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Tisséo : malgré une grève de quatre jours, le silence de la direction


 

Malgré quatre jours de grève consécutifs et massifs dans les transports en commun toulousains, la direction de Tisséo reste sourde aux revendications des grévistes. Ils et elles prévoient donc de nouvelles actions dans les jours à venir.

 

Le regard sombre et l’air contrarié, Romain de Montbel, accompagné d’un huissier et de la responsable du site, se fraye un chemin entre les bus à l’arrêt et les petits groupes de grévistes, verre de café à la main et chasubles syndicales sur le dos. Un tonnerre de sifflets, de cris et de moqueries accompagne les pas du directeur exploitation de Tisséo, la régie assurant les transports urbains sur les territoires de Toulouse métropole et de 3 autres intercommunalités adjacentes.

Il est un peu plus de 8 heures ce jeudi matin 1er juin sur le dépôt de bus Tisséo de Colomiers, l’un des trois de l’aire métropolitaine, bloqué par les grévistes. Ces dernier·es sont sur place depuis déjà 4 heures et ils·elles entendent bien le faire savoir. « Il est venu faire du zèle… », grince Jean-Luc, mécanicien de 54 ans, chasuble CGT, en indiquant du menton le numéro 2 de l’entreprise qui, après avoir reçu les huées salariales, s’adresse à deux policiers en faction.

Un peu plus loin, à l’entrée du dépôt, une palette brûle, des pneus attendent leur tour. Les organisations de l’intersyndicale Tisséo appelant à la grève (SUD, CGT, Fédération nationale des conducteurs routiers-FNCR et CFDT) ont planté leurs barnums côte à côte.

 

Une clause contre l’inflation

 

Depuis mardi 30 mai, les salarié·es de Tisséo (2666 effectifs dont environ 1300 conducteurs·trices) sont entré·es en grève reconductible. Un mouvement faisant suite aux trois journées de grève des 11, 18 avril et 11 mai dernier. Les salarié·es demandent le maintien de la « clause de sauvegarde » qui indexe les salaires sur l’inflation de l’année précédente et est négociée chaque année depuis 2008. « Ce n’est pas une augmentation de salaire, juste une garantie pour assurer un maintien du pouvoir d’achat aux salarié·es. L’idée est que l’inflation ne peut pas être subie au-delà de 1 %. Si il y a 5% d’inflation, on prend 4% avec cette clause. Et l’ensemble des salarié·es, y compris le patron en bénéficie », explique Claude Alegri, 58 ans, conducteur de bus, secrétaire adjoint du syndicat SUD de Tisséo, majoritaire.

Mais cette année, la direction a proposé une augmentation bloquée à 2,8% avec une hausse supplémentaire de 1% si l’inflation dépasse 5%. Le compte n’y est plus. « J’ai 38 ans, une femme, trois enfants, une maison, deux voitures, ça fait 20 ans que je travaille, je suis rentré ici il y a trois ans à 1600 euros, là je suis à 1800 euros, c’est pas énorme », s’indigne Jérémy, conducteur « voltigeur » c’est à dire susceptible de passer d’une ligne à l’autre, et qui connaît chaque jour à midi ses horaires pour le lendemain. Jean-Luc, le mécanicien, 34 ans d’ancienneté, touche autour de 2000 euros net. « Et les embauches, ça rentre au smic », déplore-t-il. Les conducteurs à quelques années de la retraite avec plus de trente ans d’ancienneté sont en dessous de 2500 euros net mensuels.

 

grève Tisséo
Le piquet de grève de Tisséo. Crédit photo : Emmanuel Riondé.

 

Dans ces conditions et avec une inflation annoncée autour de 6 % en 2023, le refus de la direction de maintenir la clause de sauvegarde passe très mal. « Le mouvement est bien suivi, l’intersyndicale fonctionne », constate Stéphane Chapuis, secrétaire général de la CGT Tisséo, qui annonce un taux de gréviste « autour de 60 % » et renvoie les patrons à leur responsabilité quant au durcissement du conflit. « Au moment où on parle, il n’y a pas de discussion avec la direction », déplore-t-il. Selon la communication du groupe, jointe par Rapports de force, le taux était de 31,5 % mardi, et de 28,2 % mercredi et jeudi. « La direction a choisi de ne pas s’exprimer sur le mouvement en cours, je ne peux pas vous en dire plus », précise la chargée de communication du groupe, confirmant qu’« il n’y a pas eu d’échange cette semaine » entre la direction et les salarié·es.

