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Syndicalisme : la CGT et la FSU réfléchissent et travaillent ensemble à leur rapprochement


Ce serait une petite révolution pour le syndicalisme. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au lieu de se fragmenter toujours plus, le paysage syndical pourrait prendre une direction opposée. La CGT et la FSU discutent très sérieusement d’un travail en commun de leurs organisations pouvant aboutir à la construction d’un nouvel outil syndical.

 

Travailler à un « syndicalisme de transformation sociale à vocation majoritaire ». C’est la formulation qui fait consensus entre la CGT et la FSU pour poursuivre leurs discussions, dont la finalité pourrait être à moyen terme la création d’un nouvel outil syndical sans exclusive ou d’une autre forme d’union restant à définir. C’est ce qu’elles ont couché sur le papier dans le compte rendu, envoyé à leurs organisations, d’une de leur réunion en commun le 14 novembre dernier.

Au-delà du travail unitaire à huit syndicats que la CGT comme la FSU entendent poursuivre au sein de l’intersyndicale issue du mouvement contre la réforme des retraites, elles souhaitent parallèlement rendre plus fort un type de syndicalisme ancré dans la construction de rapports de force et qui propose un changement social.

« C’est la double besogne, c’est-à-dire un syndicalisme qui s’occupe du quotidien des travailleurs : des salaires, des conditions de travail, de la sécurité au travail, jusqu’à l’ergonomie du bureau. Mais c’est un syndicalisme qui porte une perspective de dépassement de cette société capitaliste », explicite Kamel Brahmi, le secrétaire général de l’union départementale CGT de la Seine-Saint-Denis, qui participe au groupe de travail créé entre les deux syndicats il y a quelques mois. « Le syndicat a vocation à porter les revendications du monde du travail pour transformer la société afin qu’elle soit plus vivable aux travailleurs. Ce qui veut dire aussi parler de la loi immigration parce qu’il y a les travailleurs sans-papiers, de l’écologie parce que c’est le monde du travail qui a les solutions pour transformer les modes de production. Cela s’oppose au corporatisme », complète Benoît Teste, le secrétaire général de la FSU.

Au terme « syndicalisme de transformation sociale », les deux syndicats ont voulu ajouter le suffixe « à vocation majoritaire » pour encadrer le périmètre de leur projet. « Cette transformation sociale tente de mobiliser les masses. Le but est de rassembler, non pas sur le plus petit dénominateur commun, mais de rechercher l’unité en toute circonstance pour rassembler très largement le plus grand nombre de collègues. On n’est pas là pour faire des actions minoritaires. On veut rassembler tout le monde dans le syndicat et avoir l’ensemble du monde du travail dans toutes ses composantes, voire ses contradictions. Ça veut dire avoir des cadres, des ouvriers, des travailleurs sans-papiers, des profs, avoir tous les métiers et faire les actions les plus larges possibles. Il ne s’agit pas d’être des activistes déconnectés d’une base » tente de définir Benoît Teste.

 

Reprise des discussions sur les rapports entre organisations

 

Tout commence après le congrès confédéral de la CGT à Clermont-Ferrand en mars 2023. La nouvelle direction confédérale décide de lancer un cycle de rencontre en tête à tête avec les différentes organisations syndicales. S’appuyant sur les statuts de la confédération qui stipulent dans son article 5 que la CGT « se prononce pour l’édification d’une seule organisation syndicale de salariés […] agit pour l’unité et pour promouvoir un syndicalisme unifié », la réunion avec la FSU le 10 juillet dernier va au-delà d’une simple rencontre de courtoisie entre directions syndicales, après la nomination de Sophie Binet à la tête de la CGT. Dès ce jour-là, l’enjeu de réenclencher un travail commun de rapprochement est posé, alors que la CGT, conformément aux décisions de son congrès mouvementé, vient de quitter « l’Alliance écologique et sociale », dans laquelle elle travaillait de façon privilégiée avec la FSU et Solidaires.

Ce n’est pas la première fois que les deux syndicats – qui ont une grande proximité du fait de leur histoire commune dans la CGT d’avant 1947 – réfléchissent à améliorer leur travail en commun. Déjà en 2009, la CGT et la FSU s’y étaient engagées, et la finalité aurait pu être à terme un retour du syndicalisme enseignant dans la « grande maison » CGT. Mais ce travail est tombé en désuétude quelques années plus tard. Depuis, les positions de la fédération de l’éducation et de la recherche CGT (FERC), dont les professions sont directement concernées par ce travail en commun, ont évolué dans un sens favorable au rapprochement syndical.

