grève déchets

Tout comprendre à la grève des déchets à Paris

 

Depuis le 6 mars, l’ensemble des salariés de la filière déchets sont en grève à Paris. Cette mobilisation a été rendue possible par une coordination entre de multiples secteurs et entreprises, bien décidés à faire échouer la réforme des retraites. Malgré les tentatives de casser le mouvement, la solidarité tient bon.

 

Des déchets devant le Palais de l’Élysée. L’image a fait réagir et a vite animé les plateaux des chaînes d’informations en continu. Et pour cause : s’il a fallu du temps aux salariés de la filière déchets pour se mettre en grève, la mobilisation ne faiblit pas depuis le 6 mars. Depuis plus d’une semaine, les agents de la collecte et du traitement des déchets de Paris ont réussi une grève reconductible.

À Nantes, Le Mans, Rennes, Angers, Antibes, Dole, Le Havre, les éboueurs sont également mobilisés. Mais la grève parisienne semble particulièrement marquer les partisans de la réforme des retraites, au point de susciter des fantasmes et de servir d’arène politicienne à certains élus.

 

Les agents de la mairie en grève

 

Le 6 mars, à la veille d’une journée de mobilisation nationale, les éboueurs employés par la ville de Paris commençaient leur grève. Anticiper d’une journée leur mobilisation par rapport au reste du mouvement social leur a permis d’augmenter leur impact. « Il n’y a pas de collecte le dimanche », nous expliquait François Livartowski, secrétaire fédéral de la CGT Services Publics. Dans la journée du lundi, l’équivalent de deux journées de déchets, soit plus de 500 tonnes, s’entassait donc déjà dans les rues de certains arrondissements parisiens. Depuis ce jour, la collecte est ainsi perturbée dans les très bourgeois 2e, 5e, 6e, 8e et 16e arrondissements de Paris, et également dans le 12e, 14e et 20e. Selon la mairie de Paris, citée par France Info, 7 000 tonnes de déchets n’auraient pas été ramassées depuis une semaine.

Loin de se terminer, la grève est au contraire partie pour durer. Le 14 mars, les grévistes ont voté sa reconduction jusqu’au 20 mars, lors d’une assemblée générale chapeautée par la fédération CGT du nettoyage de la ville de Paris (FTDNEEA), très largement majoritaire dans le secteur. Les grévistes se disent, en outre, prêts à « engager des nouvelles formes d’actions qui participeraient à la victoire des travailleurs » en cas de vote de la réforme ou d’utilisation du 49.3.

 

La grève des déchets s’étend au privé

 

Tous les arrondissements ne sont pas concernés. La mairie de Paris a en effet décidé de confier la collecte des déchets de l’autre moitié des arrondissements à trois entreprises privées, où il est plus difficile de mobiliser les salariés. Mais dans l’entreprise Pizzorno, en charge de la collecte dans le 15e arrondissement, les éboueurs ont réussi à se démarquer. La totalité des agents sont en grève. « La grève a été reconduite à l’unanimité jusqu’à demain avec des AG quotidiennes », nous indiquait, le 14 mars, Matthieu Carrier, élu CGT à la ville de Paris. Le syndicaliste a soutenu les salariés dans l’organisation de leur grève et l’assure : « la détermination est au maximum et le mot d’ordre est la reconduction systématique jusqu’à l’ouverture de négociations salariales avec des revendications ambitieuses ».

Un conflit interne à l’entreprise vient en effet s’ajouter à celui sur la réforme des retraites pour ces salariés. En octobre 2022, 90 % des salariés du site étaient déjà en grève, pour obtenir de meilleures conditions de travail. Après six jours d’interruptions du travail, un accord a été signé, avec à la clé six nouveaux camions et des primes pour certains agents. « Mais l’accord de fin de conflit n’a jamais été appliqué », s’indigne Valentin Soen, secrétaire général de l’union locale CGT de Vitry-sur-Seine. En plus de l’application de l’accord et de l’abandon de la réforme des retraites, les salariés demandent une augmentation de 8 % de leur salaire. « Le patron a proposé 3,6 % », s’agace Mathieu Carrier. Une promesse qui n’engage pas à grand-chose puisqu’il s’agit de l’augmentation déjà prévue par la convention collective du secteur.

 

Casser la grève des déchets

 

Face à une direction tout aussi obtuse que le gouvernement, la mobilisation des salariés de Pizzorno ne devrait donc pas s’arrêter au lendemain du vote de la réforme. Ils devront cependant faire face à la résistance de l’entreprise, prête à tout pour casser la grève. Celle-ci a en effet envoyé une vingtaine de salariés normalement employés sur d’autres sites, notamment celui de la Seyne-sur-Mer ou de Draguignan (83) pour assurer la collecte des déchets parisiens.