Ces derniers se disent inquiets d’avoir vu ces derniers jours le fonctionnement du métro (sans conducteur) remis dans les mains de « 5 ou 6 cadres qui ont eu une formation expresse » pour pallier l’absence des grévistes. Côté direction, on assure que « les agents non-grévistes qui ont pris la charge du métro sont qualifiés pour le faire ».

 

Grève Tisséo : la pression des huissiers

 

Tisséo est présidée par Jean-Michel Lattes, 3e adjoint à la mairie et vice-président de la métropole, et dirigée depuis 2016 par Thierry Wischnewski. Un DG décrit par les syndicats comme un homme autoritaire et peu enclin au dialogue, au diapason des élu·es qui administrent la régie: invité jeudi matin à l’antenne de la matinale de Sud Radio, Jean-Luc Moudenc, maire (ex-LR) de Toulouse et président de la métropole, a fustigé une « grève qui est le fait d’une minorité et provoque des perturbations importantes [et des] organisateurs qui bloquent les dépôts, des bus qui ne peuvent pas sortir. »


Jeudi matin, comme les jours précédents sur les autres dépôts, la direction de Tisséo a mandaté des huissiers pour constater les blocages, pénalisés depuis 2015. « Cette année-là, on avait mené seuls une action de blocage et pris 50 000 euros d’amende, c’était dur…, se remémore Lionel Dupin, secrétaire de Sud Tisséo. Là, on est en intersyndicale, du coup on va partager le gâteau, mais ils sont en train de monter un dossier et on sait qu’on va dérouiller financièrement ».

 

La menace de la sous-traitance

 

Pour le syndicaliste et les salarié·es mobilisé·es, cependant, pas question de reculer malgré cette intimidation. D’autant que derrière la bagarre pour la clause de sauvegarde, selon lui, « le gros morceau, dans les années à venir, ça va être la sous-traitance ». Depuis quelques années, Tisséo sous-traite l’exploitation de plusieurs lignes à des agences de transports privées comme Negoti, Alcis ou Transdev Occitanie. Les bus restent estampillés Tisséo, mais leur entretien et le salaire des chauffeurs ne sont plus du ressort de la régie. « On parle d’environ 25 % des bus qui sont désormais exploités par des sous-traitants », soutient Claude. Un recours grandissant qui tire la régie vers le bas : « Leurs chauffeurs font le même travail que nous mais ils sont payés au SMIC. En 6 ans, Tisséo, a perdu beaucoup de salariés. Aujourd’hui, il nous manque des chauffeurs, et du coup le service est dégradé : moins de passages, plus de monde à prendre aux arrêts, plus de retard cumulé… Là, le réseau va passer sur le tableau de marche vacances – c’est à dire des fréquences de passages moins soutenues – dès le 15 juin. Ça arrive plus tôt que d’habitude pour masquer les sous-effectifs », assure Lionel Dupin.

Cette semaine, les deux lignes du métro ont cessé de fonctionner tous les soirs à 19h30, les fréquences de passage des tramways ont été espacées. Vendredi matin, 37 des 112 lignes de bus sur étaient à l’arrêt. En quatre jours, les grévistes ont montré leur détermination à se faire entendre d’une direction pour l’instant arc-boutée sur son refus d’activer la clause de sauvegarde. « Il va falloir qu’ils réfléchissent bien, prévient Claude Alegri. La Coupe du monde [de rugby, NDLR] arrive bientôt [NDRL : elle se tiendra du 8 septembre au 28 octobre prochain et Toulouse accueillera 5 matches et sera le camp de base de l’équipe du Japon] et il va y avoir des supporters partout qui voudront se déplacer… »

 

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Crédit photo : Emmanuel Riondé