Après une première prise de température lors de la réunion du 10 juillet, les deux organisations se revoient le 14 novembre et entrent dans le vif du sujet. Elles s’accordent sur plusieurs constats, sur des objectifs, sur une méthode et même sur un calendrier qui porte jusqu’à 2026, date du prochain congrès de la CGT et des élections professionnelles dans la fonction publique, et 2027, date de la prochaine élection présidentielle où l’option d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite fait partie des scénarios possibles. Depuis, la FSU et la CGT se sont de nouveau réunies ce mercredi 20 décembre pour aborder les questions de démocratie syndicale et de leurs fonctionnements respectifs. Elles se reverront au début du mois de février pour poursuivre leurs travaux sur d’autres thèmes.

 

Être à la hauteur d’une période où l’extrême droite est aux portes du pouvoir

 

De nombreux constats sont partagés par les deux syndicats. D’abord celui d’une fragilité du syndicalisme, éparpillé en de nombreuses organisations, manquant d’adhérents, se repliant parfois sur des dynamiques catégorielles et faisant face à un individualisme qui progresse. Et qui explique en partie le recul régulier du nombre global de jours de grève et la baisse de participation aux élections professionnelles, comme récemment pour celles de la fonction publique. Pour les deux organisations, l’émiettement syndical actuel est nuisible à son efficacité.

Mais une autre dynamique inquiète particulièrement les syndicalistes des deux formations. Celle de la progression de l’extrême droite qui fait craindre des jours sombres pour les années à venir. « Il y a un climat politique dramatique de montée de l’extrême droite dans les différentes élections en France et dans le monde. Mais aussi de leurs idées. Le contexte du débat sur le projet de loi immigration illustre malheureusement cela à merveille. Ce climat nous oblige à être efficace pour donner espoir dans le camp progressiste », explique Charlotte Vanbesien, la secrétaire générale de la fédération de l’éducation et de la recherche CGT (FERC), elle aussi membre du groupe de travail confédéral pour les échanges avec la FSU. Un avis que partage Benoît Teste de la FSU pour qui il est fondamental de renforcer leurs outils, en cas d’arrivée au pouvoir d’une extrême droite dont l’hostilité aux syndicats fait partie de l’ADN. Ou pour contrecarrer une accession au pouvoir qui devient plausible.

« Si on arrive à montrer que l’on peut se rassembler, c’est un élément de confiance pour les salariés », espère Kamel Brahmi de la CGT. De quoi créer un élan qui pourrait justement changer le climat politique délétère du moment. D’où la volonté de profiter de la demande d’unité observée pendant la bataille des retraites et dont l’intersyndicale à huit a été une illustration, pour rassembler au moins une partie du syndicalisme du lutte.

 

Lever les freins et laisser du temps à la démocratie interne

 

Même si la situation politique et sociale est vécue comme critique par la CGT comme la FSU, et leur imposerait l’union autour d’un « syndicalisme de transformation sociale à vocation majoritaire », rapprocher les organisations syndicales n’est pas un processus simple. Outre le poids de l’histoire qui a conduit à ce qu’il y ait plusieurs organisations, il y a celui des structures actuelles, des pratiques et des cultures parfois différentes. Et peut-être plus encore celui de la méthode.

Du côté de la CGT, une obsession domine, après leur congrès difficile de mars dernier : ne pas reproduire ce qui a été jugé comme des erreurs du mandat de Philippe Martinez. À savoir, le manque de discussions et d’approbations dans les instances internes, sur ce sujet comme sur celui de la participation de la CGT au collectif « Plus jamais ça ». Avec pour résultat sanction : le rejet inédit du rapport d’activité de la direction sortante au dernier congrès. Ainsi, cette fois-ci, pas de précipitation comme en témoigne le calendrier desserré des discussions avec la FSU qui courent jusqu’à 2026-2027. Et comme le congrès CGT en a donné mandat à sa direction : « la déclinaison de cette stratégie sera mise en débat dans nos organisations et nécessitera des étapes partagées avec les syndiqué.es ».

Ainsi, les échanges avec la FSU ont été présentés en commission exécutive confédérale (CEC) début octobre, qui a validé le groupe de travail CGT. Par la suite, chaque étape du processus fera l’objet de vérification dans chacune des deux organisations pour rester dans les clous et permettre d’embarquer dans la dynamique l’ensemble des structures.

