Au centre d’action sociale de Paris, les oubliés du Ségur se révoltent

 

Alors qu’ils sont au contact de publics fragiles, de nombreux salariés du centre d’action sociale de la ville de Paris n’ont pas le droit à la prime Ségur. Au sein d’un même établissement, se côtoient des travailleurs éligibles et d’autres qui ne le sont pas. Une situation ubuesque à laquelle ils sont décidés de répondre par une grève qui dure depuis déjà plus d’un mois.

 

Sur les tables du restaurant Pali Kao, patates, fromage et charcuterie sont entassés, à proximité d’un appareil à raclette. Mais en ce mercredi soir, aucun repas ne sera pourtant servi dans cet établissement solidaire qui vient d’habitude en aide aux personnes en situation de précarité. Depuis le 13 octobre, le restaurant est occupé par ses salariés en grève. « On demande une égalité de traitement pour tous les collègues », explique Frédéric Boutoux, élu CGT.

Comme plusieurs autres restaurants, le Pali Kao dépend du centre d’action sociale de la ville de Paris. Si les aides-soignantes, infirmières, travailleurs sociaux, cuisiniers et agents administratifs travaillant au sein du centre d’action social partagent un même objectif – venir en aide à des personnes vivant dans des situations compliquées -, ils ne sont pas tous considérés de la même manière par la ville de Paris, regrette Frédéric Boutoux.

Parmi les quelques mesures arrachées lors du Ségur de la santé, les professions médicales avaient obtenu une prime mensuelle de 189 € net. Ce sont ensuite les salariés du paramédical puis du secteur médico-social qui ont, à leur tour, eu droit à la prime. Mais pour les agents administratifs ou techniques, pourtant essentiels au fonctionnement de ces structures, nulle prime à l’horizon.

 

Les oubliés du Ségur

 

Pour les travailleurs du centre d’action sociale, cette prime Ségur serait la bienvenue pour compenser des salaires très faibles. « On est des smicards, s’agace Michel, un cuisinier du restaurant. On se retrouve dans une situation de précarité ». Elle constituerait également une reconnaissance symbolique de leur fonction sociale. « On est des agents de la solidarité », souligne Frédéric Boutoux.

À l’une des tables du restaurant, les salariés décrivent tous des métiers remplis de contacts avec les plus fragiles. « Il y a un monsieur en fauteuil roulant qui vient souvent, raconte Myriam, une des salariées du restaurant. Nous l’aidons pour lui ouvrir la porte, puis nous le servons à table. Il faut parfois lui couper sa viande ou lui servir son eau, car il ne peut pas le faire tout seul ».

À l’autre bout de la table, une agente administrative explique : « des fois, ils nous appellent au téléphone pour un petit truc et en fait, ils discutent avec nous pendant une heure car c’est de ça dont ils ont vraiment besoin ».  Malgré leur fonction sociale, ces travailleurs restent pourtant les oubliés du Ségur. Un quart des 6 000 salariés du centre d’action sociale n’aurait pas droit à cette prime, selon la CGT.

 

Une mairie sourde aux appels de ses agents

 

Dans une lettre aux salariés datée du 21 octobre, la ville de Paris assure avoir « pleinement conscience de l’engagement au quotidien des personnels de la direction de la solidarité auprès des usagers ». Mais dans le même temps, elle se dit impuissante en se défaussant sur l’État. La municipalité s’est limitée à proposer des négociations pour certaines catégories d’agents en posant comme préalable l’arrêt de l’occupation du restaurant Pali Kao. Une proposition inacceptable pour les salariés qui ont donc, pour l’heure, décidé de continuer leur grève débutée le 22 septembre. Actuellement, 200 salariés seraient mobilisés, dont une grande partie chez les cuisiniers.

C’est qu’en juillet, leurs collègues des centres d’hébergement et de réinsertion sociale avaient obtenu gain de cause, après avoir, eux aussi, choisi la voie de la grève. « On s’est battu, on ne devait pas l’avoir cette prime », souligne Frédéric Boutoux, qui est cuisinier dans un de ces centres et qui compte bien faire bénéficier tous ses collègues de cette prime.

 

Solidarité entre usagers et salariés

 

Pour autant, ce n’est pas forcément de gaîté de cœur que les salariés ont cessé le travail, mais bien, car ils s’y sentent contraints. « Il y a des personnes qui n’ont que nous », souligne Jessica, une agente administrative. « Il y a un monsieur qui ne sort plus depuis que nous sommes en grève, car c’était son seul plaisir », explique Myriam. 1800 repas par jour ne seraient ainsi pas distribués. Mais les usagers semblent comprendre les revendications des salariés et ont notamment rédigé et signé des pétitions pour les soutenir. « Le message que fait passer la ville de Paris en ne répondant pas à nos revendications, c’est aussi qu’ils se moquent des usagers », souligne Michel.

Les discussions avec les élus municipaux sont au point mort. Pourtant, « c’est quand même le Parti Socialiste », se navre Frédéric Boutoux. À l’occasion des élections présidentielles, Anne Hidalgo mettait en avant la nécessité d’une « politique volontariste sur les salaires » dans son programme. « C’est une priorité absolue, tout particulièrement pour les salariés des secteurs essentiels », y affirmait-elle. Un mois et demi de grève n’aura néanmoins pas suffit à transformer cette priorité en acte, au sein même de la ville qu’elle dirige depuis plus de huit ans. « S’il faut faire grève pendant deux mois encore, alors on fera grève pendant deux mois », assure Michel.