« Ils ont réussi à sortir dix camions pour casser la grève. Ils sont arrivés en pleine nuit [ndlr : entre dimanche et lundi], et le temps d’appeler du renfort, c’était déjà trop tard », témoigne Matthieu Carrier. Le site compte une trentaine de camions, dédiés au ramassage parisien, mais aussi à la collecte dans d’autres villes aux alentours. Dans ces dernières, la collecte est forcément perturbée : bien que la grève y soit moins forte, les camions manquent. Dans la plupart des autres communes d’Ile-de-France où la collecte est assurée par le privé, « la grève se limite aux journées nationales », indique Ali Chaligui, élu de la CGT Transport, en charge de ces questions.

Pour éviter que de nouveaux camions ne sortent du dépôt, les éboueurs ont ainsi appelé à un « blocage en 3X8 » du site. « C’est un blocage citoyen, c’est l’interpro qui bloque, pas les grévistes », souligne Valentin Soen. L’enjeu est en effet d’éviter toute mesure de rétorsion de la part de l’entreprise. Matthieu Carrier témoigne de « pics de soutien à 40 personnes qui baisse à une petite dizaine dans les temps faibles ».

Ce n’est pas la première fois que Pizzorno a des relations conflictuelles avec ses salariés. Sur son site varois, une grève avait aussi éclaté en octobre 2022. Les salariés exigeaient de meilleurs salaires et une amélioration de leurs conditions de travail. Après un blocage du dépôt pendant une semaine, des salariés avaient payé le prix fort de leur engagement dans la lutte. « Ils ont convoqué 12 personnes. Il y en a 10 qui ont été mises à pied pendant trois semaines, dont moi. Et deux ont été licenciées », indique David Hatier, délégué CGT sur le site de la Seyne-sur-Mer. Sur son site, la grève contre la réforme des retraites n’a donc pas eu lieu. « Ils ont mis la pression. Donc les gens ont peur. Il n’y a juste qu’une poignée de courageux qui seraient prêts à faire grève », regrette-t-il.

 

Des déchets sans destination

 

L’entassement des déchets n’a pas tardé à susciter l’indignation des élus de la droite. Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, pourtant non-concerné par la grève, a ainsi demandé sur Twitter « l’instauration d’un service minimum de collecte des déchets » en accablant Anne Hidalgo, la maire de Paris, qui, bien que n’entretenant pas d’excellentes relations avec ses agents, n’a de toute façon pas de pouvoir en la matière. La réquisition relève en effet de la compétence de l’État. La municipalité semble cependant avoir fait appel à une entreprise privée déjà en charge de la collecte dans une partie de la ville, Derichebourg, pour collecter les déchets d’arrondissements normalement sous régie publique, indique BFM TV.

Mais c’est de toute manière oublier bien vite que cette grève s’exprime à toutes les étapes de la filière. Ainsi, la totalité des agents en charge de la conduite des trois incinérateurs de déchets de la petite couronne de la région parisienne, sont, eux aussi, en grève. « On voit des usagers qui se plaignent des odeurs en disant que c’est insalubre. Nous, nos salariés, ils sont en permanence avec des déchets », fait d’ailleurs remarquer Marc Bontemps, élu de la branche Énergie de la CGT (FNME). « La moyenne d’âge du décès chez nous, elle est de 70 ans », souligne-t-il.

Jusqu’à maintenant, les salariés de ce secteur pouvaient partir à la retraite à 57 ans. Ce sera 59 ans, et même 64 ans pour les nouveaux arrivants, si la réforme est adoptée. « Nos salariés sont prêts à se battre corps et âme pour les jeunes qui arrivent. Nos outils de travail, ils n’ont pas changé. » La grève va se poursuivre, au moins jusqu’à jeudi où une nouvelle assemblée générale aura lieu, et devrait probablement entériner la poursuite du mouvement.

Actuellement, les cheminées des incinérateurs d’Ivry-sur-Seine et d’Issy-les-Moulineaux ont cessé de cracher leurs fumées. Celui de Saint-Ouen avait opportunément été mis en maintenance par la direction, le 5 mars, à la veille de la grève. « C’était une tentative de contournement du droit de grève », accuse Marc Bontemps. Néanmoins, les salariés de la maintenance sont également en grève, ce qui devrait donc repousser d’au moins une semaine le redémarrage de l’incinérateur.

Même collectés, les déchets devront ainsi s’entasser dans les camions, faute de destination immédiate. En temps normal, il est possible d’entreposer le surplus de déchets sur le site de stockage de Romainville, avant qu’ils ne soient envoyés à Claye-Souilly (77) où ils sont enterrés. Mais désormais, le site de Romainville est saturé.

Jeudi 16 mars, les sénateurs devraient une nouvelle fois approuver la réforme des retraites. Il leur suffirait pourtant de jeter un œil à l’extérieur du Palais du Luxembourg, pour y voir une ribambelle de poubelles, symbole de la colère sociale.