Mais au-delà de ces précautions, les deux organisations devront lever un certain nombre de freins. « Il faut qu’on travaille sur ce qu’est la démocratie interne dans un syndicat. Le but c’est d’échanger sur nos fonctionnements, de mieux nous connaître, de lever un certain nombre de représentations qu’on peut avoir les uns sur les autres », explique Benoît Teste. Et d’ajouter : « certains de nos militants peuvent voir la CGT comme une organisation complexe, voire comme un peu bureaucratique ». À l’inverse, il convient aisément que la structuration de la FSU en tendance, organisée en métier avec un syndicat pour le premier degré, un autre pour le second degré, et ainsi de suite, ne va pas de soi pour la CGT. C’était d’ailleurs l’objet de la troisième réunion ce mercredi.

En plus des rencontres déjà évoquées, d’autres concerneront des syndicats de chacune des deux organisations sur leurs champs de syndicalisation respectifs. C’est évidemment le cas dans l’Éducation où la FERC-CGT rencontrera ses homologues de la FSU, mais la volonté est de le décliner partout où les deux syndicats sont implantés. Enfin, l’enjeu étant de faire redescendre le débat à hauteur d’adhérents et pourquoi pas de salariés, plusieurs pistes ont été évoquées pour y parvenir comme une enquête auprès des salariés, des journées thématiques en région ou encore un document commun de présentation des enjeux.

 

Dans un premier temps, le travail à deux, plutôt qu’à trois

 

Pour cette première phase, le travail en commun sur le « syndicalisme de transformation sociale à vocation majoritaire » n’est envisagé qu’à deux. Pourtant, au cours des deux dernières années, des signaux avaient été donnés que ce sujet de l’unification pourrait concerner la CGT, la FSU et Solidaires, dans la mesure où elles avaient approfondi leur travail unitaire. Du reste, la FSU, qui a pris des positions en ce sens lors de son congrès en février 2022, a manifesté son souhait d’échanges à trois, lors des premières rencontres avec la CGT. Outre l’intérêt d’une surface syndicale plus importante qui pourrait viser le million d’adhérents si ce rapprochement créait un élan, cette option permettrait à la FSU de ne pas se trouver en face-à-face avec une organisation, dont les effectifs sont quatre fois plus importants que les siens. La FSU revendique 150 000 adhérents contre 600 000 pour la CGT. Également, le souhait du syndicat enseignant de créer un nouvel outil syndical s’en trouverait renforcé dans des discussions à trois.

Mais cette option n’a pas trouvé grâce auprès de la CGT, dont le dernier congrès a supprimé les références spécifiques à la FSU et Solidaires, comme option privilégiée pour unir le syndicalisme. Au-delà de ce changement d’orientation acté en mars 2023, le travail en commun avec la seule FSU est aussi pragmatique, parce que plus facile à réaliser. Outre l’histoire commune des deux syndicats et des lignes syndicales assez proches, 90 % des effectifs de la FSU sont dans l’Éducation nationale, où la CGT n’est pas dominante. Et les 10 % restant sont aussi dans la fonction publique. De cette façon, aucune difficulté ne se présente pour « fusionner » des syndicats dans le secteur privé. Ce qui n’oblige pas à repenser l’architecture de la CGT. Par contre, cela permettrait à ce rapprochement, quelle qu’en soit la forme, de devenir le premier syndicat en nombre d’adhérents et de repasser facilement en tête dans les trois volants de la fonction publique.

Enfin, autre raison qui pousse à une union à deux : le débat au sein de Solidaires ne paraît pas totalement mûr et a été ponctué de marche en avant, puis en arrière. Cependant, les mauvaises relations entre certains secteurs de la CGT et certains SUD affiliés à Solidaires, notamment dans le rail, ne sont probablement pas étrangères au choix de la CGT de rester dans un premier temps, en tête à tête avec la FSU. Pour autant, mettre en débat – au-delà des directions syndicales – le besoin d’unir le « syndicalisme de transformation sociale à vocation majoritaire » ne restera peut-être pas cantonné à la CGT et à la FSU. Une fois ouvert, il pourrait susciter un élan qu’il serait difficile d’ignorer, d’autant que la menace grandissante de l’extrême droite pourrait faire bouger les lignes. L’Union syndicale Solidaires qui tient son congrès au mois d’avril prochain fera peut-être évoluer ses positions. Et par là même les éléments du débat.

Photo : Ricardo Parreira