée syndicale centrale et élue au CEE de Pimkie. Selon la syndicaliste CGT, l’entreprise en cas de désaccord des syndicats proposera un PSE ou un plan de départ volontaire. « Si le 9 janvier à 14 h 30 l’ensemble des organisations syndicales maintiennent leur opposition, la direction clôturera les débats », annonce-t-elle non sans une certaine inquiétude sur la position des autres syndicats. La CGT, premier syndicat de l’entreprise avec 27 % des voix lors des élections professionnelles, ne peut bloquer seule le processus.
La CFE-CGC, deuxième organisation de l’entreprise avec 24 % des voix, n’a pas encore arrêté sa position. « Nous sommes très vigilants sur ce nouveau dispositif. Nous regarderons les propositions de la direction puis nous prendrons notre décision », affirme Guy Bouquet, le représentant du syndicat des cadres au CEE de Pimkie. Un plan de départ volontaire avec des garanties hautes, supérieures à celles prévalents dans un PSE, aurait ses faveurs pour éviter la désignation par la direction des salariés devant partir. En tout cas, la position de la CFE-CGC sera déterminante.
Si elle refuse de s’engager par accord avec la direction de Pimkie, aucune validation ne sera arithmétiquement possible. En effet, ses voix, additionnées à celles de la CGT dépassent les 50 %. À l’inverse si le syndicat des cadres signe, il pèse pour moitié des 50 % nécessaires à la validité d’un accord. Mais il resterait encore à la direction de Pimkie la charge de convaincre la CFDT (21 %) et surtout FO (22 %) dont la déléguée syndicale centrale siégeant au CEE, Marley Upravan, s’est jusque là déclarée hostile au projet.
Une formalité chez Peugeot ?
C’est une tout autre situation chez Peugeot-PSA où la direction est confiante. Depuis le traumatisme des plans sociaux (PSE) et de la fermeture du site historique d’Aulnay en 2013, le constructeur a changé son fusil d’épaule. Il a mis en place des plans de départs volontaires dans le cadre de son dispositif d’adéquation des emplois et des compétences (DAEC). Chaque année, ces plans ont été validés par la majorité des syndicats de l’entreprise, malgré la perte de 20 000 à 25 000 postes depuis 2012 selon plusieurs sources syndicales. En 2018, la direction du groupe remplace ses plans de départs volontaires par la nouvelle disposition prévue par les ordonnances.
« Je pense qu’à part la CGT, tout le monde va signer », pronostique Jean-Pierre Mercier, délégué syndical central CGT du groupe qui s’attend à plus d’un millier de postes concernés. Pour le syndicaliste, ce n’est pas un sujet mobilisateur dans l’entreprise. « Le gars qui ne veut pas partir ne quitte pas l’entreprise, mais ne va pas se battre là-dessus », explique-t-il. Pourtant, Jean-Pierre Mercier relate des départs pas toujours si volontaires que cela. Il évoque des mises au placard pour des cadres, des pressions à la mobilité géographique et même un chantage fait aux travailleurs handicapés menacés de licenciement pour inaptitude. Pour obtenir les départs volontaires, la direction propose des incitations financières et un accompagnement. « Chez PSA vous vendez votre CDI pour 20 000 €. Un jeune avec cinq ans d’ancienneté peut partir avec cette somme. Bien plus que ce qui a été proposé chez le sous-traitant GMS », rappelle le syndicaliste. En tout cas, très largement au-dessus du montant des indemnités légales de licenciement.
Pour le moment, seule la CGT a annoncé son refus de signer cette rupture conventionnelle collective chez PSA. Mais ne pesant que 20 % lors des dernières élections professionnelles, elle n’est pas en mesure de s’y opposer. Pour FO et la CFTC, représentant respectivement 19 % et 13 %, l’enjeu est de reconduire les mêmes contreparties que celles figurant dans les plans de départs volontaires. Sensiblement la position de la CFDT (13%) et de la CFE-CGC qui a réalisé une percée en dépassant les 19 % lors des dernières élections. Si l’entreprise donne ces garanties, ce que ses 2,15 milliards de bénéfices en 2016 (+79 %) lui permettent, la signature ne fait pas de mystère.
Pour Peugeot, l’intérêt de la rupture conventionnelle par rapport aux dispositifs précédents réside dans la rapidité de sa mise en œuvre. En moins de deux mois, les salariés concernés pourraient quitter l’entreprise. Pour PSA, c’est la garantie d’une réduction rapide de la masse salariale et par là d’une augmentation de la productivité. En cinq ans, le nombre de véhicules produits en France est passé de 860 000 à plus d’un million. Cela avec moins de personnel permanent et l’emploi de 9000 intérimaires selon Christian Lafaye, délégué syndical central de FO. Autre avantage pour l’entreprise, elle peut embaucher d’autres salariés immédiatement sans attendre un an comme précédemment.
La validation par la Direccte. Une formalité ?
Si un accord est conclu, la rupture conventionnelle collective est envoyée à la Direccte pour validation. L’antenne départementale du ministère du Travail a 15 jours pour vérifier la conformité de l’accord et de la procédure : information des instances représentatives du personnel (les nouveaux CES ou le CCE), représentativité des syndicats signataires et présence des mesures obligatoires pour la « mobilité externe ». Le premier dossier échouera à la Direccte des Yvelines si PSA signe un accord rapidement. Il sera sans nuls doutes regardé à la loupe, étant sous le feu des projecteurs. Mais, l’ordonnance prévoit qu’une absence de réponse de la Direccte vaut validation passé un délai de 15 jours.
Sans préjuger des pratiques à venir des directions départementales du travail, l’absence de réponse valant validation au bout de 15 jours avait déjà été retenue pour les ruptures individuelles mises en place en 2008. Leur nombre n’ayant cessé de battre des records, année après année, pour atteindre le nombre de 390 000 en 2016, des Direccte s’abstiennent de répondre et exercent un contrôle très relatif. Ainsi, la direction des statistiques du ministère du Travail (DARES) avançait en 2013 le chiffre de 14 % de ruptures conventionnelles s’apparentant à un licenciement déguisé. D’autres études évaluaient ce nombre à 30 %. Les salariés utilisant ce dispositif ayant droit à des indemnités chômage, le coût de ces licenciements au lieu d’être à la charge de l’employeur est pris en charge par la collectivité.
Aujourd’hui, pour la première rupture conventionnelle collective, PSA tient la corde. « Ils comptent sur une signature pour le 1er février », assure Jean-Pierre Mercier. Du côté de Pimkie, une signature rapide est moins probable, à moins que la direction ne mette beaucoup de contreparties sur la table des négociations. Résultat des courses le 9 janvier, jour de la première réunion de négociations dans l’entreprise de prêt-à-porter féminin.
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